PRINCIPE DE NON RÉGRESSION ET ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE : JE T’AIME MOI NON PLUS

Par David DEHARBE (Avocat  associé gérant de Green Law). Par un arrêt du 9 octobre 2019 (Conseil d’État, 6ème et 5ème chambres réunies, 9 octobre 2019, n°420804 : disponible ici), le Conseil d’État a jugé que le décret n° 2018-239 du 3 avril 2018 relatif à l’adaptation en Guyane des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement (disponible ici), exemptant d’évaluation environnementale certains projets de déboisement, situés dans des zones agricoles, précédemment soumises à un examen au cas par cas, ne méconnaît pas le principe de non-régression prévu à l’article L. 110-1 du Code de l’environnement. Or pour la Haute juridiction, cette méconnaissance n’existe pas dès lors que l’évaluation environnementale a déjà été effectuée, auparavant, lors du classement des zones agricoles dans un document d’urbanisme. Rappelons que l’article R. 122-2 du C.Env prévoit que « les projets relevant d’une ou plusieurs rubriques énumérées dans le tableau annexé au présent article font l’objet d’une évaluation environnementale, de façon systématique ou après un examen au cas par cas, en application du II de l’article L. 122-1, en fonction des critères et des seuils précisés dans ce tableau » (disponible ici). Le décret n° 2018-239 modifie le tableau de l’article R. 122-2 du C.Env, pour prévoir que « le seuil à partir duquel un projet de déboisement en vue de la reconversion des sols est susceptible d’être soumis à une évaluation environnementale sur la base d’un examen au cas par cas est porté à 20 hectares dans les zones classées agricoles par un plan local d’urbanisme ayant lui-même fait l’objet d’une évaluation environnementale ou en l’absence d’un tel plan local d’urbanisme, dans le schéma d’aménagement régional et à 5 hectares dans les autres zones ». Le principe de non-régression correspond en vertu de l’article L. 110-1 du C.Env., à « la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». En l’espèce, l’association France Nature Environnement et l’association Guyane Nature Environnement ont demandé l’annulation du décret n° 2018-239 du 3 avril 2018, en ce qu’il exclut, pour la Guyane, des projets de défrichements auparavant soumis à une évaluation environnementale et qu’il ne soumet pas à évaluation environnementale les défrichements de l’État en forêt domaniale. Le Conseil d’État accepte de connaître du moyen en vérifiant si le décret ne méconnaît pas le principe de non-régression. Les juges du Palais Royal rappellent d’une part la portée du principe de non-régression en ce qu’ « une réglementation soumettant certains types de projets à l’obligation de réaliser une évaluation environnementale après un examen au cas par cas alors qu’ils étaient auparavant au nombre de ceux devant faire l’objet d’une évaluation environnementale de façon systématique ne méconnaît pas, par là même, le principe de non-régression de la protection de l’environnement » (§ 4). D’autre part, il apparaît dans les deux cas soulevés devant la Haute juridiction que les projets susceptibles d’avoir des incidences sur l’environnement doivent faire l’objet d’une évaluation environnementale au sens du II de l’article L. 122-1 du C.Env (disponible ici). Par ailleurs, la Haute juridiction estime qu’ « une réglementation exemptant de toute évaluation environnementale un type de projets antérieurement soumis à l’obligation d’évaluation environnementale après un examen au cas par cas n’est conforme au principe de non-régression de la protection de l’environnement que si ce type de projets, eu égard à sa nature, à ses dimensions et à sa localisation et compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, n’est pas susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine ». Au regard de ces éléments, le Conseil que le décret ne méconnaît pas le principe de non-régression pour les projets de déboisement sur une superficie de 20 hectares du fait qu’en l’état antérieur de la réglementation ces derniers faisaient déjà l’objet d’une évaluation environnementale. Toutefois, le Conseil relève que pour le projet de déboisement portant sur une superficie de moins de 5 hectares qui n’ont pas été classés en zones agricoles par un document d’urbanisme ayant lui-même fait d’une obligation environnementale ou dans le schéma d’aménagement régional porte atteinte au principe de non-régression, une telle exemption était jusqu’alors limitée aux projets de déboisement en vue de la reconversion des sols portant sur une superficie totale de moins de 0,5 hectare. Pour le Palais Royal, cette exemption auparavant plus limitée est susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement. Un lecteur candide verrait dans cet arrêt une difficulté supplémentaire de faire valoir le principe de non-régression devant la plus haute juridiction administrative. Mais le Conseil d’État relève qu’ « Il ressort des pièces du dossier qu’une telle modification est susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement, eu égard notamment à la biodiversité remarquable qu’abrite la forêt guyanaise, nonobstant l’étendue de la forêt en Guyane et la protection dont une grande partie fait par ailleurs l’objet ». Si le principe de non régression a pu décevoir les requérants, ce principe n’étant souvent pas retenu (TA Strasbourg, 19 novembre 2014, n° 1205002, CE, 14 juin 2018, n° 409227, CE, 17 juin 2019, n°421871, CE, 24 juillet 2019, n° 425973), au final cet arrêt rappelle que le requérant doit systématiquement prouver et justifier la baisse du niveau de protection (CE, 8 décembre 2017, n° 404391 ; TA Dijon, 25 juin 2018, n°1701051).