Préjudice écologique : les carences de l’État dans la lutte contre la prolifération des algues vertes

Préjudice écologique : les carences de l’État dans la lutte contre la prolifération des algues vertes

Par David Deharbe Avocat Gérant et Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)

Le Préfet de région a-t-il commis une carence fautive et méconnu les objectifs résultant de ces deux directives communautaires ?

La responsabilité de l’État est-elle engagée en raison du préjudice écologique ?

La Tribunal administratif de Rennes a répondu à ces deux questions par l’affirmative, considérant ainsi que la politique publique menée pour lutter contre la prolifération des algues vertes était insuffisante : ces carences ont donc engagé la responsabilité de l’État – qui devra agir dans les dix mois – et sont à l’origine d’un préjudice écologique.

Préjudice écologique : l’exigence d’une faute durable pour sa réparation

Préjudice écologique : l’exigence d’une faute durable pour sa réparation

Par Maître David DEHARBE, Avocat Gérant et Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats) 

Le 29 juin 2018, la Préfète de Lot-et-Garonne a pris un arrêté autorisant le syndicat à créer et à exploiter une retenue d’eau collective à usage d’irrigation et de soutien d’étiage sur le lac de Caussade, à Pinel-Hauterive.

Le 15 octobre 2018, la Préfète a pris un autre arrêté retirant cette autorisation.

Mais le syndicat a poursuivi les travaux, malgré l’absence d’autorisation préfectorale.

De plus, il a exploité la retenue illégalement mise en eau. L’Association France Nature Environnement et deux autres associations de protection de la nature et de l’environnement ont donc demandé l’indemnisation des préjudices qu’elles estimaient avoir subi à raison de fautes imputées à l’État.

La responsabilité de l’État pouvait-elle être engagée en raison du caractère irrégulier de la construction d’une retenue d’eau réalisée par le syndicat départemental des collectivités irrigantes de Lot-et-Garonne ?

Le Tribunal administratif de Bordeaux a répondu à cette question par l’affirmative, sans pour autant condamner l’État distinguant l’illégalité de l’autorisation de l’édiction de sanctions administratives et enfin leur mise en œuvre matérielle par l’administration (décision commentée : TA Bordeaux, 6 février 2025, n° 2300568).

Préjudice écologique : Affaire du siècle, suite et suites

Préjudice écologique : Affaire du siècle, suite et suites

Par Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)

Le 22 décembre 2023, le Tribunal administratif de Paris a statué sur ces demandes et a rejeté ces demandes d’exécution : il a refusé de prononcer une astreinte à l’encontre de l’État en vue d’obtenir l’exécution complète de son jugement du 14 octobre 2021, dans lequel il avait notamment enjoint au Gouvernement de prendre avant fin 2022 les mesures nécessaires pour réparer le préjudice écologique.

Le 22 février 2024, les associations se sont pourvues en cassation devant le Conseil d’État et lui ont demandé d’annuler le jugement du 22 décembre 2023 et de faire droit à leurs demandes tendant à l’exécution du jugement du 14 octobre 2021.

Les associations requérantes invoquaient l’article L. 911-4 du Code de justice administrative : d’après elles, le Tribunal aurait dû assurer l’exécution de la décision antérieure.

Le jugement du 14 octobre 2021 constituait-il une décision susceptible de cassation ?

Le Conseil d’État a répondu à cette question par la négative : le jugement contesté est en réalité un appel, et non une décision susceptible de cassation (décision commentée : CE, 13 décembre 2024, n° 492030).

Climat : le TA de Paris ordonne au Gouvernement de réparer et prévenir le préjudice écologique

Par Clémence AUQUE, Juriste doctorante (Green Law Avocats) Par un jugement du 14 octobre 2021 (TA Paris, 4ème section, 1ère ch., 14 oct. 2021, n°1904967, 1904968, 1904972, 1904975/4-1), le Tribunal administratif de Paris ordonne à l’Etat « de prendre toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique et prévenir l’aggravation des dommages à hauteur de la part non compensée d’émissions de gaz à effet de serre au titre du premier budget carbone, soit 15 Mt CO²eq […] ». En mars 2019, plusieurs associations avaient introduit un recours indemnitaire devant le Tribunal administratif de Paris afin d’obtenir la condamnation de l’Etat à prendre les mesures nécessaires à la cessation et à la réparation du préjudice écologique aggravé par son inertie. Par un jugement avant-dire droit du 3 février 2021 (cf. notre commentaire), le Tribunal admettait déjà le préjudice écologique au nombre des préjudices réparables par le juge administratif sur le fondement des articles 1246, 1247 et 1249 du Code civil. Ainsi, le Tribunal jugeait l’Etat responsable du préjudice écologique causé par le non-respect des objectifs fixés par la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et ordonnait un supplément d’instruction pour « déterminer avec précision les mesures qui doivent être ordonnées à l’Etat » afin de réparer le préjudice écologique. Par son jugement du 14 octobre 2021, s’il constate que le préjudice écologique perdure à hauteur de 15 Mt CO²eq, le juge réitère sa précédente décision et ordonne « simplement » au Gouvernement, dans toute la latitude de son appréciation, de prendre les mesures nécessaires à la cessation rapide du préjudice écologique avant le 31 décembre 2022. Ce faisant, le Tribunal se garde encore de porter une quelconque appréciation sur la pertinence des mesures prises par l’Etat pour respecter les objectifs en matière d’émissions de gaz à effet de serre, lesquelles « expriment […] des choix relevant de la libre appréciation du Gouvernement » et suit en substance l’obligation faite au Gouvernement par le Conseil d’Etat dans son arrêt « Les amis de la Terre » de respecter les engagements environnementaux auxquels il souscrit (CE, 10 juil. 2017, « Association les Amis de la Terre France et autres », n°394254). Le Gouvernement dispose donc d’une nouvelle chance de respecter ses obligations, sans la menace d’une astreinte cette fois-ci. Si les modalités de réparation du préjudice écologique multifactoriel et diffus tiennent dans l’injonction faite aux pouvoirs publics de donner toute leur effectivité aux engagements environnementaux et au principe de prévention, la question des modalités d’évaluation et de réparation du préjudice écologique ponctuel, local et in fine explicable par une causalité plus circonscrite, reste en suspens (voir sur cette thématique AUQUE Clémence, « Responsabilité administrative et préjudice écologique », Mémoire de fin de cycle (mention droit public de l’environnement et de l’urbanisme), dir. MEUNIER Patrick., Lille, Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales, sept. 2020). 

« AFFAIRE DU SIÈCLE » : VERS UNE RESPONSABILITÉ ÉCOLOGIQUE DE L’ÉTAT

Par Clémence AUQUE (Juriste, Green Law Avocats) Par un jugement du 3 février 2021 (TA Paris, 3 févr. 2021, « Association OXFAM France et autres », req. n°190467, 190468, 190472, 190476), le Tribunal administratif de Paris a jugé que « l’Etat doit être regardé comme responsable, au sens des dispositions […] de l’article 1246 du Code civil, d’une partie du préjudice écologique » résultant du réchauffement climatique (cons. n°34). En l’espèce, des associations avaient saisi le Premier ministre ainsi que plusieurs autres ministres d’un recours gracieux visant à obtenir la réparation et la cessation des préjudices causés par l’inaction de l’Etat en matière de pollution de l’air. Face au rejet de leur demande, les associations ont introduit un recours indemnitaire devant le Tribunal administratif de Paris. Ce recours avait pour principal objet d’obtenir la condamnation de l’Etat à prendre les mesures nécessaires à la cessation et à la réparation du préjudice écologique aggravé par son inertie.   Pour rappel, l’article 1247 du Code civil prévoit qu’« est réparable […] le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement ». Ainsi, le préjudice écologique se comprend comme un dommage grave causé à la nature, apprécié indépendamment des dommages causés par ricochet aux intérêts de l’Homme. Par son jugement du 3 février 2021, le Tribunal administratif de Paris reconnait que la carence de l’Etat à respecter ses objectifs de réduction de la pollution atmosphérique a participé à l’aggravation du préjudice écologique causé par le réchauffement climatique. Afin de déterminer les mesures devant être ordonnées à l’Etat pour procéder à la réparation dudit préjudice, le juge a également prescrit un supplément d’instruction. Bien que la doctrine ait d’ores et déjà pu minimiser l’impact de ce jugement avant-dire droit, il convient de donner à ce dernier toute la portée de son audace : l’admission du préjudice écologique au nombre des préjudices réparables par le juge administratif (I.). Une fois posé le principe d’une « responsabilité écologique » de l’Administration, le Tribunal a caractérisé en l’espèce l’existence d’un préjudice écologique (II.) avant de reconnaitre la responsabilité de l’Etat dans l’aggravation de ce dernier (III.). I/ L’accueil du  préjudice écologique : une rupture avec le classique du préjudice administratif En examinant la recevabilité du recours, le juge administratif considère que « les associations, agréées ou non, qui ont pour objet statutaire la protection de la nature et la défense de l’environnement ont qualité pour introduire devant la juridiction adminsitrative un recours tendant à la réparation du préjudice écologique » (cons. n°11). Le juge admet ainsi, au détour d’un examen de l’intérêt à agir des associations, la possibilité d’introduire une action en réparation du préjudice écologique devant la juridiction administrative. Bien avant la consécration du préjudice écologique par la Cour de cassation dans l’affaire Erika (Crim, 25 sept. 2012, n°10-82.938, Bull.), le juge administratif s’est refusé à réparer le préjudice écologique et ce, depuis un arrêt « Ville de Saint-Quentin » (CE, 12 juil. 1969, « Ville de Saint-Quentin, n°72068, 72079, 72080, 72084, Lebon). Ce refus était justifié par la spécificité de ce préjudice qui n’est pas causé à une personne mais aux éléments naturels. En témoigne le jugement du Tribunal administratif de Pau du 25 juin 2014 qui rejetait les demandes indemnitaires d’une association agréée en ces termes : « l’ASPAS n’est pas fondée à demander l’engagement de la responsabilité de l’Etat au titre du « préjudice écologique » qui résulterait des destructions illégalement opérées et de l’atteinte portée de ce fait à l’environnement, dès lors qu’un tel préjudice ne lui est pas personnel et qu’aucune norme ou principe général ne définit ni n’impose le principe d’une telle réparation par l’Etat au bénéfice d’une association agrée de défense de l’environnement […] » (TA Pau, 25 juin 2014, « Association pour la protection des animaux sauvages, n°1301172, 1301191. Voir également TA Amiens, 21 févr. 2012, Fédération de la Somme pour la pêche, n°1000282). Toutefois, le contexte juridique change en 2016 : la loi « Biodiversité » consacre le principe de la réparation du préjudice écologique au sein du Code civil et renforce le rôle des associations dans la représentation en justice des intérêts écologiques. Les associations et collectivités s’en prévalent devant le juge administratif pour demander réparation des préjudices écologiques imputables à l’Etat. Par son jugement du 3 février 2021, le Tribunal administratif de Paris saute le pas et admet la recevabilité de ces actions sur le fondement des articles 1246 et 1247 du Code civil. Et il faut alors prendre toute la mesure de cette acceptation du Tribunal administratif de Paris d’envisager la réparation du préjudice écologique :  c’est au visa du code civil et en citant intégralement les articles 1246 , 1247 et 1249 que la juridiction consacre en droit administratif la réception du préjudice écologique. Après tout, l’article 1247 dispose bien que « toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer » … Mais ce stade il n’échappera à aucun administrativiste que cette réception devra si l’on dire s’acclimater des principes fondant la responsabilité administrative depuis la fameuse jurisprudence Blanco (TC 8 févr. 1873, Blanco, GAJA n° 1). Dit autrement la réception peut-être totale, sous bénéfice d’inventaire comme le voudrait l’idée que la responsabilité de l’Etat se singularise en étant  « ni générale ni absolue ». Or là encore le jugement commenté prend des options tranchées en la matière. II/ Le Tribunal annonce qu’il ordonnera une réparation en nature du préjudice écologique Se fondant sur un exposé technique détaillé des conséquences du réchauffement climatique, le Tribunal administratif de Paris identifie l’existence d’un préjudice écologique dû aux émissions de gaz à effet de serre et aggravé par l’inaction de l’Etat : accélération de la fonte des glaces, réchauffement des océans, érosion côtière, menaces sur la biodiversité des glaciers et du littoral. Ensuite, par application de l’article 1249 du Code civil, le Tribunal juge que la réparation de ce préjudice sera effectuée par priorité en nature, dès lors que les associations « ne démontrent pas que l’Etat serait dans l’impossibilité de réparer en nature le préjudice écologique dont le présent jugement le reconnait responsable » (cons. n°37). Le Tribunal prescrit alors…