Contentieux des autorisations d’urbanisme : le pétitionnaire tétanise les requérants !
Par David DEHARBE (Green Law avocat) Le droit ne s’use que si l’on ne s’en sert part. Cet adage que le Blog de Green a longtemps affiché nous rappelle que multiplier à outrance les obstacles à l’exercice du droit au recours pourrait bien tétaniser les requérants. Imaginez un peu : le riverain attaque le permis de son voisin et se retrouve condamné à lui payer 82. 700 euros de dommages-et-intérêts ! C’est exactement ce que vient de décider le Tribunal administratif de Lyon (Jugement du Tribunal administratif de Lyon, du 17 novembre 2015, n°1303301), son jugement ayant été pour le moins remarqué (cf. JLE 31.03.16 mais aussi le Moniteur.fr 21.03016). L’on sait qu’aux termes de l’article L. 600-7 du Code de l’urbanisme : « Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel. (…) ». Le Tribunal administratif de Lyon considère ces dispositions comme étant d’applicabilité directes : « ces dispositions, qui instituent des règles de procédure concernant les pouvoirs du juge administratif en matière de contentieux de l’urbanisme, sont, en l’absence de dispositions expresses contraires, d’application immédiate aux instances en cours, quelle que soit la date à laquelle est intervenue la décision administrative contestée ». Cette solution rejette implicitement l’idée que les dispositions de l’article L600-7 du code de l’urbanisme « affecte[nt] la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une décision administrative » (C.E., 11 juillet 2008, n°313386). Pourtant il a été jugé que les dispositions nouvelles des articles L. 600-1-2 du code de l’urbanisme et de l’article L. 600-1-3 du même code affectent la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une décision administrative. Elles sont dès lors, en l’absence de dispositions contraires expresses, applicables aux seuls recours formés contre les décisions intervenues après leur entrée en vigueur (CE , avis, 18 juin 2014, SCI Mounou et a., n° 376113: Lebon; AJDA 2014. 1292; D. 2014. 1378; JCP 2014. 950, note Eveillard; AJCT 2014. 564, obs. Mehl-Schouder – CE 8 juill. 2015, SARL Pompes Funèbres Lexoviennes, no 385043: Lebon T.; AJDA 2015. 2355). Il est vrai qu’avec l’article L600-7 du code de l’urbanisme le requérant est seulement exposé à une action reconventionnelle, au demeurant déjà ouverte par un recours direct du pétitionnaire devant le juge civil ; le REP pour être exposé à un risque n’est pas directement affecté dans sa substance même, comme il en va par exemple d’une restriction de l’intérêt à agir du requérant (sur ce point la jurisprudence demeure nuancée précitée) ; admettons. Le jugement est encore riche d’enseignements sur les conditions d’une réussite de l’action indemnitaire et reconventionnelle, répliquant au recours abusif contre le permis de construire. D’abord s’agissant d’un recours qui excède la défense des intérêts légitimes du requérant, le jugement relève que la requête prend fait et cause pour la défense d’un chalet séparé du projet par un terrain nu et ne peut se réclamer d’une perte d’intimité ni d’ailleurs de l’exposition à un quelconque risque ; cela fait douter le Tribunal de l’intérêt à agir des deux seuls requérants recevables qui d’ailleurs n’en justifieront que tardivement pendant l’instance, ayant très tôt suscité une fin de non-recevoir à ce sujet. Mais surtout le Tribunal relève que la requête comporte des moyens inopérants ou non fondés et s’inscrit dans un « conflit politique » ayant suscité une publicité excessive du recours et la mise en cause des fonctions d’élu d’un des défendeurs. Quant au préjudice réparé, il est apprécié par le Tribunal comme étant essentiellement constitué par la perte de la somme de 60 000 euros au titre des pertes de revenus locatifs imputables au recours abusif. De même le portage financier du projet sur fond privé ouvre ici droit à 15 000€ de réparation. Remarquons que le préjudice moral ou d’angoisse n’est pas indemnisé dès lors que le Tribunal relève qu’il s’inscrit dans le contexte du conflit politique du recours. Gageons que ce jugement fera date en ne laissant aucune partie indifférente : il tétanise le requérant et stimule le pétitionnaire pour se défendre au moyen d’une demande indemnitaire reconventionnelle !