Régularisation d’une DUP dans l’instance : précisions de l’office du juge

Régularisation d’une DUP dans l’instance : précisions de l’office du juge

Par Frank ZERDOUMI, Juriste et Docteur en droit public (Green Law Avocats)

Dans un arrêt du 29 mai 2024, le Conseil d’État précise l’office du juge de cassation lorsqu’il doit examiner, en tant que juge d’appel, une décision de refus de sursis à statuer afin de permettre la régularisation du vice qui entache une déclaration d’utilité publique qui emporte mise en compatibilité d’un document d’urbanisme.

LGV : le Conseil d’Etat a tiré le signal d’alarme (CE, 15 avril 2016, n°387475 et a.)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) La ligne à grande vitesse (LGV) « Poitiers-Limoges » s’est arrêtée net avant de prendre trop de vitesse. Par un décret n° 2015-18 du 10 janvier 2015 (consultable ici), les travaux nécessaires à la réalisation de la LGV « Poitiers-Limoges » entre Iteuil (Vienne) et Le Palais-sur-Vienne (Haute-Vienne) avaient été déclarés urgents et d’utilité publique. La déclaration d’utilité publique est l’acte permettant, à terme, de procéder aux expropriations nécessaires à la réalisation du projet. Il s’agit donc d’un acte fondamental lors de l’élaboration d’un projet. Ce même décret emportait mise en compatibilité des documents d’urbanisme des communes d’Aslonnes, Civaux, Dienné, Fleuré, Gizay, Iteuil, Lhommaizé, Lussac-les-Châteaux, Mazerolles, Roches-Prémarie-Andillé, Vernon, La Villedieu-du-Clain et Vivonne dans le département de la Vienne et des communes de Bellac, Chamborêt, Chaptelat, Limoges, Nieul, Le Palais-sur-Vienne, Peyrilhac et Saint-Jouvent dans le département de la Haute-Vienne. De nombreux requérants ont demandé l’annulation de ce décret au Conseil d’Etat. Dans une décision du 15 avril 2016 (CE, 6e et 1ère SSR, 15 avril 2016, n°387475, 388441, 388591, 388628, 388629, 388656, 390519, 391332), le Conseil d’Etat a annulé ce décret. Après s’être prononcé sur plusieurs fins de non-recevoir et sur la régularité des interventions, le Conseil d’Etat a retenu deux motifs d’illégalité : un motif de légalité externe (I) et un motif de légalité interne (II). Sur la légalité externe Les grands projets d’infrastructures de transport doivent contenir une évaluation économique et sociale destinée, notamment, à informer le public. Ainsi, aux termes de l’article L. 1511-1 du code des transports : « Les choix relatifs aux infrastructures, aux équipements et aux matériels de transport dont la réalisation repose, en totalité ou en partie, sur un financement public sont fondés sur l’efficacité économique et sociale de l’opération. […] ». L’article L. 1511-2 du même code prévoit que « Les grands projets d’infrastructures et les grands choix technologiques sont évalués sur la base de critères homogènes intégrant les impacts des effets externes des transports sur, notamment, l’environnement, la sécurité et la santé et permettant des comparaisons à l’intérieur d’un même mode de transport ainsi qu’entre les modes ou les combinaisons de modes de transport. ». Cette évaluation économique et sociale est jointe au dossier soumis à enquête publique, en vertu de l’article L. 1511-4 du même code. L’article 4 du décret du 17 juillet 1984 relatif à l’application de l’article 14 de la loi du 30 décembre 1982 relative aux grands projets d’infrastructures, aux grands choix technologiques et aux schémas directeurs d’infrastructures en matière de transports intérieurs, alors en vigueur, définissait son contenu : « L’évaluation des grands projets d’infrastructures comporte : (…) / 2° Une analyse des conditions de financement et, chaque fois que cela est possible, une estimation du taux de rentabilité financière ; (…) / L’évaluation des grands projets d’infrastructures comporte également une analyse des différentes données de nature à permettre de dégager un bilan prévisionnel, tant des avantages et inconvénients entraînés, directement ou non, par la mise en service de ces infrastructures dans les zones intéressées que des avantages et inconvénients résultant de leur utilisation par les usagers. Ce bilan comporte l’estimation d’un taux de rentabilité pour la collectivité calculée selon les usages des travaux de planification. Il tient compte des prévisions à court et à long terme qui sont faites, au niveau national ou international, dans les domaines qui touchent aux transports, ainsi que des éléments qui ne sont pas inclus dans le coût du transport, tels que la sécurité des personnes, l’utilisation rationnelle de l’énergie, le développement économique et l’aménagement des espaces urbain et rural. Il est établi sur la base de grandeurs physiques et monétaires ; ces grandeurs peuvent ou non faire l’objet de comptes séparés (…) »   En l’espèce, le Conseil d’Etat a estimé que le « dossier d’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique du projet de ligne à grande vitesse Poitiers-Limoges se borne, dans son analyse des conditions de financement du projet, à présenter les différentes modalités de financement habituellement mises en œuvre pour ce type d’infrastructures et les différents types d’acteurs susceptibles d’y participer ; qu’il ne contient ainsi aucune information précise relative au mode de financement et à la répartition envisagés pour ce projet ». Il estime, par conséquent, que cette évaluation économique et sociale est insuffisante. Toutefois, il existe un principe selon lequel « si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ; que l’application de ce principe n’est pas exclue en cas d’omission d’une procédure obligatoire, à condition qu’une telle omission n’ait pas pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte » (Conseil d’Etat, Assemblée, 23 décembre 2011, Danthony et autres, n° 335033, publié au recueil Lebon). Ainsi, une décision affectée d’un vice de procédure n’est illégale que s’il ressort des pièces du dossier que ce vice a été susceptible d’exercer, dans les circonstances de l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie. A défaut d’avoir examiné concrètement les effets du vice de procédure, le juge commet une erreur de droit (Conseil d’Etat, 30 janvier 2013, n°347347). Il doit donc expressément rechercher si le vice de procédure allégué a effectivement été, en l’espèce, de nature à nuire à l’information complète de la population ou avait une influence sur la décision prise (Conseil d’Etat, 10 juin 2015, n°371566). En matière d’études socioéconomiques établies pour des infrastructures de transport, il a déjà été jugé que certaines insuffisances pouvaient être régularisées (CAA Bordeaux, 21 juillet 2015, n°14BX03468 et n°14BX03454, deux arrêts). En l’espèce, telle n’est toutefois pas l’analyse du Conseil d’Etat. Au contraire, il considère « qu’eu égard notamment au coût de construction, évalué à 1,6 milliards d’euros en valeur actualisée 2011, l’insuffisance dont se trouve ainsi entachée…

Urbanisme : Précisions sur l’application de l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme relatif à la concertation du public : mieux vaut trop que pas assez (CE 25 nov. 2015, n°372659)

Par Me Marie-Coline Giorno Green Law Avocat L’article L. 300-2 du code de l’urbanisme exige que certains projets fassent l’objet d’une concertation publique pendant toute la durée de leur élaboration. Les modalités de la concertation sont, en principe, fixées dans une délibération. Cette formalité est substantielle (CE, 10 févr. 2010,  n° 327149, mentionné dans les tables du recueil Lebon ; CAA Lyon, 29 novembre 2011, n° 10LY01907 ou encore CAA Lyon, 11 octobre 2011, n°09LY02138). L’article L. 300-2 du code de l’urbanisme ajoute que les documents d’urbanisme ne sont pas illégaux du seul fait des vices susceptibles d’entacher la concertation, dès lors que les modalités définies par la délibération ont été respectées. Il s’infère de cette disposition que le juge administratif veille scrupuleusement au respect des modalités de la concertation. Une concertation est ainsi, en principe, irrégulière si les modalités de la concertation prévues dans la délibération les fixant n’ont pas toutes été mises en œuvre. En ce sens, un document d’urbanisme a déjà été censuré dans l’hypothèse où les modalités de concertation prévues par la délibération du conseil municipal n’avaient pas été respectées. Dans cette affaire, deux réunions publiques avaient été tenues et un numéro spécial du bulletin municipal avait été édité conformément aux modalités prévues de la concertation. Cependant, aucun registre n’avait été mis à disposition du public pour que ces derniers puissent y consigner leurs observations comme le prévoyait également cette délibération (CAA Marseille, 25 mars 2014, n° 11MA00409). De même, le fait qu’une boîte à idées, prévue parmi les modalités de la concertation, n’ait pas été mise en place a entaché d’illégalité le document d’urbanisme pris à son issue dès lors que les modalités de la concertation n’avaient pas été respectées (CAA Douai, 8 décembre 2011, n° 10DA01597). Néanmoins, un vice tiré du non-respect des modalités de la concertation peut, parfois, ne pas entacher d’illégalité la décision prise à l’issue de la procédure. Le juge applique alors le principe selon lequel, « si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie » (principe dégagé dans Conseil d’État, Assemblée, 23 décembre 2011, n°335033, Publié au recueil Lebon et appliqué récemment en matière de concertation dans CAA Bordeaux, 11 février 2014, n°12BX02488). Par ailleurs, dans des affaires où il était soutenu que les modalités de la concertation méconnaissaient l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat a considéré que la légalité d’une délibération approuvant un plan local d’urbanisme ne saurait être contestée au regard des modalités de la procédure de concertation qui l’a précédée dès lors que celles-ci ont respecté les modalités définies par la délibération prescrivant l’élaboration de ce document d’urbanisme (Conseil d’Etat, 8 octobre 2012, n° 338760, mentionné aux tables du recueil Lebon ou, également en ce sens, CAA Bordeaux, 11 février 2014, n° 12BX02488). Le moyen est donc inopérant. Récemment, le Conseil d’Etat a encore eu l’occasion de préciser sa position sur l’interprétation des dispositions de l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme (Conseil d’État, 1ère / 6ème SSR, 25 novembre 2015, n°372659, mentionné dans les tables du recueil Lebon). En l’espèce, un conseil municipal avait défini les modalités de la concertation devant précéder la révision du plan d’occupation des sols de la commune et sa transformation en plan local d’urbanisme, en prévoyant la mise à disposition d’un registre, l’information du public par bulletin et par voie de presse, l’organisation d’une réunion publique, d’une journée d’information et la mise en place d’une permanence des élus. Cependant, le maire avait également organisé, de sa propre initiative, une concertation supplémentaire auprès des viticulteurs et des artisans, qui ont été reçus individuellement après qu’un questionnaire leur avait été envoyé, et dont il a été fait état dans le bilan de la concertation. La Cour administrative avait jugé que cette consultation supplémentaire, en sus des modalités des modalités définies par la délibération organisant la concertation, entachait d’illégalité la délibération approuvant le plan local d’urbanisme. Le Conseil d’Etat a censuré cette analyse. Il a considéré que « s’il résulte de ces dispositions que la légalité d’une délibération approuvant un plan local d’urbanisme ne saurait être contestée au regard des modalités de la procédure de concertation qui l’a précédée dès lors que celles-ci ont respecté les modalités définies par la délibération prescrivant l’élaboration de ce document d’urbanisme, il ne s’en déduit pas en revanche que l’organisation d’autres formes de concertation en sus des modalités définies par cette dernière délibération aurait, par elle-même, pour effet d’entacher d’illégalité la délibération approuvant le plan local d’urbanisme »  Il en a alors déduit que la Cour administrative d’appel avait commis une erreur de droit en ne recherchant eu égard aux conditions dans lesquelles elle s’était déroulée, cette consultation supplémentaire avait eu pour effet d’entacher d’irrégularité la procédure de concertation prescrite par l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme. En conséquence, il résulte de tout ce qui précède que lorsqu’une concertation publique est nécessaire dans le cadre de l’élaboration d’un projet, en application de l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme, il est impératif que ses modalités soient préalablement définies. Cette formalité est substantielle. Lors de la concertation, les modalités prévues doivent être respectées. Une concertation est ainsi en principe irrégulière si les modalités prévues n’ont pas toutes été mises en œuvre, sauf à considérer que les intéressés n’ont pas été privés d’une garantie ou que l’irrégularité n’a pas été susceptible d’avoir une influence sur la décision finale approuvant le document d’urbanisme soumis à concertation préalable. En outre, lorsque des modalités ont été mises en œuvre en plus de celles définies dans la délibération, il convient de constater que cette circonstance n’entache pas, par elle-même, d’illégalité la décision approuvant in fine le document d’urbanisme. Ainsi, lorsqu’une…