Contrat des EPCI avec les éco-organismes : compétence judiciaire

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Cette décision Société EcoDDS c/ syndicat mixte Sud Rhône environnement du Tribunal des conflits (TC, 1er juillet 2019, n° 4162) doit retenir l’attention : elle confie au juge judiciaire le contentieux entre les communes ou leur groupement et  les Eco-organismes qui se  voient confier la prise en charge de la gestion de déchets diffus spécifiques ménagers pour le compte de leurs producteurs, importateurs et distributeurs à qui elle incombe leur traitement en vertu du  principe  de  responsabilité  élargie  du  producteur  de  produits (énoncé par l’article L. 541-10, II, du code de l’environnement). Cette solution n’allait pourtant pas de soi. En l’espèce le syndicat mixte Sud Rhône environnement avait confié à la société EcoDDS, éco-organisme agréé, la prise en charge de la gestion de déchets diffus spécifiques ménagers et un litige relatif était né quant à l’exécution de la convention. Saisis par ce syndicat le Tribunal d’instance de Nîmes et sa Cour d’appel avaient décliné leur compétence, le syndicat mixte ayant opposé à l’éco-organisme requérant la compétence du juge administrative. Par arrêt du 10 avril 2019, la Cour de cassation a renvoyé au Tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence pour prévenir le conflit négatif, comme lui permet l’article 35 du décret du 27 février 2015. Le Tribunal a recherché si la convention litigieuse pouvait être qualifiée de contrat administratif. Deux raisons pouvaient conduire le juge des conflits à retenir la qualification de contrat administratif et faire préférer la compétence de l’ordre administratif pour connaître du contentieux contractuel en question. Elles sont tour à tour rejetées par le Tribunal des conflits. L’on sait que deux conditions cumulatives sont requises par la jurisprudence pour conclure à ‘l’administrativité’ d’un contrat : d’une part et c’est le critère dit « organique » de la qualification, il faut qu’une des parties soit une personne publique d’autre part et c’est le critère dit « matériel alternatif de la qualification» et, soit le contrat, par son objet, participe du service public (en chargeant le cocontractant de l’administration d’exécuter le service public voire l’associe à cette exécution ou si ce contrat constitue par lui-même une modalité d’exécution du service public ou s’il assure la coordination de deux services publics), soit qu’il comporte des clauses qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, impliquent, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs. Ici le critère organique ne souffrait pas la discussion : il y avait au moins une personne publique au contrat le syndicat mixte étant un établissement public doté bien évidemment de la personnalité morale de droit public. En revanche pour trois raisons le Tribunal des conflits considère que le critère matériel fait défaut. D’abord et c’est sans doute le plus contestable, le juge des conflits fait valoir que c’est la loi qui fait peser sur les producteurs, importateurs et distributeurs de produits chimiques dangereux pour la santé et l’environnement la charge de la collecte des déchets ménagers en résultant, pour en déduire :  « par suite, la convention par laquelle une collectivité territoriale s’engage envers un éco-organisme agissant pour le compte des producteurs, importateurs et distributeurs à collaborer à cette collecte en contrepartie d’un versement financier ne peut être regardée comme confiant à cet organisme l’exécution du service public de la collecte et du traitement des déchets ménagers ni comme le faisant participer à cette exécution ». Ainsi l’hypothèse de la collaboration du service publique de la jurisprudence Epoux Bertin (CE, section, 20 avril 1956, n° 98637) se trouve-t-elle écartée. Mais cet argument est des plus formels. Certes c’est incontestablement la loi qui confie à des personnes privées désignées « responsables » l’obligation de traiter les déchets en question. Il n’en demeure pas moins que la convention est une modalité possible pour faire porter par l’éco-organisme cette obligation mais pas la seule (le producteur peut organiser lui-même la collecte). Plus convaincante est la deuxième hypothèse où la jurisprudence fait jouer au titre du critère matériel la contribution au service public de la convention. En effet pour le Tribunal des conflits en l’espèce « l’agrément d’un éco-organisme chargé par les producteurs de s’acquitter pour leur compte de leur obligation légale n’investissant pas cet organisme de missions de service public, la convention n’a pas davantage pour objet de coordonner la mise en œuvre de missions de service public incombant respectivement à une personne publique et à une personne privée ». Ainsi la convention n’a pas pour finalité d’organiser la coordination de deux services publics, ce qui en aurait fait un contrat administratif en vertu de la jurisprudence contemporaine sur le sujet (V. en ce sens, TC, 16 janvier 1995, Préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris et Compagnie nationale du Rhône c/ Electricité de France, n° 2946). Le Tribunal répond par la négative. En tout état de cause et au regard des critères dégagés par la jurisprudence Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés (CE, section, 22 février 2007, APREI, n° 264541), l’agrément  des éco-organismes ne permet pas plus aux termes de leurs conditions d’organisation de les considérer comme étant investis d’une mission de service public. Rappelons que selon la jurisprudence APREI, même en l’absence de telles prérogatives de puissances publiques, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l’administration a entendu lui confier une telle mission. Enfin, l’examen des clauses de la convention ne révèle pas qu’elle aurait été placée, dans l’intérêt général, sous le régime exorbitant des contrats administratifs (TC, 13 octobre 2014, société Axa France IARD, n° 3963) : « si la convention litigieuse, conclue pour une durée indéterminée, prévoit que le syndicat mixte peut mettre fin « de plein droit » à son exécution moyennant un préavis de quatre-vingt-dix…

Pas de mandat, pas de JA ! / La qualification de contrats de SEM et concession d’aménagement

Par Maître Thomas RICHET Avocat – Green Law Avocats La distinction contrat administratif/ contrat privé peut parfois s’avérer périlleuse… Et manifestement une piqure de rappel en la matière est toujours nécessaire… La décision commentée (Arrêt n° 404481 du 25 octobre 2017 Conseil d’Etat : téléchargeable ici) a le mérite de rappeler la méthodologie à adopter face aux contrats conclus par une  Société d’Economie Mixte (SEM) titulaire d’un contrat de concession d’aménagement. En effet, dans cette affaire, la communauté urbaine de Brest Métropole Océane avait conclu avec la société d’économie mixte locale d’aménagement Brest Métropole Aménagement (BMA)  un contrat de concession d’aménagement ayant pour objet la réalisation d’une zone d’aménagement commercial (ZAC) dite du « Plateau des Capucins », située à Brest. Pour réaliser cette ZAC la BMA avait, à son tour, conclu avec la société « Les Compagnons Paveurs » un marché de travaux tendant à l’aménagement des espaces publics et la viabilisation du Plateau des Capucins. Ce marché a fait l’objet d’une décision de résiliation pour un motif d’intérêt général le 29 novembre 2013. Afin d’obtenir une indemnité du fait de cette résiliation, la société évincée a décidé de porter l’affaire au contentieux. Par un jugement du du 16 juin 2016 , le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande d’indemnisation de la société « Les Compagnons Paveurs ». La solution a été confirmée par une ordonnance du 17 août 2016 du président de la 4ème chambre de la cour administrative d’appel de Nantes. La société « Les Compagnons Paveurs » a donc décidé de se pourvoir en cassation. La question contentieuse centrale dans cette affaire était relative à la nature juridique du contrat conclu entre la BMA et la société « Les Compagnons Paveurs ». S’agissait-il d’un contrat de droit privé ou d’un contrat de droit administratif ? Par un arrêt du  25 octobre 2017 n°404481, le Conseil d’Etat va considérer, par une application des critères jurisprudentiels classiques en la matière, que le contrat conclu entre la BMA et la société « Les Compagnons Paveurs » était de droit privé. Pour rappel, un contrat est qualifié « d’administratif » en présence de deux critères cumulatifs : Un critère organique: la présence d’une personne publique au contrat ou l’existence d’un donné par la personne publique à une personne privée (Cf. Conseil d’Etat, 1936, Prade ; Conseil d’Etat, 1975, Société d’équipement de la région Montpelliéraine) ; Un critère matériel : la présence de clauses exorbitantes du droit commun au sein du contrat, lorsque l’objet du contrat porte sur un service public ou encore lorsque le régime du contrat est exorbitant du droit commun. Qu’en était-il en l’espèce ? Tout d’abord relevons que le contrat avait été conclu entre deux personnes privées : la SEM BMA et la société « Les Compagnons Paveurs ». Ainsi, en principe, la qualification de contrat administratif devait être exclue car le critère organique n’était pas rempli. Cependant, la question se posait de savoir si la SEM BMA n’agissait pas, au titre du contrat de concession, en tant que mandataire de la communauté urbaine de Brest Métropole Océane. Le contrat aurait alors été administratif. Sur ce point, le  Conseil d’Etat relève, après avoir énoncé les missions du concessionnaire, que : « cette concession d’aménagement, qui prévoit la construction d’immeubles à usage privé destinés à la vente ou à la location au profit de la société BMA, concessionnaire, n’a pas comme seul objet de faire réaliser des ouvrages destinés à être remis à la communauté urbaine Brest Métropole Océane dès leur achèvement ou leur réception ; que, dès lors, la société BMA ne peut être regardée comme un mandataire agissant pour le compte de la communauté urbaine, y compris lorsqu’elle conclut des marchés de travaux ayant pour objet la réalisation d’équipements destinés à être remis à la personne publique dès leur achèvement ; que, par suite, le contentieux relatif à l’exécution et à la résiliation du marché de travaux conclu entre la société BMA et la société ” Les Compagnons Paveurs “, qui sont deux personnes morales de droit privé, ne relève pas de la compétence du juge administratif ». Ainsi le juge administratif considère en l’espèce que la présence d’un contrat de concession d’aménagement entre la SEM et la communauté urbaine de Brest Métropole Océane n’est pas suffisante pour considérer que cette société agissait en tant que mandataire de la personne publique. Pour emporter la compétence du juge administratif ce contrat aurait dû avoir pour objet exclusif la réalisation d’ouvrages destinés à être remis à la communauté urbaine de Brest Métropole Océane dès leur achèvement ou leur réception (Voir sur ce point Conseil d’Etat, 11 mars 2011, n° 330722). Faute de critère organique, le contrat ne peut être que de droit privé, et ce, même si le contrat remplissait le critère matériel. En effet, le juge indique qu’: « est sans incidence sur l’incompétence de la juridiction administrative la circonstance que la société BMA soit investie de prérogatives de puissance publique, qu’elle soit un pouvoir adjudicateur au sens de l’ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, que le marché se réfère au cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, qu’il comporte des clauses exorbitantes ou qu’il ait pour objet l’exécution de travaux publics ». Le contrat conclu entre la SEM BMA et la société « Les Compagnons Paveurs » est donc un contrat de droit privé qui relève de la compétence du juge judiciaire.