Principe de précaution et fixation des valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques (CE, 7 mars 2018, n°399727)

Par Me Lucas DERMENGHEM- Green Law Avocats L’association Robin des Toits avait sollicité du Premier ministre qu’il procède à l’abaissement des valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques émis par les équipements de téléphonie mobile, prévues par le décret n°2002-775 du 3 mai 2002. Saisi du recours de cette association tendant à l’annulation du refus du Premier ministre de procéder à cet abaissement, le Conseil d’Etat a rejeté néanmoins cette demande par un arrêt du 7 mars 2018 (CE, 7 mars 2018, n°399727). Cette décision suscite l’intérêt notamment en ce qu’elle décline la méthodologie d’application du principe de précaution – invoqué par l’association – à la fixation des valeurs limites d’exposition en matière de champs électromagnétiques. Ce sujet délicat est en effet l’un des domaines dans lesquels l’application du principe de précaution est régulièrement sollicitée, en raison de l’évolution des connaissances scientifiques et de la mouvance du cadre de protection de la santé humaine en la matière. La Haute Assemblée détaille ainsi la méthode que doit suivre l’autorité compétente de l’Etat pour la fixation des valeurs limites précitées : « Considérant que, s’agissant de la fixation des valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques émis par les équipements de téléphonie mobile, l’autorité compétente de l’Etat doit rechercher s’il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l’hypothèse d’un risque de dommage grave et irréversible pour l’environnement ou d’atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé, qui justifierait, en dépit des incertitudes subsistant quant à sa réalité et à sa portée en l’état des connaissances scientifiques, la réévaluation de ces valeurs par application du principe de précaution ; que, pour remplir cette obligation, il lui incombe de veiller à ce que des procédures d’évaluation du risque identifié soient mises en œuvre par les autorités publiques ou sous leur contrôle et de vérifier que, eu égard, d’une part, à la plausibilité et à la gravité du risque, d’autre part, à l’intérêt de l’opération, les mesures de précaution dont l’opération est assortie afin d’éviter la réalisation du dommage ne sont ni insuffisantes, ni excessives ; qu’il appartient au juge, au vu de l’argumentation dont il est saisi, de vérifier que l’application du principe de précaution est justifiée, puis de s’assurer de la réalité des procédures d’évaluation du risque mises en œuvre et de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation dans le choix des mesures de précaution »[1] Cette rédaction n’est pas sans rappeler une décision précédemment rendue par le Conseil d’Etat, déjà sur le thème de l’application du principe de précaution en matière d’ondes électromagnétiques, à propos de la construction de la ligne Très-Haute-Tension (THT) « Cotentin-Maine » (CE, 12 avril 2003, Association Coordination interrégionale STOP THT et autres, req. n° 342409). Si les considérants de principe de ces deux décisions sont presque identiques, on s’étonnera toutefois des termes employés par la Haute Assemblée dans l’arrêt le plus récent. En effet, dans son arrêt de 2013, le Conseil d’Etat estimait que des procédures d’évaluation du risque devaient être mises en œuvre par les autorités publiques dans le cas où existaient des éléments circonstanciés de nature à accréditer l’hypothèse d’un risque pour l’environnement ou pour la santé (Cf. considérant n°37 de l’arrêt). Dans l’arrêt de 2018, la rédaction employée suggère que c’est précisément la mise en place de procédures d’évaluation qui doit permettre d’identifier un tel risque. Selon le Conseil d’Etat, l’évaluation du risque doit désormais être l’un des outils permettant d’identifier le risque et ne doit pas intervenir a posteriori, une fois le risque identifié. Dans la décision commentée, la Haute Assemblée constate d’abord que des procédures d’évaluation des risques ont été mises en œuvre, par la mission de veille et de vigilance en matière de radiofréquences exercée par l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) et par le contrôle du respect des valeurs limites d’exposition effectué par l’Agence nationale des fréquences (Cf. considérant n°4 de l’arrêt ). Ensuite, le Conseil d’Etat constate que les mesures de précaution entourant la fixation des valeurs limites d’exposition au public des champs électromagnétiques sont suffisantes, à la lumière de l’état des connaissances scientifiques engagées à ce jour, lesquelles ne plaident pas en faveur de l’abaissement des valeurs limites d’exposition (Cf. considérant n°5 de l’arrêt). Ainsi : les conclusions des nombreuses recherches scientifiques consacrées aux effets non thermiques des ondes radioélectriques, dont plusieurs études internationales, n’ont pas mis en évidence d’effet athermique de ces ondes sur l’homme entraînant des conséquences sanitaires délétères, en l’absence de mise en évidence de tels effets, le Conseil de l’Union européenne n’a pas révisé sa recommandation du 12 juillet 1999 relative à l’exposition du public aux champs électromagnétiques (Cf. Recommandation du Conseil n° 1999/519/CE du 12/07/99 relative à la limitation de l’exposition du public aux champs électromagnétiques (de 0 Hz à 300 GHz), J.O.C.E n° L 199 du 30 juillet 1999) préconisant les valeurs limites qui ont été reprises par le Premier ministre dans le décret du 3 mai 2002 ; les rapports d’expertise collective publiés par l’ANSES en 2009 et 2013 n’ont pas préconisé la révision de ces valeurs limites ; la Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants a certes engagé une révision de ses propres conclusions concernant les hautes fréquences mais, comme l’a indiqué la Commission européenne, il convient d’attendre les conclusions de ces travaux pour examiner à nouveau la pertinence des valeurs limites d’exposition. Le Conseil d’Etat en conclut qu’en l’état actuel des connaissances scientifiques, et dans l’attente des résultats des travaux engagés, il ne peut être considéré que le Premier ministre a commis une erreur d’appréciation en s’abstenant de modifier à la baisse les valeurs limites d’exposition (Cf. considérant n°6 de l’arrêt.). On remarquera toutefois que le Conseil d’Etat prend le soin de souligner que des travaux ont été engagés et que leurs résultats sont attendus. Cela pourrait-il suggérer qu’en fonction de leur contenu, ces conclusions seront susceptibles d’entraîner la modification des seuils d’exposition actuellement fixés et que le refus de procéder en ce sens pourra, cette fois, constituer une…

LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE N’EST PAS UN LONG FLEUVE TRANQUILLE

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) Nicolas HULOT n’échappe pas au traitement infligé à tout Ministre d’Etat démissionnaire : son bilan et l’explication de son action au Gouvernement alimentent depuis 48 heures les commentaires politiques. Au-delà d’une décision « peu protocolaire » en la forme, cette démission n’étonne pas l’environnementaliste, du moins si l’on accepte de s’arrêter sur ce qui n’a été guère commenté, à savoir l’intitulé du département dont il est question : le « Ministère de la transition écologique et solidaire ». Ce nouvel intitulé dans la jeune histoire du Ministère de l’environnement (créé en 1971) explique que le plus emblématique des défenseurs de l’environnement ait lui-même préféré jeter l’éponge. Certes l’avènement (initialement imaginé comme « impossible ») d’un grand Ministère transversal de l’environnement est désormais acté et il n’est plus question de le rattacher à la culture, de le confier à un simple secrétaire d’Etat pour le subordonner au 1er Ministre ou de corseter ses compétences au point de confier les arbitrages en la matière aux Ministres de l’économie, de l’intérieur, de l’agriculture ou des transports… Reste que devenu transversal dans ses missions, ce  « Ministère carrefour » ne se trouve plus seulement confronté aux arbitrages perpétuels mais programmés par la « transition écologique », à porter un changement de société. Si en 2010 avec le Grenelle, l’objectif d’intégration de l’environnement dans les autres politiques publiques a été annoncé afin de concrétiser le « développement durable » inscrit dans la loi Barnier dès 1995, depuis cinq ans la méthode pour y parvenir semble se radicaliser même si elle demeure toujours un peu grossière : la France devrait en passer par la « transition écologique », concept créé par l’enseignant anglais en permaculture, Rob Hopkins, et inscrit sur l’agenda politique avec la publication en novembre 2013 d’un « Livre blanc sur le financement de la transition écologique ». Mais cette « transition écologique » incarnée par son Ministre depuis 2017 revendique un changement de modèle économique et social, qui prétend transformer en profondeur nos façons de consommer, de produire, de travailler et de vivre ensemble. Dans le syndrome du « Titanic », Nicolas HULOT prônait courageusement et sans aucun détour, une « mutation radicale ». On perçoit immédiatement la radicalité de la transition dont il est question quand on énumère les bouleversements qu’elle appelle dans de nombreux domaines : – La transition agro-alimentaire qui substitue une agriculture biologique paysanne, localisée à l’agriculture industrielle, chimique, consommatrice de pétrole et réduit les risques sanitaires. – La transition énergétique et le scénario NégaWatt (efficacité énergétique, sobriété énergétique, énergies renouvelables). – La transition industrielle avec la production de biens durables (à l’opposé de l’obsolescence programmée), dans une « société circulaire » facilement réparables et recyclables et avec un bilan carbone, des services proposant un partage et une meilleure utilisation des biens, le partage du travail, la relocalisation des activités, etc., – La préservation de la biodiversité qui tend à modifier la valeur économique du foncier (par la logique de la compensation, l’intégration des coûts écologiques et la réparation du préjudice écologique), – Un urbanisme durable : densification urbaine, économies d’énergie, espaces verts, lutte contre l’artificialisation des sols qui là encore modifie la valeur du foncier, – Des transports réorientés vers l’éco-mobilité : auto partage, covoiturage, ferroutage, télétravail, – Une fiscalité réorganisée pour inciter à économiser l’eau, l’énergie, les matières premières et à réduire les déchets ou pollutions. Or bien évidemment cette transition ne se fait pas à droit constant : par un phénomène de vase communiquant, les libertés individuelles et les droits classiques (droit de propriété, liberté du commerce et de l’industrie, liberté de circulation) voient leur exercice conditionné et même contraint par les besoins d’un ordre public écologique dont chacun serait le garant à l’égard de tous. Ainsi, pour le juriste, il est tentant d’agiter les dangers d’une limitation des libertés individuelles par cette transition écologique. Si la rationalité héritée du 18ème siècle recommande à tout un chacun d’accepter certaines limites à ses libertés individuelles pour garantir le droit à un environnement sain, la façon d’y parvenir conduit à des frustrations très concrètes : renoncer au gasoil, aux pesticides, au béton, au plastique, à la chasse, à la climatisation, à notre consommation d’eau, aux installations énergivores, à sa livraison expédiée du bout du monde, aux sports motorisés en pleine nature… voilà autant de contraintes, plus ou moins consciemment, mal vécues. Finalement, cette transition écologique, c’est un peu comme la rencontre entre les familles Groseille et les Le Quesnoy : une belle occasion de déconstruire parfois dans la douleur et l’incompréhension une représentation de l’autre monde, qualifié ici d’ancien par ceux qui en revendiquent un nouveau. Mais ces frustrations pétries d’individualisme se combinent encore avec l’expression des résistances collectives plus organisées (organisations professionnelles et syndicales, reliées par les lobbyistes et portées par des logiques des grands corps de l’Etat), rétives au changement politique et social radical qu’annonce cette transition écologique ; certains secteurs d’activités étant de plus en plus stigmatisés et sommés – parfois avec excès – d’adapter leurs pratiques professionnelles (chimie fine, industrie automobile, production énergétique, immobilier, industrie extractive, agriculture, tourisme…). Ces résistances, qui se sont cristallisées pour faire échec à un moratoire sur l’artificialisation des terres agricoles dès 2020 ou sur le contenu de la future PPE (Programmation pluriannuelle de l’énergie pour les périodes 2018-2023 et 2024-2028) avec des manœuvres grossières pour imposer la construction de plusieurs EPR en France, ont assurément conduit à la spectaculaire démission du premier Ministre d’Etat à avoir osé initié la mutation radicale qu’il annonçait.  Gageons que ce ne sera là qu’une étape, tant il semble que la transition écologique engagée ne peut pas être « un long fleuve tranquille »…  

L’INDEPENDANCE DE L’AUTORITE ENVIRONNEMENTALE SE DECRETE

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) david.deharbe@green-law-avocat.fr En réponse à l’arrêt du Conseil d’Etat du 6 décembre 2017 (CE, 6 décembre 2017, n° 400559) le Gouvernement a soumis un projet de décret à consultation publique du 6 au 28 juillet 2018 : cf. Projet de décret portant réforme de l’autorité environnementale des projets et apportant diverses modifications aux codes de l’environnement, de la sécurité sociale et de l’urbanisme. En effet, tel qu’évoqué dans un précédent article (L’autorité environnementale est morte, vive l’autorité environnementale !), par cet arrêt le Conseil d’Etat a annulé le décret n° 2016-519 du 28 avril 2016 portant réforme de l’autorité environnementale en tant qu’il désignait, à l’article R. 122-6 du Code de l’environnement, le préfet de région à la fois comme autorité instructrice ou décisionnaire et autorité environnementale pour les projets mentionnés à l’article L. 122-1 du même code. La Haute juridiction a rappelé à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE, 20 octobre aff. C-474/10) qu’« il résulte clairement des dispositions de l’article 6 de la directive du 13 décembre 2011 que, si elles ne font pas obstacle à ce que l’autorité publique compétente pour autoriser un projet ou en assurer la maîtrise d’ouvrage soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce qu’une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d’une autonomie réelle ». Au regard de ces dispositions le Conseil d’Etat a validé, en matière de plans et programmes, la qualification d’autorité environnementale des Missions Régionales de l’Autorité environnementale (MRAe) en ce qu’elles respectent cette « séparation fonctionnelle » avec l’autorité à l’origine de l’élaboration de ces documents. L’indépendance étant le mot-clé de cette procédure, l’enjeu réside dans l’organisation de l’autorité environnementale des projets qui doit répondre aux exigences européennes. Ainsi, le Gouvernement n’a pas seulement suivi les exigences rappelées par le Conseil d’Etat, mais a tout simplement de nouveau désigné les MRAe comme compétentes en matière d’avis environnementale non plus seulement pour les plans et programmes, mais également pour les projets. Ce projet de décret qui qualifie les MRAe d’autorité environnementale des projets s’explique pour deux raisons selon le Gouvernement. D’une part, le Conseil d’Etat a déjà jugé conforme la qualification de ces dernières comme autorité environnementale en matière de plans et programmes, ce qui permet de répondre à cette exigence d’autonomie. Or pour exercer cette compétence, chaque mission régionale bénéficiera, comme pour les plans et programmes, de l’appui d’agents du service régional chargé de l’environnement placés sous l’autorité fonctionnelle du président de la mission régionale.  D’autre part, la nécessité d’une sécurité juridique car depuis cet arrêt la MARe a validé un certain nombre de projets. Pour autant, cette solution semble loin d’être idéale. Premièrement, les décisions de cas par cas demeurent du ressort du préfet de région (cf. C.env. art. L. 122-1, IV., modifié par le projet de décret), ce qui revient à admettre que ce dernier peut dispenser d’étude d’impact un projet dont il délivrera l’autorisation… Ainsi, l’instauration de l’examen au cas par cas relance le débat sur l’indépendance de l’autorité environnementale vis-à-vis de l’autorité décisionnelle car finalement l’avis de la MRAe ne dépend plus que de la décision du préfet de région pour ces projets. Ensuite la question de la régularisation des avis émis par l’autorité environnementale reste en suspens particulièrement dans le cas où le contentieux est pendant alors que la critique de l’indépendance ne résulte pas d’un arrêté d’évocation qui serait caduc. Le décret n’en confirme pas moins l’indépendance de la Mrae et cela devrait inspirer le juge administrateur… (Les modalités de régularisation du vice de l’information du public bientôt précisées ?). Troisièmement, l’Autorité environnementale (Ae) a émis un avis le 11 juillet 2018 en invoquant les difficultés fonctionnelles et le manque de moyens associés à l’exercice de sa fonction. En effet, l’Ae remet en cause la sécurité juridique tant recherchée par le Gouvernement en désignant les MRAe comme autorité environnementale des projets, car ce projet de décret présenté comme simplificateur des procédures d’autorisation s’avère au contraire « complexe, voire illisible ». Le décret désigne quatre autorités environnementales (le Ministre, l’Ae, les MRAe et le préfet de région) chacune compétente selon le stade d’avancement du dossier déposé par le maître d’ouvrage, et qui selon elle ne fait que complexifier la procédure. L’Ae relève notamment l’absence de garanties sur les ressources nécessaires au bon fonctionnement de cette autorité, car si le projet de décret se veut tirer les conséquences de l’arrêt du Conseil d’Etat du 6 décembre 2017, l’autorité environnementale doit disposer « d’une autonomie réelle, impliquant notamment qu’elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le projet concerné ». Or, l’Ae relève d’ores et déjà que ce manque de moyens aura un impact considérable sur son fonctionnement. L’insuffisance des ressources nécessaires pose la question de la qualité des avis de l’autorité environnementale notamment pour les projets importants en termes d’impacts sur l’environnement. Ainsi, selon l’Ae le projet de décret présenté en juillet ne permet pas de garantir l’indépendance de l’autorité environnementale des projets. L’indépendance est, a priori, loin d’être décrétée pour l’autorité environnementale à la française qui semble lestée de pesanteurs administratives

Les dérogations réglementaires à l’honneur (appel à projets relatifs aux dérogations réglementaires publié par le Ministère de l’Economie)

Par Me Jérémy TAUPIN – Green Law Avocats Ainsi que nous l’indiquions précédemment sur le blog, bien que le droit à l’expérimentation demeure assez peu utilisé, sa mise en œuvre permettrait l’aboutissement de projets innovants qui s’avèrent irréalisables en l’état de la législation. Dans le but de faciliter et d’intensifier la mise en œuvre de ce droit en tant que levier de développement économique, le Ministère de l’Economie et des Finances a ainsi récemment publié sur le portail de la modernisation de l’action publique. : un Appel à projets relatifs aux dérogations législatives ;   un Appel à projets relatifs aux dérogations règlementaires; Ces appels à projets avaient étés annoncés par le Président de la République. Ils consistent en réalité en un renforcement du dispositif France Expérimentation, initié en 2016 par François Hollande. Si le premier appel à projets, relatif aux dérogations législatives, est désormais clos, le second relatif aux dérogations règlementaires, reste ouvert de manière pour une durée à ce jour indéfinie.   Il s’insère dans un contexte général d’expérimentation de dérogations réglementaires. Rappelons en ce sens le dispositif issu du décret n° 2017-1845 du 29 décembre 2017 relatif à l’expérimentation territoriale d’un droit de dérogation reconnu au préfet permettant aux préfets, sur certains territoires, de déroger aux dispositions réglementaires applicables dans un large spectre de matières, parmi lesquelles figurent l’urbanisme et la construction. Une instruction du ministère de l’intérieur du 9 avril 2017 balise les contours de ce dispositif en détaillant les modalités de sa mise en œuvre et ses limites, exemples à l’appui. S’agissant plus précisément de de l’appel à projets précité, le pouvoir de dérogation s’exerce quant lui à l’occasion de l’instruction d’une demande individuelle et se traduit par la prise d’une décision au cas par cas. Il s’agit donc de permettre aux préfets concernés de décider ponctuellement de ne pas appliquer une disposition réglementaire à un cas d’espèce, ce qui la plupart du temps devrait conduire à exonérer un particulier, une entreprise ou une collectivité territoriale d’une obligation administrative. Il est à noter que les critères d’éligibilité et de sélection des projets sont les mêmes que celles applicables aux anciennes demandes de dérogations législatives. Cet appel à projet est ainsi encadré par d’importants critères d’éligibilité (i.) et de sélection (ii.) que nous rappelons ci-dessous : (i.)       Les critères d’éligibilité Pour être éligible, le dossier devra notamment respecter les critères suivants : –        être innovant car il devra porter sur une thématique porteuse de perspective d’activité et d’emploi ainsi que sur l’introduction d’un produit ou service nouveau pour le marché ; –        identifier de façon précise la disposition législative pour laquelle le porteur de projet sollicite une dérogation ; –        expliciter en quoi la disposition législative pour laquelle le porteur de projet sollicite une dérogation ne permet pas le développement du projet ; –        proposer une solution juridique, respectant les normes constitutionnelles ou européennes s’imposant aux pouvoirs législatif et réglementaire, qui permettrait le développement du projet ; –        comporter une estimation de la durée de dérogation à la disposition nécessaire au développement du projet et à son évaluation. Cette durée, nécessairement limitée, sera déterminée lors de la mise en œuvre de l’expérimentation ; –        indiquer les mesures susceptibles d’être prises afin de réduire d’éventuels risques additionnels ; –        comporter des propositions concernant les modalités d’évaluation a posteriori du bilan socio-économique (synthétisant par exemple les effets économiques, environnementaux, sur la santé publique, sur la sécurité des personnes, etc.) de la dérogation attribuée et permettant d’apprécier la matérialisation ou non des risques ayant entraîné initialement la mise en place de la réglementation et préciser les données à transmettre à l’administration pour la mise en œuvre de l’évaluation. Il est important de souligner que les projets sollicitant une dérogation à une norme émise par les institutions de l’Union européenne (règlement européen, directive européenne, etc.) ne seront pas éligibles à une dérogation. Cette règle d’éligibilité, qui résulte de l’application du principe de primauté du droit de l’Union européenne, relativise l’intérêt du dispositif d’expérimentation concernant certains projets tels que les projets de nature économique, en raison de l’existence de règles de l’Union européenne concernant les aides d’Etat, la concurrence ou encore la mise en concurrence) et les projets de nature environnementale, tant le droit de l’environnement est innervé aujourd’hui par le droit de l’Union européenne. Pour autant, cette contrainte ne doit pas décourager les porteurs de projets. De même, les projets sollicitant une dérogation à une réglementation relevant d’une autorité administrative indépendante (AAI3) ne sont pas éligibles à une dérogation. Par ailleurs, il est à noter qu’il incombe au porteur de projet de fournir l’ingénierie juridique permettant le développement de son projet conformément aux normes constitutionnelles et européennes.   (ii.)      Les critères de sélection  Les projets éligibles seront sélectionnés sur le fondement de critères adaptés, notamment : –        le développement de nouveaux produits ou services à fort contenu innovant et à forte valeur ajoutée ; –        l’effectivité de la contrainte juridique ; –        l’opportunité de déroger à la législation au regard des préoccupations d’intérêt général, notamment en matière sociale, environnementale ou de santé publique ; –        la mise en place d’une évaluation quantifiée de l’impact de la dérogation afin de mesurer l’opportunité d’une éventuelle généralisation. C’est dans ce contexte que le cabinet Green Law Avocats accompagne les porteurs de projet dans le cadre de la construction et du dépôt du dossier de demande de dérogation règlementaire.

Energie: Le contrat ayant pour objet la vente des droits à délivrance de certificats d’économies d’énergie (CEE) n’est pas un contrat de la commande publique et n’est donc pas susceptible de faire l’objet d’un référé contractuel (Conseil d’Etat, 7 juin 2018, n°416664)

Par Me Thomas RICHET – Green Law Avocats De manière inédite, et par un arrêt rendu le 7 juin 2018, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la possibilité pour un concurrent évincé d’effectuer un référé contractuel à l’encontre d’un contrat ayant pour objet la vente, par un syndicat d’énergie, des droits à délivrance de certificats d’économies d’énergie (CEE). Mis en place il y a 12 ans, le dispositif des Certificats d’Economie d’Energie (CEE) repose sur une obligation de réalisation d’économies d’énergie imposée par les pouvoirs publics aux vendeurs d’énergie, lesquels doivent promouvoir l’efficacité énergétique auprès des consommateurs d’énergie (ménages, collectivités territoriales ou professionnels). Le 1er janvier 2018, le dispositif est entré dans sa 4ème période d’obligation pour une durée de 3 ans. Il s’agit d’un levier financier pour les entreprises et les collectivités, dites obligées, dans le cadre de de leurs projets de maîtrise de l’énergie puisqu’elles peuvent céder les CEE à titre onéreux à des intermédiaires. Il peut ainsi s’agir de sociétés de courtage ou de structures délégataires subrogées dans les droits des « obligés ». Le cadre juridique est en pleine évolution (voir notre analyse déjà publiée sur le sujet). Dans l’affaire tranchée par la Haute juridiction, un contrat ayant pour objet la vente, par un syndicat d’énergie, des droits à délivrance de certificats d’économies d’énergie (CEE) a été conclu entre le syndicat intercommunal pour le recyclage et l’énergie par les déchets et ordures ménagères (SIREDOM) et la société Capital Energy. Concurrente évincée à l’attribution de ce contrat, la société Geo France Finance a saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Versailles d’un référé contractuel, sur le fondement de l’article L. 551-13 du Code de justice administrative, pour en solliciter l’annulation. Pour rappel, peuvent notamment faire l’objet d’un référé contractuel les contrats  « ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique. » (Cf. Article L. 551-13 du Code de justice administrative précité). Le juge des référés du Tribunal a rejeté le référé de la société Geo France Finance par une ordonnance n° 1707752 du 4 décembre 2017. Le Conseil d’Etat, saisi en cassation contre l’ordonnance précitée, devait donc tout d’abord s’assurer de la possibilité, en l’espèce, d’effectuer un tel référé contractuel. Pour ce faire, la question de la qualification juridique du contrat conclu entre le SIREDOM et la société Capital Energy était donc un préalable nécessaire. Sur ce point le Conseil d’Etat apporte une réponse complète : « ce contrat, qui ne comporte ni exécution de travaux, ni livraison de fournitures, ni prestation de services de la part du cocontractant, n’a pas pour objet de satisfaire un besoin du SIREDOM au moyen d’une prestation en échange d’un prix ; que la circonstance que les recettes ainsi acquises par le SIREDOM puissent être affectées au financement des travaux d’adaptation du centre intégré de traitement des déchets conclu avec la société Eiffage est sans incidence sur l’objet du contrat en litige, qui est distinct du marché de conception-réalisation portant sur les travaux d’adaptation du centre ; que ce contrat n’étant pas un marché public, il ne revêt pas un caractère administratif par détermination de la loi ; qu’il ne fait pas non plus participer la société cocontractante à l’exécution du service public et ne comporte pas de clauses qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, impliquent, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ; qu’il a, en conséquence, le caractère d’un contrat de droit privé » (considérant 5 de l’arrêt). Le contrat conclu entre le syndicat d’énergie et la société Capital Energy n’étant pas un contrat de la commande publique, il ne pouvait pas faire l’objet d’un référé contractuel sur le fondement de l’article L. 551-13 du Code de justice administrative. Le pourvoi de la société évincée a donc été rejeté.