supermarchéUne récente décision de la Cour administrative d’appel de Marseille rendue sur renvoi du Conseil d’Etat (CAA Marseille, 31 juillet 2014, n°13MA05107, consultable ici) rappelle dans quelles hypothèses le dossier de création d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) doit comprendre une étude d’incidences Natura 2000, et précise les conséquences que peuvent avoir les conclusions de cette étude sur le projet.

En l’espèce, la délibération par laquelle une commune avait approuvé le dossier de création d’une ZAC visant à l’aménagement d’une station touristique de montagne avait été déférée au Tribunal administratif de Montpelier par le Préfet des Pyrénées-Orientales.

Ce dernier avait en effet considéré que le projet méconnaissait les dispositions de l’article L.414-4 du code de l’environnement, aux termes duquel le dossier de création des ZAC susceptibles d’affecter de façon notable un site Natura 2000 doit être complété par un dossier d’évaluation des incidences du projet au regard des objectifs de conservation des habitats naturels et des espèces qui y vivent.

Le Tribunal administratif avait fait droit à ce moyen, mais les juges d’appel avaient censuré cette solution, au motif que l’impact du projet sur le site protégé n’était pas suffisamment important (notamment au vu des mesures compensatoires prévues) pour justifier l’annulation de la délibération :

« Considérant que le document d’évaluation des incidences du projet de la zone d’aménagement concerté Porte des Neiges au regard des objectifs de conservation du site d’intérêt communautaire, répertorie au titre des habitats naturels prioritaires les formations herbeuses à Nards riches en espèces (code UE 6230) ainsi que les tourbières hautes actives (code UE 7110) ; qu’il ressort de ce document que le projet, qui n’a aucune incidence notable sur les objectifs de conservation des espèces d’oiseaux justifiant la zone de protection spéciale, conduit toutefois à une destruction irrémédiable de 14,28 hectares des formations herbeuses à Nardus riches en espèces sur substrats siliceux des zones montagnardes, soit 0,72% du site d’intérêt communautaire, à une destruction de 0,007 hectares des tourbières hautes actives, soit 0,02% du site d’intérêt communautaire ; que par ailleurs l’étude d’incidence montre qu’outre les zones herbeuses à Nard et les mosaïques à Nard, le projet affectera sur une étendue de 11 hectares, soit 0,55% du site d’intérêt communautaire, avec des effets faibles à très faibles, les landes alpines et boréales, les pelouses siliceuses héliophiles à Gispet, les mégaphorbiaies hygrophiles d’ourlets planitiaires, les éboulis ouest méditerranéens et thermophiles, les pentes rocheuses siliceuses avec végétation chasmophytique ; Considérant qu’eu égard, d’une part, au caractère très limité des espaces affectés par le projet par rapport à la superficie totale du site d’intérêt communautaire et d’autre part, à la faible intensité des effets négatifs sur ces espaces, alors que sont prévues par l’étude d’impact du projet de zone d’aménagement concerté des mesures de réduction des impacts sur le milieu naturel ainsi que des mesures compensatoires, le préfet ne démontre pas que la création de la zone d’aménagement concerté serait susceptible d’affecter le site d’intérêt communautaire Capcir, Carlit et Campcardos de manière significative et méconnaîtrait ainsi l’obligation de protection des sites Natura 2000 ; […]» (CAA Marseille, 17 mars 2011, n°09MA00510)

 

Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat avait toutefois jugé, dans un arrêt du 13 décembre 2013 (CE, 13 déc. 2013, n° 349541), que la Cour avait méconnu les dispositions de l’article L.414-4 du code de l’environnement en ne fondant son évaluation que le rapport entre la superficie d’habitats naturels affectée et celle du site Natura 2000, sans tenir compte des différents objectifs de conservation dudit site. La Haute juridiction avait également précisé que seules les mesures de nature à supprimer ou réduire les effets dommageables du projet de ZAC sur le site devaient être prises en compte par le juge, et non les mesures compensatoires (sur ce point, voir aussi CAA Nancy, 1re ch., 12 juin 2014, n° 13NC00244).

Il incombait donc à la Cour administrative d’appel de Marseille de se prononcer à nouveau su la légalité de la délibération litigieuse, en tenant compte des précisions de l’arrêt du 13 décembre 2013.

Dans un premier temps, la juridiction d’appel rappelle que le projet ne pouvait qu’être soumis à l’obligation de réaliser une étude d’incidences Natura 2000 en raison de son ampleur :

« Considérant qu’au sens de la législation applicable en matière d’environnement, qui est indépendante de celle applicable en matière d’urbanisme, la délibération approuvant le dossier de création d’une ZAC doit être regardée comme en permettant à terme la réalisation, et donc comme faisant entrer la ZAC ainsi créée dans le champ des dispositions précitées du I de l’article L. 414-4 ; qu’alors que le projet en litige couvre 54 hectares et prévoit la construction de 2 300 places de parkings et de 80 000 m² de surface hors oeuvre nette, dont 40 000 m² de logements, 28 000 m² d’hôtels et assimilés et 12 000 m² de commerces, services et équipements, il ne peut qu’être regardé comme de nature à affecter de façon notable le site d’importance communautaire à l’intérieur duquel il se situe ; qu’ainsi, contrairement à ce que soutient la société intervenante, le projet de ZAC devait légalement faire l’objet d’une évaluation de ses incidences au regard des objectifs de conservation du site ; » (CAA Marseille, 31 juillet 2014, n°13MA05107)

 

Dans un second temps, elle se penche sur les résultats de l’étude d’incidences, cette fois appréciés au regard des objectifs de conservation du site (à savoir « conserver ou rétablir dans un état favorable à leur maintien à long terme les habitats naturels et les populations des espèces de faune et de flore sauvages qui ont justifié sa délimitation, et éviter la détérioration de ces mêmes habitats naturels et les perturbations de nature à affecter de façon significative ces mêmes espèces », C. Envir., Art. L.-414-1, V) et non du seul ratio entre la superficie totale et la superficie impactée par le projet :

« Considérant, d’une part, que dans sa partie consacrée aux effets de la ZAC, le document d’évaluation des incidences des projets Porte des Neiges au regard des objectifs de conservation des sites Natura 2000 indique que deux habitats naturels prioritaires, les formations herbeuses à Nardus riches en espèces sur substrats siliceux des zones montagnardes (code UE 6230), et les tourbières hautes actives (code UE 7110), sont présentes sur l’emprise du projet en litige ; que ce dernier conduit à une destruction permanente de 14,28 hectares des premières, et de 0,07 hectare des secondes, cependant que la modification de l’écoulement des eaux de surface assècherait aussi ces tourbières hautes actives sur une superficie non précisée ; que le document d’évaluation des incidences montre, en outre, que le projet aurait un impact sur cinq autres types d’habitats naturels d’intérêt communautaire, altérant définitivement plus de 10 autres hectares ;

Considérant, d’autre part, que l’expertise missionnée par le préfet des Pyrénées-Orientales a conclu en janvier 2009 que « l’impact sur les nardaies [réalisé par l’évaluation des incidences] est sous-estimé, en raison notamment de la fragmentation de l’habitat induite par les aménagements du domaine skiable » et que, s’agissant des tourbières, « outre leur destruction directe par l’implantation des constructions de la ZAC, les tourbières situées en aval du domaine skiable et de la ZAC seront impactées à la fois par le drainage et par les concentrations d’eau en cas de fortes précipitations induits par ces ouvrages » et que « s’agissant d’un habitat rare, le critère de proportion de superficie détruite par les strictes emprises des prises et constructions(…) ne paraît pas adapté » ; que cette même expertise souligne que l’habitat du papillon damier de la succise relève du même diagnostic que les tourbières et qu’il paraît menacé ;

Considérant, enfin, que si le document d’évaluation des incidences indique des mesures de nature à supprimer ou réduire les effets négatifs prévisibles du projet, telles que l’information des équipes de chantier sur la fragilité des habitats, la maîtrise absolue de l’emprise du chantier, la récupération des eaux à l’amont de l’emprise urbaine et la restitution à l’aval dans le lit des ruisseaux, le choix préférentiel de pistes de ski en parcours naturel avec un damage à partir d’un enneigement égal ou supérieur à 50 cm pour une bonne protection, la nature de ces mesures ne permet pas de mesurer leur portée réelle, en l’absence notamment de toute évaluation des superficies altérées tenant compte de leur mise en oeuvre ;

Considérant, par conséquent, que la réalisation du projet, qui conduirait à une détérioration de 25 hectares d’habitats naturels, dont 14 d’habitats prioritaires, porterait atteinte à l’état de conservation des habitats qui ont justifié la délimitation du site, alors même qu’ils ne représentent qu’un faible pourcentage de la superficie totale de ce site ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier, et n’est d’ailleurs pas allégué, que le projet serait justifié par des motifs liés à la santé ou à la sécurité publique ou tirés des avantages importants que le projet procurerait à l’environnement, ni par d’autres raisons impératives d’intérêt public au sens des dispositions précitées de l’article L. 414-4 ; que, dès lors, le préfet des Pyrénées-Orientales est fondé à soutenir qu’en adoptant la délibération en litige, le conseil municipal de Porta a méconnu les dispositions de l’article L. 414-4 du code de l’environnement ; que ladite délibération doit, par suite, être annulée ; »

La mise en œuvre de la méthode d’évaluation prescrite par le Conseil d’Etat a donc conduit les juges du fond à inverser leur solution initiale.

A cet égard, il est intéressant de remarquer que les éléments pris en compte par la Cour ont trait à la diversité des habitats ou des espèces affectés, à leur rareté, et à la superficie du site susceptible d’être altérée.

Enfin, sans surprise, l’arrêt précise également que l’aménagement d’une station touristique de montagne ne peut bénéficier du régime dérogatoire prévu par le VII de l’article L. 414-4, faute pour le projet de présenter un intérêt public impératif (sur cette notion, voir CJUE 16 févr. 2012, Marie-Noëlle Solvay et a. c/ Région wallone, aff. C-182/10: RJ envir. 2012. 584, note Bétaille ; CJUE 11 sept. 2012, Nomarchiaki Aftodioikisi Aitoloakarnanias, aff. C-43/10: BDEI n°44-2013, p. 42).

Lou DELDIQUE