Urbanisme / responsabilité administrative : seule l’autorité de délivrance peut être mise en cause (CE, 9 nov. 2015, n° 380299)

concept équilibre précaire prix immobilierPar Lou Deldique

Green Law Avocat

Une récente décision du Conseil d’Etat (CE, 9 nov. 2015, n° 380299, consultable ici) précise utilement les conditions d’exercice d’un recours indemnitaire en matière d’urbanisme.

Rappelons en effet que la responsabilité extracontractuelle de l’autorité administrative dans l’exercice de ses compétences d’urbanisme peut être engagée par le pétitionnaire qui a subi un dommage en raison d’une décision ou d’un agissement illégal (pour un exemple récent, voir notre analyse ici).

Dans cette hypothèse, il est crucial pour le requérant de bien identifier la personne publique responsable, dans la mesure où une requête indemnitaire mal dirigée est irrecevable.

En matière d’autorisation d’occupation du sol, il est de jurisprudence constante que la responsabilité à rechercher est celle de la personne publique au nom de laquelle la décision fautive a été prise (CAA Nantes, 30 déc. 1999, n° 94NT00747 ; CE, 26 oct. 1973, n° 87909).

Ainsi, lorsque la décision illégale a été prise par le maire:

  • la commune sera responsable s’il a agi au nom de celle-ci,
  • mais ce sera l’Etat d’indemniser le requérant s’il a agi au nom de l’État (CE, 20 juill. 2007, n° 278611 Rép. min. n° 41207 : JOAN Q, 9 juin 2009, p. 5617).

L’arrêt commenté complète cette théorie en précisant qu’ « une faute commise dans le cadre de la procédure d’instruction d’une demande d’autorisation d’urbanisme n’est susceptible d’engager, à l’égard du pétitionnaire, que la responsabilité de la personne publique qui délivre ou refuse de délivrer l’autorisation sollicitée, quand bien même la faute entacherait un avis émis par une autre personne au cours de l’instruction de la demande ».

En l’espèce, les requérants avaient acquis un terrain dans le but d’y construire une maison d’habitation : dans le cadre de ce projet, ils avaient obtenu un certificat d’urbanisme positif mentionnant que la parcelle était desservie par les réseaux publics, puis un permis de construire délivré par le préfet suite à un avis favorable du maire.

Or il s’est avéré que les renseignements relatifs à la desserte des réseaux publics donnés par le maire étaient inexacts : ayant dû procéder à des travaux de raccordement initialement non prévus, les requérants ont alors cherché à se faire indemniser par la commune devant le Tribunal administratif de LILLE

Les premiers juges ont toutefois rejeté leur action, qu’ils ont estimée mal dirigée. Le jugement relevait ainsi que le certificat d’urbanisme et le permis de construire avaient été délivrés par le préfet au nom de l’Etat et qu’en conséquence, seule la responsabilité de ce dernier pouvait être engagée.

Le Conseil d’Etat valide cette solution, et pose pour principe que seule l’autorité de délivrance peut être mise en cause, même si la faute a été commise par une autre personne publique lors de l’instruction de la demande :

« Considérant qu’une faute commise dans le cadre de la procédure d’instruction d’une demande d’autorisation d’urbanisme n’est susceptible d’engager, à l’égard du pétitionnaire, que la responsabilité de la personne publique qui délivre ou refuse de délivrer l’autorisation sollicitée, quand bien même la faute entacherait un avis émis par une autre personne au cours de l’instruction de la demande ;

Considérant que, selon l’article L. 410-1 du code de l’urbanisme dans sa rédaction applicable à la date de délivrance du certificat d’urbanisme en cause, le certificat d’urbanisme est délivré au nom de l’Etat dans les communes où n’ont été approuvés ni carte communale ni plan local d’urbanisme ; qu’il en va de même pour la délivrance du permis de construire, en vertu de l’article L. 421-2 du code de l’urbanisme en vigueur à la date du permis délivré à M. et Mme A…;

Considérant que, pour juger que les conclusions indemnitaires dirigées contre la commune étaient irrecevables comme mal dirigées, le tribunal administratif a relevé que le certificat d’urbanisme et le permis de construire mis en cause avaient été délivrés par le préfet au nom de l’Etat et en a déduit que les erreurs dont seraient entachés ces actes n’étaient susceptibles d’engager que la responsabilité de l’Etat au nom duquel ils avaient été délivrés ; qu’il a jugé que l’erreur que le maire aurait pu commettre en émettant un avis lors de l’instruction du certificat d’urbanisme et du permis de construire ne pouvait engager que la responsabilité de l’Etat ; qu’en statuant ainsi, par un jugement qui est suffisamment motivé au regard de l’argumentation des parties, le tribunal administratif n’a pas commis d’erreur de droit ; qu’après avoir relevé que les conclusions formées devant le juge administratif par M. et Mme A… ne recherchaient que la responsabilité de la commune d’A., la tribunal administratif a pu, sans erreur de droit, déduire de ce qui précède que les conclusions indemnitaires étaient mal dirigées ; »

 

Si cette solution présente indéniablement l’avantage de la simplicité, elle est cependant sévère pour les requérants qui auraient recherché la responsabilité de l’auteur de l’avis illégal. Ce d’autant qu’en application de la règle de la prescription quadriennale, leur action risque fort de ne pas pouvoir être réintroduite contre la bonne personne publique…