Recours indemnitaire en urbanisme : la victime de l’administration doit être diligente !

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Lou DELDIQUE (Green Law Avocat)

Bien qu’exercée dans un but d’intérêt général, l’action de l’administration peut parfois être la cause d’un préjudice pour les particuliers, qui n’ont alors d’autre choix que d’engager la responsabilité de celle-ci.

Lorsque c’est une décision illégale qui est à l’origine du dommage, il s’agira d’un régime de responsabilité pour faute, supposant de démontrer trois éléments :

  • La faute de l’administration ;
  • L’existence d’un préjudice suffisamment direct et certain de la victime ;
  • Un lien de causalité entre cette faute et le préjudice.

Une récente décision rendue par le Conseil d’Etat en matière d’urbanisme (CE, 14 nov. 2014, n° 366614, consultable ici) revient sur le troisième de ces critères, et précise son appréciation par le juge.

En l’espèce, le maire d’une commune avait fait opposition à la déclaration préalable déposée par des particuliers en vue de la réalisation d’un lotissement sur leur terrain : cette décision avait ensuite été annulée par le Tribunal administratif de Bordeaux. Son illégalité, et donc la faute de l’administration, étaient dès lors indiscutables (CE, 26 janvier 1973, n°84768),

Considérant que cet acte leur avait causé un préjudice, les requérants avaient également engagé une action indemnitaire : ils soutenaient ainsi que, n’ayant pu produire à temps une décision de non-opposition à déclaration préalable, comme l’exigeait l’une des clauses suspensives d’un compromis de vente de leur terrain, ils avaient été contraints de renoncer à cette transaction.

Le Conseil d’Etat, statuant en cassation, a toutefois rejeté leur demande au motif que le lien de causalité entre la faute et le dommage devait être considéré comme rompu.

En effet, la Haute Juridiction a relevé que l’échec du compromis de vente n’était pas imputable à la décision illégale du maire, mais plutôt au manque de diligence dont les requérants avaient fait preuve pour prévenir la réalisation de leur dommage, en n’engageant la procédure de référé adéquate que plus de deux ans après l’intervention de ladite décision. L’arrêt précise également que le compromis de vente invoqué n’avait été conclu que 18 mois après l’intervention de la décision d’opposition (et donc nécessairement en toute connaissance de cause) :

 « Considérant, en premier lieu, qu’en vertu des règles régissant la responsabilité des personnes publiques, celle-ci ne peut être engagée que s’il existe un lien de causalité suffisamment direct et certain entre la faute et le dommage invoqué ; que tel n’est pas le cas lorsque le requérant n’établit pas avoir accompli les diligences appropriées pour prévenir la réalisation de ce dommage ou a fait preuve de négligence ; que le tribunal a relevé, au terme d’une appréciation souveraine des pièces du dossier, que l’échec de la transaction, conclue dix-huit mois après l’arrêté portant opposition à déclaration préalable litigieux, était imputable au choix de l’intéressée, qui n’a saisi le juge des référés que le 24 août 2010, postérieurement à l’échec du compromis de vente, de ne pas recourir en temps utile à des voies de droit, mais de se contenter de démarches personnelles infructueuses, en appelant l’attention du maire sur l’illégalité de l’arrêté du 4 avril 2008 par courriers des 6 avril, 29 septembre et 29 novembre 2008 ; qu’en jugeant qu’il n’existait pas de lien direct et certain de causalité entre l’illégalité fautive entachant l’arrêté et les préjudices allégués, le tribunal administratif n’a pas commis d’erreur de qualification juridique ; »

Cette décision confirme le principe selon lequel la responsabilité de l’administration ne peut être engagée pour la réparation des dommages qui ne trouvent pas leur cause dans l’illégalité d’une de ses décisions, mais découlent de la situation dans laquelle la victime s’est elle-même placée, indépendamment des faits commis par la puissance publique (CAA Lyon, 9 juill. 2013, n° 12LY02382), en l’étendant au cas du requérant qui n’a pas agi de manière suffisamment efficace pour empêcher la réalisation de son dommage.

On ne manquera toutefois pas de noter qu’elle pénalise assurément les requérants mal informés des procédures juridictionnelles envisageables, et incite les victimes à multiplier les instances : en l’espèce, on peut ainsi supposer que les requérants, qui, rappelons-le, avaient contesté la décision d’opposition à déclaration préalable devant le Tribunal administratif, pensaient avoir fait preuve de suffisamment de diligence… et espéraient peut-être que le juge du fond se prononcerait plus rapidement qu’il ne l’a fait !

Cela doit cependant conduire les administrés s’estimant face à une décision illégale à faire preuve de diligence dans les procédures à mener (il vaut mieux perdre une action plutôt que de se voir reprocher de ne pas l’avoir menée), et de veiller aux délais de recours car la prescription quadriennale ne court pas à compter du jugement d’annulation mais bien à compter de la décision illégale.