Urbanisme, premier exemple de sauvetage accompli d’un PLU ! (CAA Nantes, 29 décembre 2014 et 11 mai 2015, n°13NT03248)

Art emergency exitPar Lou DELDIQUE

Green Law Avocat

La Loi ALUR du 24 mars 2014 a introduit la possibilité pour le juge saisi d’un recours en excès de pouvoir dirigé contre un document d’urbanisme de sursoir à statuer lorsqu’il constate que ledit document est affecté d’une illégalité régularisable.

Ce nouveau pouvoir du juge est prévu et encadré par l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme, aux termes duquel :

« Si le juge administratif, saisi de conclusions dirigées contre un schéma de cohérence territoriale, un plan local d’urbanisme ou une carte communale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’une illégalité entachant l’élaboration ou la révision de cet acte est susceptible d’être régularisée, il peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation et pendant lequel le document d’urbanisme reste applicable, sous les réserves suivantes :

En cas d’illégalité autre qu’un vice de forme ou de procédure, pour les schémas de cohérence territoriale, les plans locaux d’urbanisme et les cartes communales, le sursis à statuer ne peut être prononcé que si l’illégalité est susceptible d’être régularisée par une procédure de modification prévue aux articles L. 122-14-1 à L. 122-14-3 ou L. 123-13-1 à L. 123-13-3 ou au cinquième alinéa de l’article L. 124-2 ;

En cas d’illégalité pour vice de forme ou de procédure, le sursis à statuer ne peut être prononcé que si l’illégalité a eu lieu, pour les schémas de cohérence territoriale et les plans locaux d’urbanisme, après le débat sur les orientations du projet d’aménagement et de développement durables.

Si la régularisation intervient dans le délai fixé, elle est notifiée au juge, qui statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. […] »

 

Comme on pouvait s’y attendre, cet article, qui permet véritablement de « sauver » un document d’urbanisme entaché d’une irrégularité en évitant à la collectivité de devoir reprendre toute la procédure d’élaboration ou de révision, a déjà été invoqué à plusieurs reprises, mais souvent sans succès.

Ainsi :

  • la Cour administrative d’appel de Nantes a jugé en octobre 2014 que l’absence, dans le cadre d’une révision simplifiée, de convocation de certaines personnes publiques associées à un examen conjoint du projet de document et la tardiveté de la délibération sur les modalités de la concertation prévue à l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme, réalisée après cet examen conjoint, ne pouvaient être régularisées (CAA Nantes, 10 oct. 2014, n° 13NT00915) ;
  •  la Cour administrative d’appel de Lyon a également refusé d’appliquer l’article L. 600-9, au motif que l’absence de détermination des objectifs poursuivis par la révision d’un POS en méconnaissance de l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme ne constitue pas non plus une irrégularité susceptible d’être régularisée (CAA Lyon, 27 janv. 2015, n° 14LY01961).

L’espèce commentée (CAA Nantes, 29 décembre 2014, n°13NT03248 consultable ici et CAA Nantes, 11 mai 2015, n°13NT03248), constitue, à notre connaissance, le premier cas où le mécanisme du sursis à statuer est mis en œuvre et où le juge constate l’accomplissement de la régularisation demandée.

Un PLU avait en effet été approuvé à l’issue d’une procédure irrégulière, en raison de l’insuffisance de la note explicative de synthèse adressée aux conseillers municipaux préalablement à son adoption. Ne comportant aucune explication sur les choix ayant présidé à l’approbation du PLU, le sens de l’avis du commissaire-enquêteur ou sur la portée des modifications apportées à la suite des avis émis par les personnes publiques associées, cette note méconnaissait les dispositions de l’article L. 2121-12 du CGCT.

Par un arrêt avant dire droit du 29 décembre 2014, la Cour administrative d’appel de Nantes avait, après avoir précisé que les nouvelles dispositions sont d’application immédiate aux instances en cours, y compris en appel, considéré qu’il s’agissait d’un vice de procédure régularisable, et que les conditions de mise en œuvre de l’article L. 600-9 étaient réunies, dès lors  :

  •  que l’irrégularité était intervenue après le débat sur les orientations du projet d’aménagement et de développement durable (PADD) ;
  • qu’elle était susceptible de régularisation par une nouvelle délibération respectant l’obligation d’information des conseillers municipaux ;
  • qu’aucun autre moyen n’était fondé.

«  Considérant […] que [les dispositions de l’article L. 600-9], créées par l’article 137 de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, qui instituent des règles de procédure concernant exclusivement les pouvoirs du juge administratif en matière de contentieux de l’urbanisme, sont, en l’absence de dispositions expresses contraires, d’application immédiate aux instances en cours ; que par conséquent, le juge d’appel peut, à compter de l’entrée en vigueur de ces dispositions, mettre en oeuvre les dispositions de l’article L. 600-9, y compris, comme au cas particulier, dans le cas où il est saisi d’un jugement d’annulation qui a été rendu avant l’entrée en vigueur de ces dispositions ;

 

Considérant que la méconnaissance des dispositions de l’article L. 2122-12, relative à une irrégularité survenue postérieurement au débat sur les orientations du projet d’aménagement et de développement durable, est susceptible de régularisation par une nouvelle délibération respectant l’obligation d’information des conseillers municipaux imposée par cet article ; que les parties ont été invitées à présenter leurs observations sur l’éventuelle mise en œuvre des dispositions de l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de faire application de ces dernières dispositions, de surseoir à statuer et d’impartir à la commune de Saint-Michel-Chef-Chef un délai de trois mois, à compter de la notification du présent arrêt, aux fins de procéder à la régularisation de la délibération du 16 décembre 2010 du conseil municipal de Saint-Michel-Chef-Chef approuvant le plan local d’urbanisme de la commune contestée par M. C… ; »

La Cour avait donc sursis à statuer sur la requête en annulation et octroyé un délai de trois mois à la commune pour lui notifier une délibération régularisant l’insuffisance de la note explicative de synthèse transmise aux conseillers municipaux préalablement à l’adoption du PLU.

L’arrêt du 11 mai 2015 constitue l’épilogue de cette première décision, puisqu’il constate que ladite délibération a bien été adressée à la juridiction le 9 février 2015, et que le grief tiré de l’irrégularité de la procédure d’élaboration du PLU est désormais infondé :

 «  Considérant que par l’arrêt avant dire droit en date du 29 décembre 2014 visé ci-dessus la cour, après avoir écarté les autres moyens développés par M. C.. et constaté que la note explicative de synthèse communiquée aux conseillers municipaux préalablement à l’adoption de la délibération contestée était insuffisante au regard des obligations rappelées au point ci-dessus, et qu’en conséquence la délibération en litige avait été approuvée à l’issue d’une procédure irrégulière, a sursis à statuer sur la requête présentée par M. C.. jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la notification de cet arrêt, imparti à la commune de Saint-Michel-Chef-Chef pour notifier à la cour une délibération régularisant cette insuffisance de la note explicative de synthèse ;

Considérant que par délibération du 2 février 2015, produite à la cour le 9 février suivant, le conseil municipal de Saint-Michel-Chef-Chef a à nouveau approuvé le plan local d’urbanisme de la commune, en faisant précéder ce nouveau vote de la transmission aux conseillers municipaux d’une note explicative de synthèse reprenant les principales étapes de l’élaboration du document, rappelant l’ensemble des objectifs poursuivis par la transformation du plan d’occupation des sols de la commune en plan local d’urbanisme, retraçant l’avis émis par le commissaire-enquêteur à l’issue de l’enquête publique et détaillant l’ensemble des observations faites par les personnes publiques associées auxquelles avait été communiqué le plan local d’urbanisme arrêté ; que, dans ces conditions, cette délibération a eu pour effet de régulariser la procédure d’approbation du plan local d’urbanisme de la commune de Saint-Michel-Chef-Chef au regard des dispositions de l’article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède, ainsi que de l’arrêt rendu par la cour avant dire droit le 29 décembre 2014 dans la présente instance, que M. C… n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ; »

Ces deux décisions sont intéressantes en ce qu’elles permettent de préciser la notion « d’illégalité régularisable ». Elles devront à cet égard être rapprochées de deux jugements de TA qui ont eux aussi fait droit à la demande de sursis à statuer introduite par une collectivité :

  •  ainsi, le Tribunal administratif de Grenoble a, le 26 février 2015, accordé un délai de 12 mois à l’administration pour régulariser un SCOT dont l’enquête publique avait été réalisée sans que le préfet n’ait émis l’avis motivé qu’il était tenu de délivrer en application des articles L. 122-9 et suivants du code de l’urbanisme, une collectivité ayant demandé des modifications au projet de schéma (TA Grenoble, 26 févr. 2015, Cté de communes de la Bourne à l’Isère, n° 1300941) ;

 

  • de même, le Tribunal administratif de Lyon avait en décembre 2014 laissé 9 mois à une commune pour organiser une nouvelle enquête publique (la première étant irrégulière puisque le dossier d’enquête ne comprenait pas certains plans) et rectifier le classement d’une parcelle (TA Lyon, 18 déc. 2014, Mme Merlat, n° 1202081).

 

Il ne fait nul doute que cette liste devrait considérablement s’allonger au fil du temps.