Urbanisme : précisions sur le délai d’instruction d’une nouvelle demande introduite suite à l’annulation d’un refus illégal (CAA Marseille, 27 mars 2015)

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Par Lou Deldique

Green Law Avocat

Un récent arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille précise les conditions d’examen d’une demande de permis de construire réitérée suite à l’annulation d’un refus par le juge administratif (CAA Marseille, 27 mars 2015, n° 13MA01787, consultable ici).

Rappelons en effet que l’annulation d’un refus de permis de construire illégal implique le plus souvent que l’administration procède à une nouvelle instruction de la demande (l’hypothèse d’une injonction de délivrer l’autorisation en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative est en effet très rare : pour un exemple, voir TA Châlons-en-Champagne, 7 février 2013, n°1001693 et CAA Nancy, 12 juin 2014, n°13NC01092).

Dans ce cas, il appartient alors au pétitionnaire de confirmer sa demande dans les 6 mois suivant la notification de la décision définitive d’annulation, afin de bénéficier des règles d’urbanisme en vigueur à la date du refus initial (C. urb., art. L. 600-2 ; CAA Marseille, 18 octobre 2013, n°12MA02154 ; CAA Marseille, 26 mai 2014, n° 12MA00113 ; CAA Marseille, 29 janvier 2010, n°07MA04472).

Si cette formalité n’est pas accomplie, il pourra alors se voir opposer des dispositions d’urbanisme survenues postérieurement à la date du refus (CAA Marseille, 17 décembre 2010, n° 09MA00938 ; CAA Marseille, 29 janvier 2010, n°07MA04472 ; CAA Paris, 14 février 2008, n° 06PA02355 ; Rép. Min. n°15668 : JO Sénat, 30 déc. 2010, p. 3369).

 Or le code de l’urbanisme ne donne guère de précisions sur les conditions de réexamen de la demande ainsi confirmée, de sorte que l’on peut légitimement se demander si l’instruction doit se dérouler de la même manière que pour une première demande.

En l’espèce, suite à l’annulation par le tribunal administratif de Montpellier d’un refus de permis de construire portant sur la construction d’une cave de vinification et de vieillissement, le pétitionnaire avait confirmé sa demande conformément aux dispositions de l’article L. 600-2 susmentionné.

Lors de la nouvelle instruction, l’administration lui avait adressé une demande de pièces complémentaire, qui, selon elle, prolongeait le délai d’instruction mentionné dans le récépissé de sa demande initiale. Le pétitionnaire, considérant au contraire que seul le délai de 3 mois initialement précisé lui était opposable, s’était estimé titulaire d’une autorisation tacite à l’expiration dudit délai, et avait sollicité un certificat attestant de son existence. Le maire alors refusé de lui délivrer ce certificat, avant d’adopter un nouvel arrêté de refus.

Saisi d’un recours en annulation contre ces deux décisions, le Tribunal administratif de Montpellier avait fait droit à l’interprétation du requérant et considéré que :

  • Celui-ci était bien titulaire d’un permis tacite ;
  • Le second refus (qui s’analysait par conséquent comme un retrait du permis tacite) était illégal, car adopté en méconnaissance de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000, qui prévoit que les décisions administratives individuelles défavorables doivent être précédées d’une procédure contradictoire.

Confirmant cette interprétation, la Cour administrative d’appel de Marseille a jugé que la procédure de confirmation de la demande initiale en application de l’article L. 600-2 est sans incidence sur la détermination de la date à laquelle le dossier a été déposé qui reste celle à laquelle il en a été délivré récépissé.

Par suite, dès lors que le délai d’un mois au terme duquel le dossier est réputé complet (C. urb. Art. R. 423-22) est nécessairement forclos au moment où elle reçoit la demande, l’autorité administrative ne peut prolonger le délai d’instruction en invitant le pétitionnaire à fournir des pièces manquantes. La Cour en déduit que dans cette hypothèse, le service instructeur ne peut alors disposer d’un délai autre que celui initialement notifié, et que le pétitionnaire bénéficie d’une décision d’autorisation tacite une fois ce délai expiré (C. urb., art. 424-2).

En l’espèce, le maire ne pouvait donc prolonger le délai d’instruction de la demande, ni subordonner le déclenchement du délai d’instruction à la production par l’intéressé de pièces nouvelles, et le requérant était bien titulaire d’un permis tacite à l’expiration du délai de 3 mois :

« Considérant qu’il résulte des dispositions précitées de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme que lorsque le refus de permis a fait l’objet d’une annulation par le juge, l’administration reste saisie de la demande initiale de permis de construire, qu’il appartient seulement au pétitionnaire de confirmer ; que cette obligation de confirmer une demande dont l’autorité administrative se retrouve saisie par l’effet de l’annulation de la décision par laquelle elle avait statué une première fois, est sans incidence sur la détermination de la date à laquelle le dossier a été déposé qui reste celle à laquelle il en a été délivré récépissé en application des articles R. 423-3 et suivants du code de l’urbanisme ; que l’administration, qui doit à nouveau statuer dans de telles conditions sur une demande de permis de construire, ne peut, dès lors que le délai au terme duquel le dossier est réputé complet en vertu des dispositions précitées de l’article R. 423-22 du code de l’urbanisme est expiré lorsqu’elle se retrouve ainsi saisie de la demande, prolonger le délai d’instruction en invitant le pétitionnaire à fournir des pièces manquantes ; qu’elle dispose ainsi, à compter de la confirmation de sa demande par le pétitionnaire, du délai d’instruction qui avait été initialement notifié, au terme duquel, à défaut de décision expresse, le demandeur se trouve titulaire d’un permis tacite en vertu des dispositions précitées de l’article L. 424-2 du code de l’urbanisme ;

Considérant qu’en l’espèce, M. A…a confirmé sa demande de permis de construire le 5 mai 2010, après l’annulation, par jugement du tribunal administratif de Montpellier du 3 décembre 2009, du refus de permis de construire que le maire de S…lui avait opposé par arrêté du 16 octobre 2008 ; que le maire de S… ne pouvait légalement, après cette confirmation, ni prolonger le délai d’instruction de la demande, fixé à trois mois par le récépissé de dépôt du 1er août 2008, ni subordonner le déclenchement du délai d’instruction à la production par l’intéressé de pièces nouvelles ; que la commune n’est donc pas fondée à soutenir qu’elle aurait valablement interrompu le délai d’instruction du permis de construire en adressant au pétitionnaire une demande de pièces complémentaires le 1er juin 2010 ; que M. A…est dès lors fondé à soutenir qu’il est devenu titulaire d’un permis de construire tacite le 5 août 2010 ; que si, par un arrêt du 8 décembre 2011, la présente Cour a annulé le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 3 décembre 2009 pour irrégularité, avant de prononcer à nouveau l’annulation rétroactive du refus du 16 octobre 2008, cette circonstance est sans incidence sur l’existence de ce permis tacite ; que l’arrêté du maire de S….du 2 mars 2012 portant refus de permis de construire s’analyse ainsi comme une décision de retrait du permis tacite du 5 août 2010 ; »

Il convient de noter que cette solution vient invalider une réponse ministérielle de 2011, qui avait indiqué que « dans le cadre [d’une nouvelle instruction suite à l’annulation juridictionnelle d’un refus], l’autorité compétente doit demander les pièces manquantes qui auraient dû être obligatoirement fournies à l’appui de la demande, et cela quand bien même elle ne l’aurait pas fait lors de l’instruction initiale de cette demande » (Rép. min. n° 116884, JOAN Q, 29 nov. 2011, p. 12598).

 

Elle est par ailleurs certainement transposable à l’hypothèse du pétitionnaire qui n’a pas confirmé sa demande au titre de l’article L. 600-2, puisque l’autorité compétente reste alors saisie de la demande, que le juge lui ait enjoint de restatuer ou non (Rép.min. n° 18987 : JO Sénat, 19 avr. 2012, p. 975).

 

En tout état de cause, cet arrêt renforce la sécurité juridique du pétitionnaire et le place dans une position privilégiée face à l’administration, qui, ayant adopté une décision de refus illégale en premier lieu, ne peut plus lui faire perdre davantage de temps.