Urbanisme : le Conseil d’Etat précise les modalités d’appréciation de la visibilité d’un projet depuis les monuments historiques (CE, 20 janvier 2016, n°365987)

Le Conseil d'étatPar Lou DELDIQUE

Green Law Avocats

Une récente décision du Conseil d’Etat (CE, 20 janvier 2016, n°365987, consultable ici) apporte d’utiles précisions sur la manière dont la visibilité d’un projet d’urbanisme doit être appréciée depuis un monument historique.

Rappelons en effet que le code de l’urbanisme et le code du patrimoine instaurent un régime de protection spécifique aux monuments classés ou inscrits en prévoyant que les constructions situées dans leur champ de visibilité ne peuvent être autorisées qu’avec l’avis de l’architecte des Bâtiments de France (C. Patrimoine, art. L. 621-31 ; C. Urb., art. R. 425-1).

La notion de champ de visibilité est définie à l’article L. 621-30-1 du code du patrimoine, qui dispose qu’ « est considéré […] comme étant situé dans le champ de visibilité d’un immeuble classé ou inscrit tout autre immeuble, nu ou bâti, visible du premier ou visible en même temps que lui et situé dans un périmètre de 500 mètres. »

Par conséquent, deux conditions doivent être remplies aujourd’hui pour que l’architecte des Bâtiments de France soit consulté lors de l’instruction d’une demande de permis de construire :

  • d’une part, le projet doit être situé à moins de 500 mètres du monument ;
  • d’autre part, il doit être visible depuis celui-ci ou présenter des covisibilités avec lui.

En l’espèce, un cabinet d’ophtalmologie avait obtenu plusieurs autorisations d’urbanisme (permis de construire, de démolir et permis modificatif) afférentes à un projet d’extension de ses locaux, situés à moins de 500 mètres de trois monuments historiques.

Ces autorisations avaient ensuite été contestées devant par des tiers qui considéraient notamment que l’avis émis par l’architecte des Bâtiments de France était illégal en ce qu’il n’avait pas pris en compte la visibilité des constructions depuis l’un de ces monuments, la cathédrale de Strasbourg.

La Cour administrative d’appel de Nancy avait fait droit à ce moyen en estimant que c’était à tort que l’architecte des Bâtiments de France avait écarté toute visibilité depuis la cathédrale, alors qu’il était en réalité démontré que le bâtiment pourrait être perçu depuis la plateforme du monument, située à 66 mètres de hauteur :

 «  Considérant, en premier lieu, que le projet de la SCI des docteurs P… et associés de construire un immeuble à l’arrière du bâtiment sis 6 rue de l’Eglise à Strasbourg, extension de leur cabinet d’ophtalmologie, est situé, comme il a été dit ci-dessus, dans le périmètre de 500 mètres, outre de l’église protestante Saint-Pierre-Le-Jeune, du Temple Neuf et de la cathédrale Notre-Dame, monuments historiques classés ; qu’il ressort des termes mêmes de l’avis rendu le 28 août 2007, que l’architecte des bâtiments de France, chef du service départemental de l’architecture et du patrimoine, saisi le 27 août 2007, n’a pris en compte que l’église protestante Saint-Pierre-Le-Jeune sans s’interroger sur les autres monuments historiques, inscrits ou classés, susceptibles d’être affectés ; qu’il ne ressort d’aucune pièce du dossier que le projet litigieux serait visible du Temple Neuf ; que les requérants soutiennent toutefois également que le projet est visible de la plateforme de la cathédrale ; qu’à cet effet, ils produisent, d’une part, une photographie de l’emplacement de la construction projetée, établissant que la cathédrale sera visible de la partie supérieure de l’édifice, d’autre part, un rapport établi par un ingénieur géomètre, chargé de déterminer si le projet de construction litigieux est visible de la plate-forme de la cathédrale, qui constitue un lieu normalement accessible au public alors même que cet accès ne serait pas gratuit hormis quelques jours dans l’année, et certifiant cette visibilité après avoir accédé à la plateforme et dressé une vue en coupe de l’axe entre la cathédrale et le projet ;

 

[…] Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la visibilité du projet litigieux à partir de la plateforme de la cathédrale doit être regardée comme établie ; que l’avis ainsi donné par l’architecte des bâtiments de France, qui ne permet pas de s’assurer que ce dernier a exercé son contrôle sur le monument concerné, ne peut ainsi valoir autorisation régulière au regard des dispositions précitées ; que, dès lors, le permis de construire délivré par arrêté du maire de Strasbourg en date du 14 septembre 2007, ensemble le permis modificatif accordé par arrêté du maire de Strasbourg en date du 21 mai 2008, doivent être annulés ; » (CAA Nancy, 13 décembre 2012, n°11NC01245)

 

Le Conseil d’Etat confirme cette analyse, après avoir dit pour droit que « la visibilité depuis un immeuble classé ou inscrit s’apprécie à partir de tout point de cet immeuble normalement accessible conformément à sa destination ou à son usage ».

Il en résulte que seule la visibilité du projet depuis les parties accessibles des sites inscrits ou classés pourra désormais être invoquée.

Sur ce point, il convient de saluer le pragmatisme du Conseil d’Etat : en effet, le mécanisme de protection prévu par le code du patrimoine n’a de sens que si les constructions sont effectivement susceptibles d’être perçues par les visiteurs du monument et dans un certain rayon.

Notons que cette précision pourrait s’avérer particulièrement utile en matière de contentieux éolien, puisque la visibilité des aérogénérateurs depuis des sites classés ou inscrits est souvent invoquée au titre de l’article R. 111-21, même lorsque ceux-ci ne sont pas accessibles au public.