Urbanisme / demande de permis de construire valant permis de démolir : l’avis de l’ABF porte nécessairement sur l’ensemble du projet (CE, 16 mars 2015, n°380498)

Le Conseil d'étatPar

Lou DELDIQUE- Green Law Avocat

Dans un arrêt du 16 mars dernier (CE, 16 mars 2015, n°380498, consultable ici), le Conseil d’Etat a précisé qu’en cas de demande de permis de construire valant également permis de démolir dans un site inscrit, l’avis de l’Architecte des Bâtiments de France (ABF) doit être regardé comme portant sur l’ensemble de l’opération projetée, même s’il ne mentionne pas expressément la démolition.

Rappelons en effet que depuis la réforme de 2007, l’article L. 451-1 du code de l’urbanisme prévoit que « lorsque la démolition est nécessaire à une opération de construction ou d’aménagement, la demande de permis de construire ou d’aménager peut porter à la fois sur la démolition et sur la construction ou l’aménagement. Dans ce cas, le permis de construire ou le permis d’aménager autorise la démolition. » Dans cette hypothèse, la complétude du dossier de demande d’autorisation de construire valant permis de démolir doit d’ailleurs, en raison du caractère indissociable des travaux envisagés, s’apprécier de manière globale (CE, 30 déc. 2011, n°342398).

Si le projet se trouve dans un site inscrit, la délivrance de l’autorisation nécessite une consultation préalable de l’ABF, étant précisé que ce dernier émet un avis simple pour la demande de permis de construire (C. urb., art. R. 425-30 ; voir TA Toulon, 19 janv. 2012, Mme Sanguinetti, n°1001647 ; TA Amiens, 3 nov. 2011, SCI Mel, n° 1000381 ; TA Poitiers, 22 mars 2012, M. et Mme Glad, n°1000689 ; CAA Nantes, 21 mars 2014, n° 12NT01886 ; CAA Versailles, 6 déc. 2012, n° 11VE03100), et un avis conforme pour la demande de permis de démolir (C. urb., art. R. 425-18 ; voir TA Marseille, 5 déc. 2011, SAS Cie des Salins du Midi, no 1003005 ; CAA Versailles, 7 févr. 2013, no 11VE00935).

En l’espèce, une société avait déposé une demande de permis de construire portant à la fois sur la construction d’un immeuble à usage d’habitation et sur la démolition partielle d’un bâtiment préexistant. Le bâtiment se trouvant dans un site inscrit, l’avis de l’ABF était donc requis en application des dispositions susmentionnées.

Contesté par un particulier, ce permis avait été annulé par le Tribunal administratif, puis par la Cour administrative d’appel de Paris, au motif que l’avis favorable de l’ABF ne statuait pas expressément sur le volet démolition de l’opération, ce qui avait eu pour effet de vicier la procédure de délivrance (pour un exemple, voir CE, 29 janv. 2010, n° 320615).

La Cour administrative d’appel avait ainsi considéré que, bien qu’ayant statué sur un dossier complet, l’ABF n’avait visé ni le volet démolition de la demande, ni les dispositions applicables, ce qui suffisait à caractériser une irrégularité substantielle :

 « Considérant que la Ville de Paris conteste la décision d’annulation du permis de construire en litige prise par les premiers juges en faisant valoir que la seule circonstance que l’architecte des Bâtiments de France n’ait pas visé expressément les démolitions n’a eu aucune incidence sur le sens de la décision du maire, ni sur sa compétence, ni sur la protection garantie au site inscrit où se trouve la construction ; que, d’une part, il ressort des pièces du dossier que la demande dont était saisie la Ville de Paris portait à la fois sur des constructions et des démolitions pour lesquelles une seule demande de permis de construire valant également permis de démolir avait été sollicitée, conformément aux dispositions de l’article R. 425-30 précité du code de l’urbanisme ; que, d’autre part, l’existant conservé du bâtiment et les éléments destinés à être démolis figuraient de manière suffisamment explicite sur les documents et les plans de coupe joints à la demande ; que, toutefois, il n’est pas contesté que l’avis favorable émis le 10 janvier 2011 par l’architecte des Bâtiments de France au titre du site inscrit ne vise que la demande de permis de construire et non le volet démolition de ce même projet ; qu’en l’absence de son avis sur cette partie du projet et contrairement à ce que soutient la Ville de Paris, l’architecte des Bâtiments de France ne peut être regardé comme s’étant prononcé sur l’ensemble de l’opération ; qu’en conséquence, cet avis favorable portant sur la demande de permis de construire ne saurait être regardé comme l’accord exprès sur le volet démolition du projet, formellement exigé par l’article R. 425-18 précité du code de l’urbanisme ; […] que, par suite, c’est à bon droit que les premiers juges, qui ont, contrairement à ce que soutient la Ville de Paris, suffisamment motivé leur jugement en indiquant les raisons pour lesquelles l’avis de l’architecte des bâtiments de France est obligatoire pour le projet de démolition, ont considéré que le permis contesté était entaché d’illégalité pour avoir été délivré au vu d’un avis incomplet de l’architecte des Bâtiments de France ; » (CAA Paris, 20 mars 2014, n°13PA03169-13PA03170).

Le Conseil d’Etat censure toutefois cette appréciation formaliste.

Après avoir constaté que la demande de permis portait tant sur une démolition que sur une construction, et que le dossier de demande présentait l’opération projetée de manière complète, il estime ainsi que l’avis de l’ABF concernait nécessairement les deux volets de la demande :

 «  Considérant qu’il résulte de ces dispositions que lorsque la démolition d’un bâtiment situé dans un site inscrit est nécessaire à une opération de construction et que la demande de permis de construire porte à la fois sur la démolition et la construction, le permis de construire, qui autorise également la démolition, ne peut intervenir qu’avec l’accord exprès de l’architecte des Bâtiments de France ; que lorsque la demande de permis de construire porte à la fois sur la démolition et sur la construction et que les documents qui y sont joints présentent de manière complète les deux volets de l’opération, l’avis de l’architecte des Bâtiments de France exigé par les articles R. 425-18 et R. 425-30 du code de l’urbanisme doit être regardé comme portant sur l’ensemble de l’opération projetée, sans qu’il soit nécessaire que cet avis mentionne expressément la démolition ;

Considérant qu’il suit de là qu’en jugeant que l’avis favorable rendu par l’architecte des Bâtiments de France le 11 janvier 2011 sur le projet litigieux ne pouvait être regardé comme portant sur l’ensemble de l’opération au seul motif que cet avis ne visait que la demande de permis de construire et non la démolition préalable à la construction, alors qu’elle avait relevé qu’une demande de permis de construire valant également permis de démolir avait été sollicitée, la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit ; »

Cette approche pragmatique de la Haute Juridiction peut être rapprochée d’une décision de 2008 dans laquelle il avait été jugé que commet une erreur de droit le Tribunal « [qui déduit] de la seule mention dans le libellé de l’avis de l’architecte des bâtiments de France, dont l’avis conforme était requis, comme bâtiments liés au dossier, de certains des bâtiments concernés par le projet, que l’architecte des bâtiments de France [n’a] pas pris en compte les autres bâtiments en raison desquels son avis était requis » (CE, 7 août 2008, n°312055).

L’espèce commentée confirme l’appréciation portée par le TA de Nice dans des circonstances similaires (TA Nice, 20 janv. 2011, Cne de Mandelieu-la-Napoule, no 1000187).