Théorie de la connaissance acquise et péremption du permis de construire

Lösungsweg findenUne récente décision de la Cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 11 décembre 2014, n° 13BX01490 : consultable ici) précise le régime de péremption des autorisations d’urbanisme, et notamment les conditions dans lesquelles leur délai de validité commence à courir.

En effet, aux termes de l’article R. 424-17 du code de l’urbanisme, le permis de construire est périmé si les travaux ne sont pas entrepris dans le délai de deux ans à compter de sa notification au pétitionnaire. Il en est de même si, passé ce délai, les travaux sont interrompus pendant un délai supérieur à une année.

Précisons à cet égard qu’un décret du 29 décembre 2014 a, de manière temporaire, porté la durée de validité des permis de construire à trois ans au lieu de deux (D. n°2014-1661, 29 décembre 2014, JO, 30 déc., voir notre analyse ici). Un régime similaire avait été mis en œuvre en 2008.

Le pétitionnaire a toutefois la possibilité de solliciter une prorogation du permis (C. urb. Art. R 424-21) : cette demande, qui doit être introduite au moins deux mois avant la fin du délai de validité de l’autorisation d’urbanisme (C. urb., art. R. 424-22 et R. 424-23), permet ainsi de prolonger la durée de validité de l’autorisation d’un an (ou plus pour les permis éoliens, qui bénéficient d’un régime spécifique, voir notre analyse ici). La prorogation est acquise par décision expresse ou tacite (voir par exemple : CE, 6 mars 1994, n° 127671 ; CAA Paris, 15 mars 2001, n°99PA02139 et 00PA00982 ; CAA Marseille, 13 avril 2006, n°01MA01536 ; TA Caen, 19 juin 2009, n°0801814, 0802032 et 0802033).

En l’espèce, un permis de construire un immeuble de 104 logements avait été délivré à une première société le 3 juillet 2007, puis transféré à une autre société (la SCCV Rossan) en août de la même année. Celle-ci en avait ensuite demandé la prorogation, qui lui avait été accordée jusqu’au 3 juillet 2011 (le permis bénéficiait en effet du régime de prolongation temporaire de 2008) par un arrêté de juillet 2009.

Affiché tardivement, le permis de construire avait été contesté en décembre 2011 devant le Tribunal administratif de Saint-Denis, qui a, après avoir constaté sa caducité depuis le 3 juillet 2011, prononcé un non-lieu à statuer sur la demande d’annulation.

La Cour censure néanmoins cette analyse, au motif que la requête de première instance avait été introduite postérieurement à la date de caducité retenue, et que les conditions du non-lieu à statuer, qui ne peut être prononcé que lorsque l’objet du litige disparaît en cours d’instance, n’étaient donc pas réunies (CAA Nantes, 21 décembre 2004, n° 02NT00701 ; CAA Marseille, 17 octobre 2007, n° 04MA02467) :

« Considérant que le tribunal administratif de Saint-Denis a jugé que la demande présentée par les consorts A…et Mme E… était devenue sans objet au motif que le permis de construire dont ils demandaient l’annulation était périmé depuis le 3 juillet 2011 ; que dans la mesure où la demande a été enregistrée au greffe du tribunal le 16 décembre 2011, soit postérieurement à la date de péremption du permis attaqué retenue par les premiers juges, c’est à tort que ceux-ci ont estimé que la demande dont il étaient saisis était devenue sans objet en cours d’instance et ont constaté qu’il n’y avait pas lieu d’y statuer ; que le jugement en date du 28 mars 2013 doit, dès lors, être annulé ; »

Mais c’est surtout sur la question de la caducité en tant que telle que l’arrêt est intéressant.

En effet, la société appelante soutenait que le délai de validité de son autorisation n’avait pu commencer à courir, au motif que les formalités de notification n’avaient pas été accomplies conformément à l’article R. 424-10, qui prévoit un envoi en recommandé. Le Conseil d’Etat ayant déjà jugé qu’en l’absence d’une notification conforme, le délai de caducité ne court pas (CE, Société Colombier Associates Société Civile Immobilière Villa Colombier, 9 juillet 1997, n° 122472), il s’agissait là d’une argumentation tout à fait pertinente.

La Cour a toutefois rejeté ce moyen en faisant application de la théorie de la connaissance acquise.

Les juges d’appel considèrent ainsi que la SCCV Rossan avait nécessairement connaissance du permis de construire depuis le 11 juillet 2007, date à laquelle elle avait demandé le transfert de l’autorisation à son bénéfice, et en déduisent que le délai de validité avait valablement commencé à courir à cette date. Le fait qu’elle ait ensuite fait une demande de prorogation en juin 2009 ne fait d’ailleurs que confirmer cette analyse.

En tout état de cause, la Cour note que la décision de prorogation de 2009, qui mentionnait explicitement que le permis expirait le 3 juillet 2011, avait été notifiée de manière régulière : elle était donc opposable à la société appelante et le permis litigieux était bel et bien caduc depuis le 3 juillet 2011 :

« Considérant que la SCCV Rossan fait valoir que le délai de péremption du permis de construire délivré le 3 juillet 2007 n’a pas commencé de courir faute pour celui-ci d’avoir été notifié dans les conditions fixées par l’article R. 424-10 du code de l’urbanisme, lequel prévoit une lettre recommandée avec demande d’avis de réception postal lorsque le permis comporte, comme en l’espèce, des prescriptions ou participations ; que si le dossier ne comporte aucun élément permettant d’établir l’effectivité et la date de la notification de ce permis de construire à son titulaire initial, la société Groupe SOBEFI, il est toutefois constant que la SCCV Rossan en a demandé le transfert à son profit, le 11 juillet 2007, ce qui implique qu’elle en avait nécessairement connaissance à cette date, et ce transfert lui a été accordé par un arrêté du 20 août 2007 ; qu’elle a par ailleurs sollicité, le 10 juin 2009, la prorogation dudit permis, laquelle a été accordée par un arrêté du 7 juillet 2009, qui dispose, en son article unique, que  » Le permis de construire susvisé est prorogé d’un an à compter de la date de validité du permis de construire initial (3 ans), soit jusqu’au 03/07/2011.  » ; que la SCCV Rossan n’a pas contesté les mentions de cet arrêté, qui lui sont opposables, fixant au 3 juillet 2011 la date de péremption du permis obtenu le 3 juillet 2007 ; qu’au regard de l’ensemble de ces éléments, la SCCV Rossan ne pouvait ignorer qu’à défaut d’avoir commencé les travaux avant le 3 juillet 2011, l’autorisation de construire en date du 3 juillet 2007 dont elle était titulaire serait caduque ; »

Enfin, la caducité du permis de construire attaqué privant d’objet les conclusions dirigées à son encontre, la Cour a jugé le recours irrecevable :

« Considérant enfin que la SCCV Rossan a déclaré l’ouverture du chantier le 2 septembre 2011 et que les travaux n’ont dès lors pu commencer que postérieurement à cette date ; que dans ces conditions, et compte tenu de tout ce qui précède, le permis de construire délivré le 3 juillet 2007 était périmé, le 16 décembre 2011, lorsque les consorts A…et Mme E…ont demandé son annulation devant le tribunal administratif de Saint-Denis ; que, par suite, leurs conclusions tendant à l’annulation du permis litigieux sont irrecevables et doivent être rejetées ; »

Cette décision complète donc la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE, 9 juillet 1997, n° 122472), en disant pour droit que le délai de péremption d’un permis de construire est opposable à son bénéficiaire lorsqu’il est établi que ce dernier a eu connaissance de l’autorisation, et de sa durée de validité, et ce, même en l’absence de preuve d’une notification régulière.

Maître Lou DELDIQUE (Green Law Avocat)