Stockage des déchets ultimes en ISDND : une obligation jugée inconstitutionnelle

Par Maître Yann BORREL, avocat associé yann.borrel@green-law-avocat.fr) (Green Law Avocats) et Mathieu DEHARBE, Juriste (Green Law Avocats)

Par une décision en date du 11 février 2022 rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité (Cons. const., n°2021-968 QPC, téléchargeable ci-dessous), le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions de l’article L. 541-30-2 du code de l’environnement, dans sa rédaction issue de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (JORF n°0035 du 11 février 2020).

La QPC avait été transmise par le Conseil d’Etat (CE, 26 novembre 2021, req. n° 456187 disponible sur Doctrine) dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir dirigé à l’encontre du décret n°2021-838 du 29 juin 2021 (JORF n°0150 du 30 juin 2021) et de l’arrêté du 29 juin 2021 pris en application de l’article L. 541-30-2 du code de l’environnement (NOR : TREP2026510A, JORF n°0157 du 8 juillet 2021).

Pour rappel, l’article L. 541-30-2 du code de l’environnement impose aux exploitants des installations de stockage de déchets non dangereux et non inertes (ISDND) de réceptionner les déchets ultimes produits par les filières industrielles de réemploi, de recyclage et de valorisation des déchets dès lors qu’elles satisfont à certains critères de performance. De plus, ces dispositions prévoient que les producteurs ou détenteurs de déchets de ces filières sont redevables du prix de traitement des déchets qu’ils apportent, qui ne peut être facturé par l’exploitant de l’installation de stockage à un montant supérieur à celui habituellement facturé pour des déchets de même nature. Enfin, l’article L. 541-30-2 du code de l’environnement dispose que la mise en œuvre de l’obligation précitée n’ouvre aucun droit à l’indemnisation pour l’exploitant de l’ISDND, les producteurs ou détenteurs des déchets ultimes.

Le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions contestées poursuivent l’objectif de valeur de constitutionnelle de protection de l’environnement (I), mais a considéré qu’elles portent une atteinte disproportionnée au droit au maintien des conventions légalement conclues par les exploitants des ISDND (II).

I/ L’objectif de protection de l’environnement poursuivi par l’obligation de stockage des déchets ultimes en ISDND

Le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions de l’article L. 541-30-2 du code de l’environnement poursuivent l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement.

A la lecture des travaux préparatoires de la loi n°2020-105 (JORF n°0035 du 11 février 2020), les Sages de la rue de Montpensier ont considéré que le législateur a entendu garantir un exutoire aux déchets ultimes de certaines installations de valorisation et favoriser ainsi une gestion plus vertueuse des déchets, dans un contexte de raréfaction des capacités de stockage.

Les travaux préparatoire sur les dispositions contestées précisent en ce sens que ce dispositif vise à « favoriser l’exploitation et le développement d’installations vertueuses de traitement de déchets, générant une part de déchets non valorisable, en donnant, sous conditions, une priorité à ces déchets, pour leur admission en installation de stockage de déchets non dangereux non inertes (décharges), par rapport aux déchets non triés (déchets résiduels après le tri à la source des déchets objet d’une collecte séparée) » (Sénat, amendement n° 60 rect. Bis, 24 septembre 2019). Par ailleurs, ils précisent que « La raréfaction des capacités de stockage constatée depuis 2018 est due à la fermeture de quelques installations en fin de vie et surtout à l’augmentation conjoncturelle des volumes de déchets admis dans les installations de stockage, elle-même liée notamment à la reprise économique et à la fermeture des frontières chinoises à l’importation de certains déchets pour lesquels les filières de recyclage ne sont pas encore opérationnelles en Europe » (Sénat, Amendement n° 60 rect. Bis, 24 septembre 2019).

II/ Une atteinte disproportionnée au droit au maintien des conventions légalement conclues par les exploitants d’ISDND 

Si le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions de l’article L. 541-30-2 du code de l’environnement poursuivent l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement, il a toutefois considéré qu’elles portent une atteinte manifestement disproportionnée au droit au maintien des conventions légalement conclues.

Le Conseil est parvenu à cette conclusion en prenant en compte les considérations suivantes :

– tout d’abord, l’exploitant doit réceptionner l’ensemble des déchets ultimes de ces filières, alors même qu’ils ne rencontreraient pas de difficultés pour procéder à leur traitement ;

– ensuite, les dispositions contestées ne garantissent pas à l’exploitant qu’il soit en mesure d’exécuter les contrats préalablement conclus avec les apporteurs d’autres déchets, à la date de réception des déchets ;

– enfin, en cas de non-exécution d’un contrat, quelle que soit la date de la conclusion de celui-ci, les apporteurs de déchets n’ont pas la possibilité de demander réparation des conséquences de cette inexécution.

Pour toutes ces raisons, le Conseil Constitutionnel a censuré avec effet immédiat les dispositions de l’article L. 541-30-2 du code de l’environnement dans sa rédaction issue de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 (JORF n°0035 du 11 février 2020). Toutefois, cette déclaration d’inconstitutionnalité ne pourra pas être invoquée lorsque le producteur ou détenteur de déchets a régulièrement informé l’exploitant d’une ISDND de la nature et de la quantité de déchets à réceptionner, avant le 12 février 2021 (date de publication de la décision n°2021-968 QPC).