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Nul doute que l’arrêt rendu par la plus haute juridiction judiciaire le 07 janvier 2014 fera date, tant il tranche une question longuement (et âprement) débattue.

Un gestionnaire de réseau ne pourra plus utilement soutenir, devant quelque juridiction que ce soit, que le délai de transmission de la PTF n’est pas « obligatoire » ou « impératif ». Il est dorénavant établi que ce délai de transmission, expressément prévu dans plusieurs textes juridiquement opposables, oblige le gestionnaire à le respecter à l’égard des utilisateurs du réseau.  

Par sa décision « GAEC de St Doue c/ société E. » (Cass, 7.01.2014 GAEC de st doue c. E., pourvoi n°B 12-29.190, jurisprudence cabinet) la plus haute juridiction judiciaire :

  • confirme en effet la compétence du Cordis pour reconnaître que le gestionnaire de réseau avait méconnu sa documentation technique de référence en ne transmettant pas la PTF dans le délai de 3 mois. La Cour de cassation estime ici que le Cordis se prononçait sur l’existence d’un désaccord sur la conclusion d’un contrat d’accès au réseau. Or, un tel désaccord rentre dans le champ de compétence légalement et réglementairement défini du Comité.

 

  • mais surtout, confirme que le gestionnaire de réseau commet un « manquement » en ne transmettant pas la proposition technique et financière (PTF) dans le délai maximal trois mois, qui constitue une « obligation » en vertu de l’article 8.2.1 de sa documentation technique de référence.

En l’espèce, il faut rappeler que le GAEC avait d’abord obtenu du CoRDIS qu’il dise qu’ERDF avait méconnu sa documentation technique de référence, ce qu’a confirmé ensuite la Cour d’appel de Paris saisie par le gestionnaire de réseau (voir les commentaires de ces décisions ici et ).

Ce même gestionnaire avait alors formé un pourvoi sur la base d’un moyen unique de cassation. Le moyen était divisé en trois branches ainsi formulées :

  • Aux termes d’une première branche, le gestionnaire faisait valoir que le CORDIS est compétent pour connaître des différends opposant le gestionnaire du réseau et un utilisateur de celui-ci dont l’objet est relatif à l’accès aux réseaux, aux ouvrages, ou aux installations, ou encore à leur utilisation, notamment en cas de refus d’accès ou de désaccord sur la conclusion, l’interprétation ou l’exécution d’un contrat de raccordement. Au cas d’espèce, le gestionnaire soutenait qu’en considérant que le CORDIS était compétent pour connaître du différend l’opposant au GAEC de Saint Doué, quand elle constatait que le GAEC se prévalait de la carence du gestionnaire qui ne lui avait communiqué aucune PTF dans le délai de trois mois et que le non-respect de ce délai ne faisait naître aucune décision implicite, avec pour conséquence que le différend n’avait pas pour objet un refus d’accès au réseau, la Cour d’appel aurait violé les articles L. 134-19 et L. 134-20 du code de l’énergie.
  • Selon la deuxième branche, le gestionnaire soutenait que la suspension de l’obligation d’achat de l’électricité photovoltaïque résultant de l’intervention du décret du 9 décembre 2010, si elle a obligé les producteurs qui n’avaient pas accepté une PTF avant le 2 décembre 2010 à formuler une nouvelle demande, ne les avait pas pour autant privés de tout accès au réseau de distribution d’électricité. Au cas d’espèce, selon le raisonnement suivi par le gestionnaire de réseau, en considérant que la demande du GAEC relevait de la compétence du CORDIS, motif pris de ce que le demandeur se prévalait de l’absence de transmission d’une PTF dans le délai de trois mois, ce qui l’aurait empêché de faire raccorder son installation au réseau, quand la carence du gestionnaire n’avait pas pour effet de le priver de tout accès au réseau, la Cour d’appel aurait violé les articles 1er, 3 et 5 du décret du 9 décembre 2010.
  • Selon la troisième branche, présentée comme subsidiaire, le gestionnaire soutenait que le CORDIS est compétent pour connaître de conclusions qui tendent à ce qu’un gestionnaire de réseau public de distribution d’électricité assure l’accès d’un utilisateur au réseau. Au cas d’espèce, selon le gestionnaire, en considérant que le CORDIS avait pu valablement constater le non-respect par le gestionnaire du délai prévu pour la transmission de la PTF dès lors qu’aucune conséquence en terme de responsabilité n’en avait été déduite, la Cour d’appel aurait violé les articles L. 134-19 et L. 134-20 du code de l’énergie.

Néanmoins, dans son arrêt en date du 7 janvier 2014, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le gestionnaire et rappelle :

« […] en premier lieu, qu’il résulte des articles L. 134-19 et L. 134-20 du code de l’énergie que le Cordis peut être saisi des différends nés entre les gestionnaires et les utilisateurs des réseaux publics de distribution d’électricité portant sur l’accès auxdits réseaux, ouvrages et installations, notamment en cas de refus d’accès ou de désaccord sur la conclusion des contrats mentionnés aux articles L. 111-91 à L. 111-94, et que, dans sa décision de règlement de différend, le Cordis précise les conditions d’ordre technique et financier dans lesquelles l’accès aux réseaux, ouvrages et installations est, le cas échéant, assuré ; qu’ayant constaté que le GAEC faisait valoir que, faute d’avoir obtenu une PTF dans le délai de trois mois, ni ultérieurement, il n’avait pu faire raccorder son installation de production au réseau public de distribution, c’est à bon droit que la cour d’appel, qui n’avait pas à tenir compte de l’application éventuelle du décret du 9 décembre 2010, qui conditionne le bien-fondé de la demande, a retenu l’existence d’un désaccord sur la conclusion d’un contrat d’accès au réseau et a confirmé la compétence du Cordis pour connaître de sa demande de règlement de différend ;

[…] en second lieu, qu’après avoir constaté que le GAEC n’avait reçu aucune PTF, la cour d’appel a retenu que la société ERDF avait manqué à l’obligation qui s’imposait à elle, en vertu de l’article 8.2.1 de sa documentation technique de référence, de transmettre une telle proposition dans un délai n’excédant pas trois mois ; qu’ayant ainsi constaté un manquement de la société ERDF susceptible, sous réserve de l’application du décret du 9 décembre 2010, de fonder la demande du GAEC, la cour d’appel a pu rejeter le moyen faisant grief au Cordis d’avoir constaté un tel manquement ».

L’arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 07 janvier 2014 conforte ainsi une jurisprudence abondante rendue en la matière par le CoRDIS et la Cour d’appel de Paris statuant sur des recours à l’encontre des décisions du Comité, qui reconnaissent le manquement d’un gestionnaire dans son obligation de transmettre la proposition technique et financière (PTF) dans un délai n’excédant pas trois mois en vertu de l’application de  sa documentation technique de référence applicable.

La position adoptée par la Cour de cassation, qui est également le juge « naturel » de la responsabilité délictuelle (voir en effet la décision du Tribunal des conflits de l’été 2013 qui confirme la compétence du juge judiciaire) était primordiale pour trancher définitivement la question du caractère impératif du délai de trois mois.

 

Il reviendra aux juridictions civiles d’en tirer les conséquences qui s’imposent en termes de faute maintenant, d’engagement de la responsabilité délictuelle des gestionnaires de réseau ayant pu méconnaitre ce délai obligatoire et d’indemnisation des préjudices subis par les utilisateurs.

Stéphanie GANDET

Aurélien BOUDEWEEL

Green Law Avocat