Sites et sols pollués : du « manquement à l’obligation de délivrance conforme » au « vice caché de la chose vendue », il n’y a qu’une clause…

Par Marie-Coline Giorno, avocat collaboratrice et Yann Borrel, avocat associé, Green Law Avocats (yann.borrel@green-law-avocat.fr)

La Troisième Chambre Civile de la Cour de cassation a rendu, le 30 septembre 2021, un arrêt de principe très intéressant sur les obligations du vendeur lors d’une vente et les conséquences d’une éventuelle clause environnementale liée à la pollution (Cass. civ. 3e, 30 septembre 2021, n° 20-15.354, publié au bulletin et consultable ici et sur doctrine).

Les faits de l’espèce étaient les suivants.  Le 29 mai 2010, la société Total Mayotte a échangé avec la société Nel une parcelle de terrain sur laquelle elle avait exploité une station-service de distribution de carburants de 2004 à 2010, l’acte contenant une « clause de pollution ». Cette clause avait pour but d’exonérer la société Total Mayotte de tout recours de l’acquéreur en raison de l’état du sol et du sous-sol de l’immeuble « pouvant être imputable à l’activité précédemment exercée sur ce dernier ». Un rapport de synthèse de dépollution du 8 avril 2008 y était joint. Le 31 mai 2010, la société Nel a revendu la parcelle à la société Station Kaweni, qui l’a donnée à bail à la société Sodifram pour y édifier des parkings, commerces et bureaux.


En octobre 2013, « au premier coup de godet » de travaux d’aménagement et de terrassement, une pollution aux hydrocarbures (reflets moirés et forte odeur d’hydrocarbures) a été découverte sur ce terrain. Cette découverte a conduit le maître d’ouvrage à suspendre immédiatement les travaux. Le 24 décembre 2013, un arrêté préfectoral a imposé à la société Total Mayotte de remettre le site de l’ancienne station-service dans un état tel qu’il ne puisse porter atteinte aux intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement relatif aux installations classées pour la protection de l’environnement. Les sociétés Station Kaweni et Sodifram ont assigné les vendeurs successifs en indemnisation de leurs préjudices, notamment pour manquement à leur obligation de délivrance conforme et garantie des vices cachés.

La cour d’appel de Saint-Denis, dans un arrêt rendu le 4 février 2020 (CA Saint-Denis, 4 février 2020, n° 18/00078), a, en premier lieu, considéré que la société Total Mayotte avait manqué à son obligation de délivrance conforme lors de l’acte d’échange avec la société Nel. Dans la mesure où « le sous-acquéreur jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur et dispose à cet effet contre le vendeur initial d’une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée », elle a retenu la responsabilité contractuelle de la société Total Mayotte envers la société Station Kaweni, sous-acquéreur, et sa responsabilité délictuelle envers la société Sodifram.

En second lieu, elle a condamné la société Nel in solidum avec la société Total Mayotte, à indemniser les sociétés Station Kaweni et Sodifram au motif que la société Nel n’avait pas non plus satisfait à son obligation de délivrance conforme car la parcelle vendue à société Station Kaweni s’était trouvée inconstructible pendant six mois en raison de la présence d’hydrocarbures imputable au manquement de la société Total Mayotte à son obligation de délivrance, à la société Nel, d’un terrain dépollué.

La société Total Mayotte et la société Nel ont, chacune pour ce qui les concerne, formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Parmi les moyens invoqués à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel, la société Total Mayotte réfutait le manquement à l’obligation de délivrance conforme du fait de l’existence d’une « clause de pollution » et d’une information de la société Nel, acquéreur, qu’elle jugeait suffisante. De son côté, la société Nel, contestait le fait qu’elle avait manqué à son obligation de délivrance conforme vis-à-vis du sous-acquéreur du fait de l’inconstructibilité temporaire de la parcelle vendue la société Station Kaweni.

Aux termes de sa décision du 30 septembre 2021, la Cour de cassation a confirmé le manquement à la délivrance d’un bien conforme par la société Total Mayotte malgré l’existence de la « clause de pollution » (I). En revanche, elle a censuré l’arrêt de la cour d’appel de Saint-Denis au motif qu’en l’absence de « clause de pollution » dans le contrat entre la société Nel et son sous-acquéreur, il fallait considérer que le bien comporte un vice caché (II).

I.       Le manquement à l’obligation de délivrance conforme malgré la présence d’une « clause de pollution »

Sur le pourvoi de la société Total Mayotte, la Cour de cassation considère que : « N’ayant pas constaté l’acceptation, par l’acquéreur, d’un risque connu de pollution résiduelle, mais retenu que le rapport technique joint à l’acte d’échange accréditait l’idée d’une dépollution complète du site, ce qui était loin d’être le cas, la cour d’appel a pu déduire de ces seuls motifs, dès lors que le bien n’était pas conforme à cette caractéristique, que la société Total Mayotte avait manqué à son obligation de délivrance et qu’il y avait lieu de retenir sa responsabilité contractuelle envers la société Station Kaweni, sous-acquéreur, et délictuelle envers la société Sodifram. »

De prime abord, la position adoptée par la Cour d’appel et validée par la Cour de cassation semble plutôt surprenante.

En effet, l’acquéreur avait connaissance de l’activité antérieurement exploitée sur le site et avait même signé une « clause de pollution » selon laquelle « la société Nel reconnaît avoir été avertie, dans les conditions prévues par la loi, de l’activité anciennement exercée sur l’Immeuble échangé et avoir pleinement connaissance de l’ensemble des informations et documents visés ci-dessus qui sont réputés avoir un caractère contradictoire et faire foi entre les parties. En conséquence, la société Nel renonce d’une manière générale, à tout recours contre la société Total Mayotte, ayant pour cause l’état du sol et du sous-sol de l’immeuble vendu, et garantit ce dernier contre les réclamations de tout tiers se rapportant à l’état du sol et du sous-sol dudit bien ».

Dans l’esprit commun, cette clause traduit nécessairement l’acceptation d’un risque de pollution résiduelle.

En l’espèce, cette solution n’a pas été retenue par la justice ; l’existence de la clause ne semble même pas avoir été prise en compte par le juge judiciaire. Cette position s’explique sans doute par le fait que la pollution était manifeste alors que la dépollution annoncée semblait « complète » : en effet, la préfecture avait reçu notification de la cessation d’activité, la société Total Mayotte avait fait établir un diagnostic et des travaux de réhabilitation, un rapport de synthèse de dépollution du 8 avril 2008 avait été joint à l’acte de vente et les travaux avaient été déclarés conformes par l’administration à la date du 12 novembre 2008.

En ce sens, il a déjà été jugé que, lorsque le contrat mentionne que le bien vendu a été dépollué, le vendeur est tenu de livrer un bien conforme à cette caractéristique (Cass. civ. 3ème, 29 février 2012, n° 11-10.318, Publié au bulletin).

Un raisonnement identique a sans doute été appliqué en l’espèce pour juger que la société Total Mayotte n’avait pas respecté son obligation de délivrance « conforme » à la caractéristique de dépollution complète du site sans laquelle l’acquéreur n’aurait sans doute pas accepté l’insertion d’une « clause de pollution » :

« 12. N’ayant pas constaté l’acceptation, par l’acquéreur, d’un risque connu de pollution résiduelle, mais retenu que le rapport technique joint à l’acte d’échange accréditait l’idée d’une dépollution complète du site, ce qui était loin d’être le cas, la cour d’appel a pu déduire de ces seuls motifs, dès lors que le bien n’était pas conforme à cette caractéristique, que la société Total Mayotte avait manqué à son obligation de délivrance et qu’il y avait lieu de retenir sa responsabilité contractuelle envers la société Station Kaweni, sous-acquéreur, et délictuelle envers la société Sodifram. »

Dans la mesure le vendeur a méconnu son obligation de délivrance conforme, c’est logiquement que la Troisième chambre civile a fait abstraction de la clause de pollution pour permettre au sous-acquéreur de rechercher la responsabilité du vendeur. 

Si cette solution jurisprudentielle peut sembler lourde de conséquences, ce n’est toutefois pas l’apport majeur de cette décision.

II.      La constitution du vice caché en l’absence de « clause de pollution »

La société Nel faisait, quant à elle, grief à l’arrêt de la condamner, in solidum avec la société Total Mayotte, à indemniser les sociétés Station Kaweni et Sodifram, en retenant un défaut de conformité de la chose vendue au lieu d’un prétendu vice caché.

Il résulte des articles 1603 et 1604 du code civil que le vendeur a l’obligation de délivrer une chose conforme à celle promise.


Selon l’article 1641 du code civil, « Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus ».

Il ressort de l’articulation des trois articles précités que le vice caché sanctionne l’absence de conformité de la chose à sa destination normale tandis que le manquement à l’obligation de délivrance conforme s’interprète comme une absence de conformité de la chose à ses caractéristiques qui sont entrées dans le champ contractuel.

En l’espèce, aux termes de son arrêt, la Cour d’appel a jugé que la société Nel n’avait pas satisfait à son obligation de délivrance conforme. Pour ce faire, elle a retenu que la parcelle que la société Station Kaweni avait destiné à la construction de parkings, de commerces et de bureaux s’était trouvée inconstructible pendant six mois en raison de la présence d’hydrocarbures imputable au manquement de la société Total Mayotte à son obligation de délivrance, à la société Nel, d’un terrain dépollué.


La Cour de cassation a censuré l’arrêt de la Cour d’appel sur ce point. Elle a jugé qu’« En statuant ainsi, alors que la clause de pollution n’avait pas été reprise dans l’acte de la vente conclue entre les sociétés Nel et Station Kaweni et que l’inconstructibilité du terrain constituait non un défaut de conformité, mais un vice caché de la chose vendue, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Deux notions sont donc entrées en jet dans l’analyse de la Cour de cassation. Il s’agit, d’une part, de l’inconstructibilité du terrain et, d’autre part, de l’absence de reprise de la « clause de pollution » dans l’acte de vente entre la société Nel et le sous-acquéreur.

A cet égard, il convient de rappeler que la Cour de cassation a déjà jugé que l’inconstructibilité d’un terrain constitue un vice caché de la chose vendue et non un défaut de conformité (Cass. civ. 3ème, 1er octobre 1997, n° 95-22.263, Publié au bulletin).

Cette position pourrait sembler en cohérence avec la décision présentement commentée. Tel n’est toutefois pas exactement le cas. En effet, en l’espèce, l’inconstructibilité du terrain vendu par la société Nel au sous-acquéreur n’était que temporaire (retard de six mois dans les travaux).

Or, pour un terrain affecté d’une pollution aux métaux lourds sur lequel les travaux projetés ne pouvaient être réalisés sans une dépollution des sols, et donc, pour lequel, l’inconstructibilité n’était que temporaire, la Cour de cassation a déjà considéré qu’il s’agissait d’un défaut de conformité… Notons toutefois – et c’est sans doute là que réside la différence avec la présente instance – que dans cette affaire, l’absence de pollution importante était entrée dans le champ contractuel (Cass. civ. 3ème, 12 novembre 2014, n° 13-25.079).

Il s’ensuit que l’inconstructibilité d’un terrain serait en principe un vice caché…sauf si elle résulte d’une pollution et que l’absence de pollution importante est entrée dans le champ contractuel.

En l’espèce, dans la mesure où la « clause de pollution » n’avait pas été reprise dans l’acte de vente entre la société Nel et le sous-acquéreur, la question de la pollution n’était pas entrée dans le champ contractuel.

Dès lors, l’inconstructibilité du terrain constituait nécessairement un vice caché et non un défaut de conformité. Une solution différente aurait sans doute été retenue si la « clause de pollution » avait été reprise dans l’acte de vente entre la société Nel et son sous-acquéreur. Un manquement à l’obligation de délivrance conforme aurait alors pu être retenu.

Si l’arrêt du 30 septembre 2021 a le mérite de clarifier une situation qui était complexe, il risque toutefois de ne pas faciliter la rédaction des contrats de vente et des « clauses de pollution ». Surtout, la solution de cet arrêt risque d’être anxiogène pour les vendeurs de sites sur lesquels des installations classées ont été exploitées.