Energie: les servitudes relatives à la traversée des propriétés privées par les ouvrages de transport et de distribution d’électricité ne portent pas atteinte au droit de propriété (Décision n°2015-518 QPC du 2 février 2016)

Pylône et ligne haute tensionPar Lou Deldique- Green Law Avocats

Une récente décision du Conseil constitutionnel (Décision n°2015-518 QPC du 2 février 2016, consultable ici) apporte des précisions sur le régime des servitudes qu’instaure le code de l’énergie pour la traversée des propriétés privées par les ouvrages de transport et de distribution d’électricité.

En l’espèce, un arrêté interministériel avait reconnu d’utilité publique les travaux de construction d’une ligne électrique aérienne dans le département des Hautes-Alpes : inquiètes des conséquences de cette décision, plusieurs associations avaient saisi le Conseil d’Etat d’un recours visant à en obtenir l’annulation.

A l’occasion de ce litige, elles ont contesté la conformité à la Constitution de l’article L. 323-4, 3° du code de l’énergie, selon lequel la déclaration d’utilité publique relative à l’établissement et à l’entretien des ouvrages de la concession de transport ou de distribution d’électricité confère au concessionnaire le droit « d’établir à demeure des canalisations souterraines, ou des supports pour conducteurs aériens, sur des terrains privés non bâtis, qui ne sont pas fermés de murs ou autres clôtures équivalentes ».

Selon les requérants, cette disposition (qui permet quand-même l’implantation de pylônes sur des terrains privés) portait atteinte au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Jugeant que la question présentait un caractère nouveau et sérieux, le Conseil d’Etat l’avait, par une décision en date du 2 novembre 2015, renvoyée au Conseil constitutionnel.

  • Dans un premier temps, celui-ci a vérifié si les dispositions faisant l’objet du litige méconnaissaient l’article 17 de la Déclaration de 1789, aux termes duquel : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ».

Ainsi, les sages de la rue Montpensier ont rappelé que, conformément à leur jurisprudence traditionnelle (Décision n° 85-198 DC du 13 décembre 1985, Loi modifiant la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 et portant diverses dispositions relatives à la communication audiovisuelle ; Décision n° 2011-182 QPC du 14 octobre 2011, M. Pierrre T. (Servitude administrative de passage et d’aménagement en matière de lutte contre l’incendie), l’institution d’une servitude d’utilité publique n’entraîne pas une privation de propriété mais une simple limitation apportée à l’exercice du droit de propriété.

La décision précise toutefois que tel n’est pas le cas lorsque « la sujétion imposée [aboutit], compte tenu de l’ampleur de ses conséquences sur une jouissance normale de la propriété grevée de servitude, à vider le droit de propriété de son contenu ».

Ainsi que cela est exposé dans le commentaire de la décision mis en ligne sur le site de la juridiction, c’est donc au juge du fond qu’il revient de déterminer si la servitude emporte privation du droit de propriété ou non (auquel cas le régime de l’expropriation trouve alors à s’appliquer).

Il sera recommandé aux personnes estimant que leur droit de propriété est violé de démontrer les conséquences concrètes que pourrait avoir la servitude sur leurs conditions de jouissance.

Sous réserve de cette précision, l’article L.323-4, 3° a donc été jugé conforme à l’article 17 de la Déclaration de 1789.

  • Dans un second temps, lors de son examen de la conformité des dispositions à l’article 2 du même texte, qui prévoit que les limites apportées à l’exercice du droit de propriété doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi, le Conseil constitutionnel a tenu compte de manière très concrète des garanties prévues par le code de l’énergie pour atténuer l’atteinte portée au droit de propriété.

Rappelant le but d’intérêt général dans lequel les servitudes sont instituées, il a notamment rappelé :

  • Que l’article L. 323-6 du code de l’énergie dispose que la servitude ne fait pas obstacle au droit du propriétaire de se clore ou de bâtir ;
  • Que le propriétaire du terrain traversé par un ouvrage de transport et de distribution d’électricité garde la possibilité d’opérer des modifications de sa propriété ;
  • Qu’en vertu de l’article L. 323-7, les propriétaires, les titulaires de droits réels ou leurs ayants droit peuvent bénéficier d’une indemnité lorsque l’établissement de la servitude entraîne un préjudice direct, matériel et certain.

Considérant ces garanties suffisantes, il a donc également écarté ce grief :

« Considérant, d’autre part, qu’en instituant ces servitudes le législateur a entendu faciliter la réalisation des infrastructures de transport et de distribution de l’électricité ; qu’il a ainsi poursuivi un but d’intérêt général ; que l’établissement de la servitude est subordonné à la déclaration d’utilité publique susmentionnée ; que cette servitude ne peut grever que des terrains non bâtis qui ne sont pas fermés de murs ou autres clôtures équivalentes ; qu’en vertu de l’article L. 323-6 du code de l’énergie, elle ne fait pas obstacle au droit du propriétaire de se clore ou de bâtir ; que l’exercice de ce droit suppose qu’il conserve la possibilité d’opérer toutes modifications de sa propriété conformes à son utilisation normale ; que lorsque l’établissement de cette servitude entraîne un préjudice direct, matériel et certain, il ouvre droit, en vertu de l’article L. 323-7 du même code, à une indemnité au profit des propriétaires, des titulaires de droits réels ou de leurs ayants droit ; qu’il s’ensuit que l’atteinte portée au droit de propriété par les dispositions contestées est proportionnée à l’objectif poursuivi ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de l’article 2 de la Déclaration de 1789 doit être écarté ; »

Par conséquent, le Conseil constitutionnel, qui écarte également le moyen tiré d’une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, ainsi que celui tiré d’une violation du principe de participation du public que pose l’article 7 de la Charte de l’environnement, au vu des garanties instaurées par la procédure de déclaration d’utilité publique, déclare l’article L.323-4, 3° du code de l’énergie conforme à la constitution.