Référé évaluation environnementale: le juge des référés peut également contrôler la soumission à étude d’impact d’un projet ayant donné lieu à un examen au cas par cas (CE, 19 juin 2015)

Le Conseil d'étatPar

Stéphanie Gandet et Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat)

Par une décision du 19 juin 2015, le Conseil d’Etat est venu préciser l’étendue des pouvoirs du juge des référés lorsqu’il est saisi d’une demande de suspension d’une décision fondée sur l’absence d’évaluation environnementale et aborde l’hypothèse précise d’un projet soumis à un examen au cas par cas (CE, 1ère et 6ème sous-sections réunies, 19 juin 2015, n°386291, Publié au recueil Lebon et consultable ici).

Les faits de l’affaire étaient les suivants.

La région de La Réunion a engagé un projet de construction d’une importante liaison routière importante (dite la Nouvelle Route du Littoral). Pour la réalisation de ce chantier, elle a dû demander au préfet de La Réunion une modification du schéma départemental des carrières (SDC), afin de pouvoir exploiter quatre nouveaux sites, dont l’un d’entre deux était situé sur le territoire de la commune de Saint-Leu.

Par un arrêté du 18 avril 2014, le préfet de La Réunion a décidé, après un examen « au cas par cas » en application des articles L. 122-5 et R. 122-17 du code de l’environnement, de ne pas soumettre à évaluation environnementale ce projet de modification du schéma départemental des carrières.

Par un autre arrêté du 26 août 2014, il a approuvé cette modification. La commune de Saint-Leu et un autre requérant ont demandé, sur le fondement de l’article L. 122-12 du code de l’environnement, la suspension de l’arrêté approuvant la modification du schéma départemental des carrières.

Le juge des référés de Saint-Denis avait rejeté leur requête par une ordonnance du 21 novembre 2014. Les requérants ont donc formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.

Il s’agit de la décision présentement commentée.

Relevons que la décision du Préfet prise à l’issue de l’examen au cas par cas de ne pas soumettre le projet de modification du schéma départemental des carrières à une évaluation environnementale a elle aussi fait l’objet d’un référé introduit le 29 août 2014 en dépit de l’intervention le 26 août 2014 de l’arrêté approuvant la modification du schéma départemental des carrières de La Réunion. Ce référé était quant à lui fondé sur les articles L. 122-12 du code de l’environnement et L. 521-1 du code de justice administrative. Le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis a rejeté la requête qui lui était soumise. Saisi d’un pourvoi en cassation contre cette décision, le Conseil d’Etat, a estimé, dans cette seconde affaire que, « dès lors, à la date du 29 août 2014 à laquelle les requérants ont introduit leur pourvoi, l’arrêté du 18 avril 2014 contesté, qui n’avait été pris qu’en vue de l’arrêté approuvant la modification du schéma départemental des carrières de La Réunion, avait épuisé ses effets ». Il était donc dépourvu d’objet dès l’origine et rendait la requête irrecevable (décision consultable ici).Cette décision ne présente toutefois qu’un intérêt limité en ce qui concerne la mise en œuvre de l’article L. 122-12 du code de l’environnement.

En revanche, le recours dirigé contre l’arrêté approuvant la modification du schéma départemental des carrières est bien plus intéressant concernant l’application de l’article L. 122-12 du code de l’environnement.

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a, tout d’abord, rappelé les dispositions de l’article L. 122-12 du code de l’environnement. Aux termes de cet article :

« Si une requête déposée devant la juridiction administrative contre une décision d’approbation d’un plan, schéma, programme ou autre document de planification visé aux I et II de l’article L. 122-4 est fondée sur l’absence d’évaluation environnementale, le juge des référés, saisi d’une demande de suspension de la décision attaquée, y fait droit dès que cette absence est constatée. »

Rappelons que les décisions d’approbation et de révision des schémas départementaux des carrières devaient être « systématiquement » précédées d’une évaluation environnementale en vertu des articles L. 122-4, R. 122-17, L. 515-3 et R. 515-7 du code de l’environnement.

Néanmoins, aux termes de l’article L. 122-5 du code de l’environnement, « A l’exception de celles qui n’ont qu’un caractère mineur, les modifications apportées aux plans et documents soumis aux dispositions du I de l’article L. 122-4 donnent lieu soit à une nouvelle évaluation environnementale, soit à une actualisation de celle qui a été réalisée lors de leur élaboration.

Le caractère mineur des modifications est apprécié en tenant compte des critères mentionnés à l’annexe II à la directive 2001/42/ CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 précitée. Un décret en Conseil d’Etat détermine les cas dans lesquels les modifications peuvent être soumises à évaluation environnementale après un examen au cas par cas effectué par l’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement. »

De même, en vertu de l’article R. 122-17 V du code de l’environnement « V.- Sauf disposition particulière, les autres modifications d’un plan, schéma, programme ou document de planification mentionné au I ou au II ne font l’objet d’une évaluation environnementale qu’après un examen au cas par cas qui détermine, le cas échéant, si l’évaluation environnementale initiale doit être actualisée ou si une nouvelle évaluation environnementale est requise. »

 

Le Conseil d’Etat déduit de la combinaison de ces deux articles que « les décisions de modification […] qui présentent un caractère mineur peuvent être dispensées d’une nouvelle évaluation environnementale ou de son actualisation, après un examen au cas par cas de l’autorité administrative compétente »

Le Conseil d’Etat en profite alors pour préciser l’office du juge des référés dans l’hypothèse particulière où la soumission à étude d’impact dépend d’un examen au cas par cas par une autorité, le plus souvent le Préfet.

Il est intéressant de noter qu’à cette occasion, le contrôle du juge des référés est un contrôle dit « entier », c’est à dire approfondi.

Au-delà de la nature du contrôle du juge des référés, le Conseil d’Etat va estimer:

  •  d’une part, que l’analyse du juge des référés s’étend également à l’hypothèse d’un projet soumis non pas à évaluation « systématique » mais aussi à une évaluation environnementale après un examen « au cas par cas » par l’autorité environnementale, ce qui était le cas en l’espèce. C’est là l’aspect le plus intéressant de l’arrêt.

Selon son analyse, «  le juge des référés, saisi de conclusions sur le fondement des dispositions de l’article L. 122-12 du code de l’environnement, doit en principe faire droit aux demandes de suspension des actes mentionnés au point 2, dès lors qu’il constate l’absence de l’évaluation environnementale, lorsqu’elle est requise ; qu’il en va ainsi non seulement lorsque l’étude d’impact est systématiquement exigée par la réglementation en vigueur, mais également lorsqu’il a été décidé, à la suite d’un examen au cas par cas, de ne pas procéder à cette évaluation en raison du caractère mineur des modifications opérées ; qu’il appartient au juge des référés, afin de déterminer si la demande qui lui est présentée sur ce fondement entre dans les prévisions de l’article L. 122-12 du code de l’environnement, d’apprécier si, en l’état de l’instruction et eu égard à la portée des modifications opérées, une évaluation environnementale était nécessaire ».

Juridiquement, il est intéressant de voir que cela revient indirectement à opérer un contrôle juridictionnel sur la décision de l’autorité environnementale à l’issue d’un examen au cas par cas.

Ce faisant, cela a des effets proches de ceux d’une exception d’illégalité qui serait ouverte contre la décision de l’autorité environnementale qui avait estimé, aux termes de son examen au cas par cas, que le projet n’avait pas à être précédé d’une étude d’impact. Cette solution vient pourtant, à notre sens, à l’encontre des règles prévoyant que la décision imposant ou dispensant le projet d’étude d’impact est une décision administrative qui peut être contestée, dans un délai de 2 mois devant le juge administratif et qu’à peine d’irrecevabilité de ce recours contentieux, un recours administratif doit préalablement être engagé dans un délai de 2 mois, lorsque la décision litigieuse impose la réalisation d’une étude d’impact, que cette décision soit explicite ou tacite.

  • d’autre part, que si des modifications apportées au schéma sont mineures, alors une nouvelle évaluation environnementale n’était pas nécessaire.

En l’espèce, le Conseil d’Etat relève que « le juge des référés s’est fondé sur le caractère mineur des modifications opérées, compte tenu notamment de la superficie limitée des quatre nouveaux sites susceptibles d’être exploités par rapport à la superficie totale des sites exploitables, du fait que le volume global de matériaux extraits restera inchangé et de l’absence de remise en cause de l’économie générale du schéma départemental des carrières ; qu’en statuant ainsi, le juge des référés a, sans commettre d’erreur de droit, porté sur les faits qui lui étaient soumis une appréciation souveraine qui n’est pas entachée de dénaturation ».