Projet éolien et sites UNESCO : la Cour administrative d’appel de Nantes maintient sa position ! (CAA Nantes, 9 janvier 2017, n°15NT03122)

Windkraftwerk auf einer Blumenwiese -kologie und Nachhaltigkeit

Par Maître LOU DELDIQUE (GREEN LAW AVOCATS)

On se souvient que dans une décision remarquée (CE, 9 octobre 2015, société Eco Delta, n°374008 ; voir D. DEHARBE, L. DELDIQUE, « Éoliennes et sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco : vers la tolérance zéro ? », Droit de l’environnement, n°243, mars 2016), le Conseil d’Etat avait censuré l’appréciation portée par la Cour administrative d’appel de Nantes sur la cohabitation entre le projet éolien de la société Eco Delta et la cathédrale de Chartres.

 

Pour rappel, ce projet, composé de huit éoliennes réparties en trois bouquets de deux ou trois machines et situé à environ treize kilomètres de Chartres, avait été refusé par le Préfet d’Eure-et-Loir en raison de l’impact qu’il était susceptible d’avoir sur le monument classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.

 

Le refus avait été confirmé par le tribunal administratif d’Orléans (TA Orléans, 6 mars 2012, n°001965-1001966-1001967-1001968-101969-1001970), mais la cour administrative d’appel de Nantes avait au contraire considéré que l’impact paysager du projet, qu’elle avait évalué de manière très précise et très nuancée, ne pouvait justifier la décision du Préfet (CAA Nantes 11 octobre 2013, n°12NT01207).

 

Saisi d’un pourvoi du Ministre, le Conseil d’Etat avait annulé l’arrêt, en estimant, de manière assez étonnante, que la covisibilité entre le monument et le parc, bien que minime et fugitive, n’était pas acceptable :

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond et des énonciations de l’arrêt attaqué, que la cathédrale de Chartres, monument historique de renommée internationale, est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco ; que le projet litigieux prévoit la construction de huit éoliennes d’une hauteur de cent cinquante mètres, pales comprises, dont les plus proches ne sont distantes que de 13 kilomètres de la cathédrale de Chartres ; que ces éoliennes sont situées dans la “ zone de sensibilité forte du point de vue des enjeux de préservation de la cathédrale de Chartres“ identifiée par le schéma éolien départemental d’Eure-et-Loir, qui comprend un rayon de 23 kilomètres autour de la cathédrale et qui préconise de n’autoriser un projet éolien dans cette zone que s’il est “prouvé qu’il n’est nulle part en situation de covisibilité avec la cathédrale de Chartres“ ; qu’il ressort tant des pièces du dossier soumis aux juges du fond que des énonciations de l’arrêt attaqué que l’un des bouquets d’éoliennes serait visible depuis les perspectives donnant sur la cathédrale à partir d’au moins trois lieux des environs, soit, les routes départementales 12-4 et 127-3 et le nord de la commune de Saint-Loup ; que, dans ces conditions, en estimant, pour annuler le jugement du tribunal administratif d’Orléans, que le projet litigieux ne portait pas atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants ou à la conservation des perspectives offertes sur la cathédrale de Chartres, la cour administrative d’appel de Nantes a entaché son arrêt de dénaturation ; »

 

L’arrêt, d’ailleurs rendu sur conclusions contraires du Rapporteur public, se démarquait de la jurisprudence relative à l’ancien article R. 111-21 (actuel article R. 111-27) du code de l’urbanisme pour deux raisons :

  • D’une part, parce qu’il semblait revenir sur le principe d’appréciation in concreto de l’impact paysager des éoliennes (qui avait pu conduire le juge à accepter la cohabitation de projets avec des sites touristiques majeurs dès lors que les phénomènes de covisibilité restaient légers et respectueux du site : CAA Nantes, 12 juin 2015, n° 13NT02984 ; CAA Nantes, 15 novembre 2013, n° 12NT02171 ; CAA Lyon, 12 novembre 2013, n° 12LY02801 ; CAA Nantes, 27 avril 2012, n° 10NT01287 ; CAA Nantes, 6 avril 2012, n° 10NT01141 ; CAA Nantes, 22 juin 2010, n° 09NT02036). Certaines juridictions en avaient d’ailleurs (à tort selon nous) déduit qu’aucune covisibilité ne pouvait être tolérée lorsque le monument faisait l’objet d’un classement UNESCO (voir notamment : CAA Douai, 25 février 2016, n°14DA00856, 14DA00857, 14DA00858 et CAA Douai, 10 décembre 2015, n° 14DA00374) ;

 

  • D’autre part, parce qu’il accordait une importance toute particulière aux préconisations du schéma éolien départemental d’Eure-et-Loir, alors que ce document était dépourvu de toute valeur réglementaire.

 

Mais seul un bouquet d’éoliennes était concerné par la covisibilité que censurait l’arrêt, et l’affaire avait été renvoyée devant la cour administrative d’appel de Nantes, qui s’est prononcée sur l’affaire le 9 janvier 2017 : il s’agit de l’espèce commentée (CAA Nantes, 9 janvier 2017, n°15NT03122, consultable ici).

 

 

Comme on pouvait s’y attendre, la décision de la Cour renoue avec les principes dégagés par la jurisprudence administrative en matière de permis éoliens. Ainsi, constatant que la société requérante renonce au bouquet d’aérogénérateurs le plus visible, la juridiction d’appel retient une appréciation in concreto, qu’elle fonde sur les études paysagères versées au dossier, mais aussi sur l’avis favorable de l’architecte des Bâtiments de France :

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le projet litigieux prend la forme d’un parc éolien constitué de trois bouquets de deux ou trois aérogénérateurs chacun, situés au Sud de Chartres, dont la cathédrale est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, sur le territoire des communes de la Bourdinière Saint Loup, Ermenonville la Grande et Luplanté; qu’aucun de ces aérogénérateurs n’est toutefois effectivement situé dans la  » zone de sensibilité majeure  » de la cathédrale de Chartres  » définie par le schéma éolien départemental d’Eure et Loir ; que la société Eco Delta se borne désormais à contester la légalité des refus d’autorisation de construire opposé aux éoliennes composant les deux bouquets situés le plus au Sud de Chartres, situé en  » zone de sensibilité forte  » du schéma départemental éolien qui ne prohibe cependant l’implantation d’éoliennes dans ce secteur que s’il existe une situation de covisibilité avec la cathédrale de Chartres ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment des nombreux photomontages composant le volet paysager de l’étude d’impact et son complément figurant au dossier de demande d’autorisation de construire et dont la fiabilité n’est pas sérieusement remise en cause par l’administration, que ces éoliennes, qui ne sont pas situées dans un des cônes de covisibilité potentielle identifiés par cette étude, offriraient elles mêmes, fût-ce d’un point de vue théorique, des vues sur la cathédrale de Chartres à l’origine d’une covisibilité et risquant ainsi de porter atteinte à une perspective offerte sur cette dernière ; que l’architecte des Bâtiments de France, chef du service départemental de l’architecture et du patrimoine d’Eure et Loire a, au surplus, émis le 20 avril 2009 un avis favorable pour ces six installations, son avis défavorable ne portant que sur les trois autres aérogénérateurs situés plus au Nord ; que, dès lors, les six aérogénérateurs composant les deux bouquets éoliens situés le plus au Sud ne peuvent ainsi, dans les conditions qui viennent d’être rappelées, être regardés comme portant une atteinte excessive à la perspective offerte sur la cathédrale de Chartres ; que, par suite, c’est à tort que le préfet d’Eure et Loir a, en se fondant sur les dispositions de l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme, refusé de délivrer à la société Eco Delta les autorisations de construire correspondant à ces six éoliennes ; »

 

Cet arrêt confirme donc qu’il n’existe pas d’incompatibilité de principe entre les éoliennes et les sites classés à l’UNESCO.

 

Enfin, on ne  manquera pas de relever que la Cour  fait usage de son pouvoir d’injonction pour ordonner au Préfet de délivrer les permis dans un délai d’un mois, et non de simplement réexaminer la demande de la société pétitionnaire, ce qui est extrêmement rare (pour un exemple, voir : CAA Nancy, 12 JUIN 2014, n°13NC01092).