Préemption: la renonciation de la commune à exercer son droit de préemption peut ressortir d’une mention sur un CERFA (CE 27 juillet 2015)

Le Conseil d'étatPar Stéphanie Gandet

Avocat associé

Les communes, de même que les acquéreurs de biens soumis au droit de préemption, veilleront aux mentions pouvant être interprétées comme une renonciation à exercer le droit de préemption. C’est la leçon qu’il faut tirer de l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 27 juillet 2015 (CE, 27 juill.2015, n°374646, mentionné dans les Tables du Recueil Lebon).

Rappelons que différents droits de préemption existent au bénéfice de l’autorité d’urbanisme, qui en use comme un outil d’aménagement et de politique sur son territoire. Il peut s’agir de résorber des zones défavorisées, de favoriser des programmes de logements, de requalifier un quartier. Le plus connu est le droit de préemption urbain (DPU), qui donne lieu à un contentieux foisonnant et passionnant. Le propriétaire souhaitant vendre son bien doit donc effectuer auprès de l’autorité d’urbanisme une « déclaration d’intention d’aliéner » (DIA), le plus souvent par le biais de son notaire (qui engage sa responsabilité en cas de faute, là aussi le contentieux existe). Cette dernière dispose d’un délai pour faire savoir si elle entend exercer son droit. A défaut, le propriétaire reprends sa liberté et peut vendre son bien.

Moins connu, mais dont les effets sont tout aussi radicaux, le droit de préemption exercé dans un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité, à l’intérieur duquel sont soumises au droit de préemption les cessions de fonds artisanaux, de fonds de commerce ou de baux commerciaux.

En l’espèce, une société A avait conclu une promesse de cession de droit au bail au bénéfice d’une société B pour des locaux inclus dans un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité. La société B avait alors effectué une déclaration préalable à la cession, qui mentionnait qu’il s’agissait d’une cession du droit au bail. La Commune avait, malgré certaines mentions sur la déclaration de l’acquéreur, décidé de préempter le droit au bail.

C’est par l’action de l’action conjointe du vendeur et de l’acquéreur évincé que le juge administratif avait décidé, en appel, d’annuler la décision de préemption au motif de la Commune y avait expressément renoncé avant l’expiration du délai de deux mois. Saisi par la commune en cassation, le Conseil d’Etat confirme l’appréciation des juges d’appel en relevant notamment que la commune aurait apposé une mention sur le formulaire de déclaration préalable par laquelle il ressortait clairement qu’elle renonçait à exercer son droit de préemption sur la cession. La Commune avait très probablement essayé de soutenir que les mentions sur la déclaration ne lui avaient pas permis de comprendre qu’il s’agissait d’une cession soumise à un droit de préemption, mais la Haute juridiction relève pourtant que la société B, acquéreur évincé, avait clairement mentionné dans le document que la cession portait sur l’aliénation d’un droit au bail.

Le Conseil d’Etat rappelle ainsi tout d’abord la philosophie du droit de préemption et des délais contraints qui sont laissés à l’autorité préemptrice:

« Considérant qu’il résulte de ces dispositions que le titulaire du droit de préemption dispose pour exercer ce droit d’un délai de deux mois qui court à compter de la réception de la déclaration préalable ; que ces dispositions visent notamment à ce que les propriétaires qui ont décidé de vendre un bien susceptible de faire l’objet d’une décision de préemption sachent de façon certaine et dans de brefs délais s’ils peuvent ou non poursuivre l’aliénation envisagée ; que, dans l’hypothèse d’une déclaration incomplète, le titulaire du droit de préemption peut adresser au propriétaire une demande de précisions complémentaires, qui proroge le délai de deux mois ; qu’en revanche, lorsqu’il a décidé de renoncer à exercer le droit de préemption, que ce soit par l’effet de l’expiration du délai de deux mois, le cas échéant prorogé, ou par une décision explicite prise avant l’expiration de ce délai, il se trouve dessaisi et ne peut, par la suite, retirer cette décision ni, par voie de conséquence, légalement exercer son droit de préemption ; que si la cession est intervenue et s’il estime que la déclaration préalable sur la base de laquelle il a pris sa décision était entachée de lacunes substantielles de nature à entraîner la nullité de la cession, il lui est loisible de saisir le juge judiciaire d’une action à cette fin.[…] »

Puis il apprécie les circonstances propres de l’espèce pour vérifier que la Cour d’appel n’avait pas commis d’erreur de droit:

« Considérant, en premier lieu, que la cour administrative d’appel de Versailles a relevé qu’il ressortait clairement des indications portées par la société F…sur le formulaire Cerfa de déclaration préalable à la cession que celle-ci concernait l’aliénation d’un droit au bail ; qu’en jugeant qu’il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que la commune avait, par une décision du 20 mai 2010, prise sous la forme d’une mention portée sur le formulaire de déclaration préalable, expressément renoncé à exercer son droit de préemption sur cette cession, la cour a suffisamment motivé son arrêt et n’a pas commis d’erreur de droit. »

Les apports de cette jurisprudence qui aura l’honneur d’une mention aux Tables sont de plusieurs ordres:

  • d’abord, les auteurs des déclarations préalables à la cession doivent mettre un soin particulier à clairement indiquer la nature de la cession et à y fournir les informations obligatoires. A défaut, l’autorité titulaire du droit de préemption pourra faire valoir non pas un droit de préemption tardif, mais elle pourra saisir le juge civil en vue de faire annuler la vente. Cela n’est évidemment pas de nature à sécuriser les transactions.
  • ensuite, les titulaires d’un droit de préemption doivent demeurer vigilants quant aux mentions qu’ils apposent sur les CERFA et les déclarations effectuées par les vendeurs d’un bien dans le périmètre d’un droit de préemption. L’effet est d’ailleurs radical, puisqu’aucune voie n’est plus ouverte une fois qu’ils sont réputés avoir renoncé à exercer leur droit.