PORTÉE DES SAGEs

Par Maître Yann BORREL (avocat associé) et Mathieu DEHARBE (Juriste) – Green Law Avocats

Dans un arrêt en date du 11 mars 2020 et qui sera mentionné dans les Tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat a, une nouvelle fois, précisé la portée des documents en matière d’aménagement et de gestion des eaux (CE, 11 mars 2020, n° 422704, Fédération départementale de pêche et de protection du milieu aquatique de l’Isère et a.).

En l’espèce, une fédération de pêche et une association de protection des milieux aquatiques avaient sollicité l’annulation juridictionnelle d’un arrêté préfectoral valant règlement d’eau relatif à l’exploitation d’un aménagement hydroélectrique sur le sous‐bassin versant de La Bonne.

Selon les requérantes, cet aménagement était incompatible avec le schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) du Drac et de la Romanche.

Rappelons qu’en vertu du premier alinéa de l’article L. 212-3 du Code de l’environnement, le SAGE fixe pour un sous-bassin, un groupement de sous-bassins correspondant à une unité hydrographique cohérente ou pour un système aquifère, les objectifs généraux permettant de satisfaire les principes de gestion équilibrée et durable de la ressource en eau, de préservation des milieux aquatiques et protection du patrimoine piscicole (C. env., art. L. 211-1 ; art. L. 212-3, al. 1er ; art. L. 430-1).

Ce document permet de compléter les schémas directeur d’aménagement et de gestion des eaux qui pour leur part :

–        d’une part fixent pour chaque bassin ou groupement de bassins les objectifs de qualité et de quantité des eaux, ainsi que les orientations permettant d’assurer une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ;

–        d’autre part déterminent à cette fin les aménagements et les dispositions nécessaires (C. env. L. 212-1 ;  CE, 11 mars 2020, n° 422704, cons. 2).

Par un arrêt en date du 29 mai 2018, la Cour administrative d’appel de Lyon avait annulé l’arrêté querellé en raison de sa absence d’adéquation avec le point 1.c. de l’objectif n° 8 du SAGE du Drac et de la Romanche.

Saisi d’un pourvoi à l’encontre de cet arrêt, le Conseil d’Etat s’est interrogé sur l’application du régime prévu par la loi  30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques au SAGE approuvé mais non encore complété par un règlement prévu au II de l’article L. 212-5-1 du Code de l’environnement. De même, il a vérifié si un acte administratif pouvait être jugé incompatible avec un SAGE du fait de son absence d’adéquation avec un objectif particulier de ce schéma.

Dans son arrêt, la Haute juridiction a déterminé le régime juridique applicable au SAGE approuvé et non complété par un règlement (I.) tout en confirmant l’office du juge dans son appréciation de la compatibilité entre un SAGE et un acte administratif (II.) .

I/ La détermination du régime applicable au SAGE approuvé et non complété par un règlement

Conformément aux dispositions de l’article L.212-10 du Code de l’environnement, dès lors qu’un SAGE est approuvé, il constitue un plan d’aménagement et de gestion durable de la ressource en eau et des milieux aquatiques (PAGD).

Un tel plan définit les conditions de réalisation des objectifs bassins les objectifs de qualité et de quantité des eaux, ainsi que les orientations permettant d’assurer une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau, notamment en évaluant les moyens financiers nécessaires à la mise en oeuvre du SAGE (C. env., L212-5-1, I ; art. L. 212-3 ; art. L. 211-1 ; art. L. 430-1).

Ensuite, le II de l’article L.212-5-1 dispose que le SAGE comporte un règlement qui peut :

  • « définir des priorités d’usage de la ressource en eau ainsi que la répartition de volumes globaux de prélèvement par usage ;
  • définir les mesures nécessaires à la restauration et à la préservation de la qualité de l’eau et des milieux aquatiques, en fonction des différentes utilisations de l’eau ;
  • Indiquer, parmi les ouvrages hydrauliques fonctionnant au fil de l’eau figurant à l’inventaire prévu au 2° du I, ceux qui sont soumis, sauf raisons d’intérêt général, à une obligation d’ouverture régulière de leurs vannages afin d’améliorer le transport naturel des sédiments et d’assurer la continuité écologique ».

Aux termes du I de l’article L. 212-10 du code de l’environnement, qui est issu de la loi du 30 décembre 2006, dans sa version alors en vigueur, les SAGE devaient être approuvés avant la date du 14 août 2010, soit trois ans après la publication du décret d’application de cette loi (C. env. art. L. 212-5-1, II ; Décr. n° 2007-1213 , 10 août 2007, JORF, 14 août 2007).

Qui plus est, les SAGE devaient être complétés par un règlement avant la date du 31 décembre 2012, soit 6 ans après la promulgation de la loi du 30 décembre 2006 (C. env. L. 212-10, II ; art. L. 212-5-1, II ; L.  2006-1772 sur l’eau et les milieux aquatiques, JORF 31 déc. 2006).

En interprétant les dispositions de l’article L. 212-10, le Conseil d’Etat a considéré « qu’elles ont pour objet de permettre, dans les conditions et limites qu’elles prévoient, que les SAGE déjà approuvés ou en cours d’élaboration lors de la promulgation de la loi du 30 décembre 2006 relèvent du régime prévu par cette loi pour les futurs SAGE » (CE, 11 mars 2020, n°422704, cons. 4).

De plus, la Haute juridiction a jugé qu’il ne résulte « ni des dispositions du II de l’article L. 212-10 ni d’aucune autre disposition qu’un SAGE approuvé conformément au I de cet article et constituant dès lors un PAGD cesserait d’être applicable faute d’avoir été complété, dans le délai prévu au II du même article, par l’adoption d’un règlement ».

En l’espèce, si le SAGE du Drac et de la Romanche avait été approuvé après la loi 30 décembre 2006, il n’avait toutefois pas été complété par un règlement

avant la date du 31 décembre 2012 (CE, 11 mars 2020, n°422704, cons. 5).

Il n’en demeure pas moins que pour le Conseil d’Etat, le SAGE approuvé et constituant un PAGD n’avait pas cessé d’être applicable faute d’avoir été complété, avant la date du 31 décembre 2012, par un règlement. Dès lors, ce SAGE constituait, dès son entrée en vigueur, un PAGD auquel les décisions administratives prises dans le domaine de l’eau étaient soumises à une obligation de compatibilité.

II/ L’office du juge dans son appréciation de la compatibilité entre un SAGE et un acte administratif

De manière constante, le Conseil d’Etat rappelle que les décisions administratives qui sont prises au titre de la police de l’eau font l’objet d’un contrôle de conformité par rapport au règlement du SAGE et à ses documents cartographiques (CE, 11 mars 2020, n° 422704 cons. 3).

En vertu de ce rapport de conformité, « toute différence est interdite entre la norme supérieure et la norme ou l’opération subordonnée » (cf. H. Savoie, concl. sur CE 10 juin 1998, Commune de Balma et SA Leroy Merlin, BJDU 1998, n° 4, p. 246 ; Frédéric Balaguer, L’assouplissement du rapport de compatibilité dans le domaine de l’eau, AJDA 2020. 243).

En revanche, en vertu du XI de l’article L. 212-1 et de l’article L. 212-5-2 du code de l’environnement, les décisions administratives prises dans le domaine de l’eau doivent être compatibles avec le SDAGE et avec le PAGD du SAGE (CE, 11 mars 2020, n° 422704 cons. 3).

Traditionnellement, le rapport de compatibilité implique est « une faculté de s’écarter dans une certaine mesure » (cf. J-C. Bonichot, Compatibilité, cohérence, prise en compte : jeux de mots ou jeu de rôle ?, Mélanges en l’honneur d’Henri Jacquot, Presse universitaires d’Orléans, 2006, p. 57 ; Frédéric Balaguer, L’assouplissement du rapport de compatibilité dans le domaine de l’eau, AJDA 2020. 243).

En d’autres termes, elle « est beaucoup plus souple et laisse une certaine place à l’appréciation des circonstances de fait » (cf. H. Savoie, concl. ss CE, 10 juin 1998, n° 167284, C Balma et SA Leroy Merlin, BJDU 1998, n° 4, p. 246 ; Frédéric BALAGUER, Droit Administratif n° 2, Février 2017, comm. 5, L’obligation de compatibilité au chevet du principe constitutionnel de libre administration).

Dans le dernier état de sa jurisprudence, le Conseil d’Etat considère que l’appréciation de ce rapport de compatibilité doit conduire le juge à « rechercher, dans le cadre d’une analyse globale le conduisant à se placer à l’échelle du territoire pertinent pour apprécier les effets du projet sur la gestion des eaux, si l’autorisation ne contrarie pas les objectifs et les orientations fixés par le schéma, en tenant compte de leur degré de précision, sans rechercher l’adéquation de l’autorisation au regard de chaque orientation ou objectif particulier » (concl. Louis Dutheillet Lamotte, CE, 25 sept. 2019, Ministre de la transition écologique et solidaire, n°418658 ; CE, 11 mars 2020, n° 422704 cons. 6).

Dans le droit fil de sa jurisprudence, la Haute Juridiction a jugé que la Cour a commis une erreur de droit en se fondant sur l’absence d’adéquation de l’arrêté préfectoral avec un objectif particulier du SAGE alors qu’elle aurait dû fonder sa décision sur une analyse globale à l’échelle du territoire pertinent et au regard de l’ensemble des objectifs et orientations fixés par le schéma (CE, 11 mars 2020, n° 422704, cons. 8).