PLU / ISDI: les règles du PLU sont opposables aux installations de stockage de déchets inertes (CE, 6 avril 2016, n°381552)

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Par Lou DELDIQUE, Green Law Avocats

 

Par un arrêt en date du 6 avril 2016 (CE, 6 avril 2016, n°381552, consultable ici), le Conseil d’Etat précise le principe d’opposabilité du PLU aux installations soumises à un régime d’autorisation spécifique, telles que les ICPE ou les ISDI.

En effet, si en vertu du principe d’indépendance des législations, les ICPE ne sont normalement pas concernées par les règles d’urbanisme, l’article L. 152-1 du code de l’urbanisme (ancien article L. 123-5 avant la réforme intervenue en 2015) prévoit que l’ouverture d’installations classées appartenant aux catégories déterminées dans le plan doit être :

  • conforme au règlement et aux documents graphiques du PLU ;
  • et compatible avec ses orientations d’aménagement et de programmation.

La loi sur la transition énergétique (TLE) du 17 août 2015 a par ailleurs précisé que l’évolution défavorable du PLU ne peut être opposée à l’exploitant, puisque la conformité de l’installation aux règles du document d’urbanisme doit désormais être appréciée à la date de l’autorisation, de l’enregistrement ou de la déclaration.

Notons à cet égard que dans un arrêt en date du 22 février 2016 (CE, 22 févr. 2016, n° 367901, consultable ici), le Conseil d’Etat a jugé que cette exception au régime du plein contentieux devait également s’appliquer pour les installations autorisées avant cette date, marquant ainsi une rupture avec sa jurisprudence antérieure (CE, 7 août 2007, no 302021 ).

La décision commentée vient compléter ces récentes évolutions en étendant le principe aux ISDI, qui n’étaient pas soumises à la réglementation ICPE avant le décret n° 2014-1501 du 12 décembre 2014, et qui ne sont pas expressément visées par l’article L. 152-1 du code de l’urbanisme.

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En l’espèce, le Préfet de la Manche avait autorisé l’exploitation d’une installation de stockage de déchets inertes située dans le secteur Nc d’un PLU. Son arrêté avait été contesté devant la juridiction administrative, et il était notamment soutenu que l’article N2 du règlement ne permettait pas l’implantation d’une telle installation.

Deux questions devaient donc être tranchées par le Conseil d’Etat : celle de l’opposabilité du PLU et celle de l’interprétation de l’article N2 du règlement, qui n’admettait explicitement que « l’exploitation de carrières ayant fait l’objet d’une autorisation préfectorale ».

  • S’agissant en premier lieu de l’opposabilité du PLU, la Haute Juridiction, après avoir rappelé qu’aux termes de l’ancien article L. 123-5 du code de l’urbanisme (actuel article L. 152-1), « le règlement et ses documents graphiques sont opposables à toute personne publique ou privée pour l’exécution de tous travaux, constructions, plantations, affouillements ou exhaussements des sols […] », estime que celle-ci est acquise au seul motif que la réalisation du projet nécessitait de remblayer le site d’une ancienne carrière de grès, et donc d’exhausser les sols.

Notons sur ce point que l’arrêt indique clairement qu’il importe peu que la réglementation environnementale spécifique (ici l’article R. 541-70 du code de l’environnement) ne prévoie pas que la méconnaissance du règlement du PLU puisse justifier un refus d’autorisation d’exploiter :

« Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article L. 123-5 du code de l’urbanisme que le règlement d’un plan local d’urbanisme est opposable à l’exécution de tous travaux ayant pour objet ou pour effet un exhaussement des sols, y compris lorsque ces travaux relèvent du régime d’autorisation prévu par l’article R. 541-70 du code de l’environnement, alors en vigueur ; qu’ainsi, et alors même que le I de l’article R. 541-70 cité au point précédent ne mentionne pas la méconnaissance du règlement du plan local d’urbanisme au nombre des motifs susceptibles de justifier le refus d’autorisation d’exploitation d’une installation de stockage de déchets inertes, les dispositions du plan local d’urbanisme peuvent être légalement opposées à une installation de stockage de déchets inertes qui donne lieu à un exhaussement des sols ; »

  • S’agissant en second lieu de l’interprétation de l’article N2 du règlement, le Conseil d’Etat censure l’analyse de la Cour administrative d’appel de Nantes, selon laquelle le PLU ne permettait pas l’implantation d’une exploitation de stockage de déchets dans le secteur Nc.

Les juges d’appel avaient en effet considéré que seules les installations expressément mentionnées à l’article N2 du règlement pouvaient être autorisées.

Cette logique n’est toutefois pas celle retenue par le juge de cassation, qui estime au contraire que des usages des sols non expressément interdits peuvent être autorisés :

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’article N1 du règlement du plan local d’urbanisme de la commune de Brix interdit les utilisations du sol non prévues à l’article N 2 de ce même règlement, aux termes duquel :  » Occupations et utilisations du sol admises sous conditions (…) Secteur Nc : l’exploitation de carrières ayant fait l’objet d’une autorisation préfectorale  » ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’installation de stockage de déchets inertes litigieuse devait notamment permettre, en vue de la remise en état des lieux rendue nécessaire par la fermeture de la carrière jusqu’alors exploitée sur le site en application d’une autorisation préfectorale, le remblaiement des terrains ; que la cour a estimé que cette installation avait pour effet d’entraîner un exhaussement des sols et en a déduit à bon droit qu’elle était soumise aux prescriptions du plan local d’urbanisme en application de l’article L. 123-5 ; que, toutefois, en jugeant que les dispositions citées ci-dessus de l’article N2 du règlement du plan local d’urbanisme interdisaient toute exploitation d’une installation de stockage de déchets inertes au seul motif qu’elles ne mentionnaient pas expressément une telle exploitation, alors même qu’elle avait relevé que, dans les circonstances de l’espèce qui lui était soumise, l’installation litigieuse visait à remblayer une carrière de grès dont la société requérante achevait l’exploitation, la cour a entaché son arrêt d’erreur de droit ; que, dès lors, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé ; »

 

Notons que cette interprétation s’inspire de celle qui a été faite des articles L. 123-1-5 et R. 123-9 du code de l’urbanisme dans leur version issue de la loi SRU du 13 décembre 2000 : constatant que l’énumération des occupations autorisées du sol était dorénavant facultative, la doctrine a ainsi considéré que tout ce qui n’était pas expressément interdit ou conditionné était présumé autorisé sans conditions (Jean-François INSERGUET, « Ecriture du PLU : l’écriture des articles 1 et 2 des règlements de zone / Fiche 1 », GRIDAUH).

Précisons encore que dans ses conclusions, le rapporteur public fondait son analyse sur le fait que le projet autorisé avait en réalité un lien avec l’exploitation de l’ancienne carrière, puisqu’il s’agissait pour le pétitionnaire d’assurer la remise en état de celle-ci (conclusions de Mme Suzanne Von COESTER publiées sur le site Ariane Web, disponibles ici).

L’affaire ayant été renvoyée devant la Cour administrative d’appel de Nantes, c’est cette juridiction qui devra déterminer si l’installation de stockage de déchets litigieuse présente un lien suffisant avec la carrière pour être considérée comme conforme au PLU.

Ces jurisprudences démontrent la grande vigilance dont les exploitants ICPE et ISDI en particulier doivent faire preuve lors de la vérification de la compatibilité de leur projet avec le document d’urbanisme.