Plan de Prévention des Risques Naturels : le Tribunal administratif d’Amiens rappelle que l’évaluation du risque doit se fonder sur des données concrètes (TA Amiens, 2 mai 2018, n° 1601350)

Cliffs of Ault city in Picardy, FrancePar Maître Lou DELDIQUE, Avocat of counsel – GREEN LAW AVOCATS (lou.deldique@green-law-avocat.fr)

 

Par un arrêté du 19 octobre 2015, la Préfète de la Région Picardie avait approuvé le plan de prévention des risques littoraux liés au recul de falaises sur les communes d’Ault, Saint-Quentin-La-Motte-Croix-au-Bailly et Woignarue, dit « PPR des Falaises Picardes ».

Ce document avait été contesté par une commune, des associations et des riverains, qui considéraient qu’il imposait des contraintes injustifiées aux constructions existantes. Par un jugement en date du 2 mai 2018, le Tribunal d’Amiens a fait droit à ce recours (TA Amiens, 2 mai 2018, n° 1601350, consultable ci-après: JUGEMENT TA AMIENS PPR falaises).

Rappelons que les PPR ont été institués par la loi Barnier du 2 février 1995, et que leur régime est prévu aux articles L. 562-1 et suivants du code de l’environnement. Elaborés et approuvés par les services de l’Etat, ils constituent des servitudes d’utilité publique, dans la mesure où ils ont pour objet de réglementer l’utilisation des sols dans les zones soumises à des risques naturels prévisibles.

En l’espèce, le PPR des Falaises Picardes avait délimité une unique zone exposée au risque d’érosion : dans cette zone rouge, non seulement les nouvelles constructions étaient interdites, mais les travaux  d’entretien et de réparation devaient être préalablement approuvés par un expert.

S’agissant en premier lieu de la délimitation de la zone et de l’évaluation du risque, le Tribunal relève que le PPR est entaché d’erreur d’appréciation, dès lors que :

  • L’Etat avait fait une interprétation pessimiste des données scientifiques relatives au mécanisme d’érosion ;
  • Et qu’il n’avait pas tenu compte des ouvrages de protection mis en place par la commune d’Ault.

Surtout, il constate que le zonage ne se fondait pas sur des données objectives et concrètes, mais sur « une extrapolation non dénuée d’incertitudes » :

«  Considérant que la commune d’Ault soutient que le « PPR des falaises picardes » de 2015 porte la limite de la zone inconstructible en fonction d’une projection du recul du trait de côte à 100 ans en excluant l’effet des dispositifs de protection pour lesquels elle a dépense une somme de 450 000 euros depuis 3 ans, ce qui a pour conséquence d’imposer des contraintes injustifiées sur les constructions existantes en fonction de risques d’éboulement considérés sur une période excessive, et que l’aggravation des contraintes qui en résulte est arbitraire et non justifiée ; que pour justifier d’un plan de prévention des risques fondé sur une projection à 100 ans, le préfet de la Somme invoque un zonage réglementaire opéré selon les orientations données dans le guide et dans la circulaire relatifs à l’élaboration de plans de prévention des risques, tenant au caractère irréversible et inéluctable du recul du trait de côte et résultant du croisement des cartes des aléas et des enjeux ; que l’aléa, constitué par un évènement potentiellement dangereux, en l’espèce le recul du trait de côte jugé irréversible, a été qualifié de fort ; que les enjeux sont constitués par les éléments susceptibles d’être affectés par le phénomène naturel, soit notamment en l’espèce les habitations, les activités agricoles, économiques et de production ; qu’en raison du caractère imprévisible et irréversible du phénomène naturel, il a été défini une seule zone  rouge inconstructible ; qu’il ressort toutefois du rapport final du Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) d’avril 2014, que si l’estimation des moyennes des reculs ne suffit plus pour appréhender le risque associé au retrait du trait de côte, compte tenu des érosions par à-coups générant des reculs soudains et importants, cette évolution n’est pas univoque et voit alterner des périodes d’accélération du processus comme lors de l’hiver 2013-2014 et des périodes plus calmes, marquant un ralentissement de la vitesse d’érosion comme entre les années 2010-2013 ; qu’il ressort par ailleurs du rapport susmentionné, paragraphe 4.3 « Estimation des vitesses de recul à long terme » en page 74, qu’il n’est pas possible pour des raisons tenant tant à l’impact du changement climatique qu’à l’évolution des dynamiques littorales et à l’effet des actions humaines, d’estimer les vitesses d’érosion à moyen terme, soit au-delà de 30 ans et que cette vitesse d’érosion a été extrapolée à horizon de 100 ans ; qu’il ressort de l’illustration 56 en page 75 du rapport représentant une estimation à 100 ans, que l’extrapolation correspondant à cette durée se traduit par une extension importante de la zone affectée par le recul  du trait de côte à 100 ans par rapport à l’estimation du recul sur une période de 30 ans ; que la projection sur 100 ans a pour conséquence d’étendre la zone d’inconstructibilité à des secteurs éloignés de la côte et peu susceptibles d’être affectés avant une soixantaine d’année ; qu’au regard des conséquences qui s’attachent au classement dans la seule zone rouge définie par le plan alors que la définition de cette zone ne repose pas seulement sur des données objectives mais sur une extrapolation non dénuée d’incertitudes ainsi qu’il résulte de la variabilité du phénomène du retrait du trait de côte qui n’est pas incompatible avec son caractère certain, la commune d’Ault est fondée à soutenir que le « PPR des falaises picardes » est entaché d’erreur manifeste d’appréciation ; que par suite, elle est fondée à demander son annulation en tant qu’il ne définit qu’une seule zone règlementaire rouge correspondant à un aléa fort ; »   

Notons que cette solution est tout à fait conforme à la jurisprudence traditionnelle, qui considère de manière constante que le zonage retenu doit correspondre au niveau de risque réel (voir par exemple : CAA Marseille, 2 février 2016, n°14MA02496 ; CAA Douai, 24 septembre 2015, n°14DA00642 ; CAA Lyon, 23 sept. 2014, n°13LY20050 ; CAA Lyon,  25 oct. 2011, n° 10LY01273 ; TA Montpellier, 10 juin 2004, n°035254 ; TA Montpellier, 29 avril 2004, n° 011777- 012462).

 

S’agissant en second lieu des contraintes applicables aux travaux d’entretien ou de réparation, elles sont jugées illégales par le Tribunal, qui rappelle qu’aucun texte légal ne permettait d’imposer la réalisation d’une étude préalable aux frais du propriétaire :

«  Considérant qu’en vertu de l’article 2 du titre II du règlement du « PPR des falaises picardes » posant le principe d’inconstructibilité en zone rouge et que par exception à ce principe, ne sont autorisés en vertu de l’article 2.2 du règlement du plan, que les travaux d’entretien et de gestion courants et les mises aux normes des bâtiments implantés antérieurement à l’approbation du plan sauf s’ils augmentent les risques ou en créent de nouveaux, ou conduisent à une augmentation de la population exposée ; qu’il en va de même pour les réparations, travaux usuels d’entretien et de gestion courants des bâtiments existants, notamment les aménagements internes, les traitements des façades et les réfection de toitures, sous réserve de ne pas augmenter la vulnérabilité des biens et des personnes et d’assurer la sécurité des occupants ; que toutefois, ces exceptions au principe d’inconstructibilité sont subordonnées à la vérification, par des études préalables, menées par un expert et financées par le maitre d’ouvrage, que leur mise en œuvre n’aggrave pas le risque d’érosion ; qu’en exigeant une étude réalisée par un expert et financée par le maitre d’ouvrage, préalablement à toute intervention entrant dans le cadre des opérations définies par les dispositions ci-dessus rappelées de l’article R. 562-5 du code de l’environnement, le « PPR des falaises picardes » impose une exigence qui ne figure pas parmi les conditions posées par cet article et dont la nécessité pour apprécier la régularité de l’exception n’est pas établie ; que, dès lors, la commune d’Ault est fondée à soutenir que l’article 2.2.qui impose d’une manière générale des exigences excessives et non justifiées selon une procédure d’expertise préalable non prévue par l’article R. 562-5 du code de l’environnement, est entaché d’illégalité et, par suite, à demander son annulation ; »

 

Le PPR a donc été annulé par le Tribunal, qui a toutefois décidé que l’annulation du zonage ne serait effective qu’à compter du 1er octobre 2019.

En effet, le jugement considère que l’annulation rétroactive de la totalité du document aurait été de nature à porter une atteinte excessive à l’intérêt général (sur cette possibilité pour le juge de moduler les effets de l’annulation, voir : CE, Association AC ! et autres, 11 mai 2004, n° 255886), puisqu’elle n’aurait pas eu pour effet de remettre le PPR antérieur en vigueur, de sorte que la zone serait redevenue librement constructible.