Photovoltaïque – Décret « moratoire » : ni le processus de raccordement, ni le processus d’obligation d’achat d’une installation ayant donné lieu à une convention de raccordement acceptée avant le 10 décembre 2010 ne peut être suspendu (Cass 6 sept.2017)

Pylône et ligne haute tensionPar Me Stéphanie Gandet – Avocat associé et Me Jérémy Taupin- Avocat au cabinet Green Law Avocats

Par une décision en date du 6 septembre 2017 (Cass, 6 septembre 2017, pourvoi n° 16-13.546, classé P+B), la Cour de Cassation est venue apporter une importante précision quant aux conséquences du décret n°2010-1510 du 9 décembre 2010 suspendant l’obligation d’achat de l’électricité produite par certaines installations utilisant l’énergie radiative du soleil, dit décret « moratoire », qui intéressera nombre d’acteurs du secteur photovoltaïque.

Après avoir rappelé la jurisprudence précédente en la matière, nous analyserons plus en détail l’apport de cette décision par laquelle la Cour de cassation précise que dans l’hypothèse où le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité a adressé non pas une PTF mais une proposition de convention de raccordement acceptée avant le 10 décembre 2010, non seulement la procédure de raccordement ne pouvait pas être suspendue, mais la procédure d’obligation d’achat non plus.

  • Le principe posé depuis 2014 : la procédure de raccordement ne peut être suspendue par le décret « moratoire » en présence d’une convention de raccordement acceptée avant le 10 décembre 2010

Le 24 juin 2014, la Cour de Cassation (Cass, 24 juin 2014, pourvoi n°13-17843) avait déjà jugé que les conventions de raccordement au réseau d’électricité (à distinguer des Propositions Techniques et Financières, dites « PTF ») conclues avant le 10 décembre 2010 ne pouvaient se voir opposer les dispositions du décret du 9 décembre 2010. Concrètement, la Haute juridiction avait estimé que la procédure de raccordement ne pouvait être suspendue dans une telle hypothèse. En cela, elle confirmait une série de décisions rendues par le CoRDIS, organe de règlement de différends auprès de la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

La Cour de cassation était à l’époque saisie d’un litige devenu classique en la matière : une société qui souhaitait réaliser une centrale photovoltaïque intégrée en toiture d’un bâtiment avait déposé le 30 juillet 2010 une demande de raccordement et une demande de contrat d’achat auprès du gestionnaire de réseau par le biais du guichet unique. En novembre 2010, le gestionnaire avait alors adressé (en retard) une convention de raccordement que la société productrice avait retourné le 2 décembre 2010. Le 3 janvier 2011, le gestionnaire avait indiqué à la société que « l’acceptation de la proposition technique et financière (PTF) ne lui était pas parvenue avant le 2 décembre 2010 », de sorte que son projet était selon lui soumis au décret du 9 décembre 2010.

Comme le rappelait la Cour de cassation dans son arrêt du 24 juin 2014, une convention de raccordement témoigne toutefois d’un stade contractuel bien plus avancé qu’une PTF puisque le gestionnaire s’engage sur des conditions techniques, juridiques et financières. Dès lors, il en résulte qu’une convention de raccordement acceptée, signée et le chèque d’acompte émis avant l’entrée en vigueur du décret « moratoire » ne peut donner lieu à l’application de la suspension prévue par le texte.

C’était certes une excellente nouvelle dans la mesure où les dispositions du texte, d’interprétation stricte, devaient en effet être ainsi entendues. En revanche, le temps mis pour faire reconnaitre l’erreur commise par le gestionnaire conduisait le plus souvent le producteur à ne pas avoir mis en service (et pour cause !) l’installation dans les délais impartis par le décret du 9 décembre 2010, qui sont, eux, d’application générale. Dès lors, cette reconnaissance de l’erreur dans l’application infondée du décret était souvent de peu d’intérêt pour les producteurs voulant encore exploiter leur centrale aux tarifs d’achat en vigueur à la date du dépôt de leur demande de contrat, car le non-respect de la date de mise en service du fait de la suspension erronée de leur demande a conduit dans l’intervalle à la perte dudit tarif… La seule solution étant alors indemnitaire.

Or, le gestionnaire de réseau s’est alors empressé de chercher à opérer une distinction entre :

  • La procédure de raccordement, qui ne pouvait donc pas être suspendue d’une part (cf.la position de la cour de cassation depuis 2014)
  • La procédure d’obligation d’achat, qui devrait selon l’interprétation du gestionnaire qui se fondait sur deux décisions de la cour administrative d’appel de Paris en 2016, être suspendue même dans l’hypothèse d’une convention de raccordement acceptée avant le 10 décembre 2010.

C’est sur ce dernier point que la décision commentée rendue le 6 septembre 2017 est particulièrement intéressante.

 

  • La précision apportée par l’arrêt du 6 septembre 2017 : la procédure d’obligation d’achat ne peut pas non plus être suspendue par le décret « moratoire » en présence d’une convention de raccordement acceptée avant le 10 décembre 2010

 

La Cour de cassation précise en effet que dans l’hypothèse où le gestionnaire a adressé non pas une PTF mais une proposition de convention de raccordement acceptée avant le 10 décembre 2010, non seulement la procédure de raccordement ne pouvait pas être suspendue, mais la procédure d’obligation d’achat non plus.

La Haute juridiction relève en effet que dans ce cas :

« la cour d’appel en a exactement déduit que M. X pouvait bénéficier de la poursuite de la procédure de raccordement et prétendre à la conclusion d’un contrat d’achat d’électricité au tarif applicable à la date de demande complète de raccordement de son installation au réseau, sans que fût nécessaire la signature d’un tel contrat avant la date d’entrée en vigueur du décret ».

 

En l’espèce, un particulier avait adressé, le 18 juin 2010, une demande de raccordement à Enedis, qui lui a indiqué que sa demande était complète. Le 6 décembre 2010, ce même particulier a retourné, accompagnée d’un acompte, la proposition de raccordement au réseau qui lui avait été adressée par la société Enedis : celle-ci l’a cependant informé, le 4 janvier 2011, que son projet entrait dans le champ d’application du décret « moratoire » et que sa demande de raccordement était caduque.

Le particulier a alors renouvelé sa demande de raccordement, laquelle a permis la mise en service de son installation, mais a également entretemps assigné la société Enedis afin de voir condamner celle-ci à lui payer une certaine somme.

En appel, la Cour d’appel avait écarté les arguments du gestionnaire de réseau qui soutenait que même si sa faute (suspension erronée du processus de raccordement) n’avait pas été commise, le producteur aurait quand même subi une suspension de sa demande de contrat d’achat. Le gestionnaire soutenait donc qu’il n’y avait pas de lien de causalité.

Pour rejeter cet argumentaire, la Cour d’appel avait retenu :

« Qu’il est incontestable à cet égard, à la lecture de la Procédure de traitement des demandes de raccordement des installations de production d’électricité au réseau public de distribution, éditée par la SA ERDF elle-même, que les deux procédures sont tout à fait distinctes selon qu’elles se rapportent à une installation de puissance inférieure ou égale, ou supérieure à 36 kilowatts ; qu’il apparaît ainsi, alors que la proposition technique et financière, qui concerne les premières, s’analyse en un document préparatoire, au contenu aléatoire et non définitif, que la proposition de raccordement qui s’applique aux secondes, consiste au contraire en une proposition de convention au contenu définitif engageant le gestionnaire du réseau en termes de coût et de délais de raccordement ;

Que dans la mesure où, en l’espèce, la proposition de raccordement a été régulièrement acceptée par M. XXX et réexpédiée à la SA ERDF avec son acompte le 6 décembre 2010, soit avant l’entrée en vigueur du décret, la procédure engagée auprès de la société EDF en vue de l’obtention d’un contrat d’achat d’électricité ne pouvait être suspendue ».

La Cour de cassation ne valide pas tout à fait dans ces termes l’interprétation de la Cour d’appel mais assoie au contraire sa décision sur un raisonnement en trois étapes :

  • Tout d’abord, la cour relève que le décret du 9 décembre 2010 a suspendu l’obligation d’achat qu’à compter du 10 décembre 2010 (date de son entrée en vigueur) ;
  • Ensuite, que ledit décret prévoyait qu’il ne s’appliquait pas aux installations ayant donné lieu à une PTF acceptée par le producteur avant le 2 décembre 2010 ;
  • Enfin, qu’en l’espèce, une telle PTF n’a pas été transmise, puisque le gestionnaire a transmis directement une convention de raccordement qui a été acceptée avant l’entrée en vigueur du décret le 10 décembre 2010.

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette importante décision :

  1. En premier lieu, la Cour de cassation refuse la dichotomie artificielle que le gestionnaire souhaitait créer entre le processus de raccordement et le processus relatif à l’obligation d’achat, s’agissant de l’application d’un même texte à une même situation.
  2. En deuxième lieu, on peut déduire implicitement de l’arrêt du 6 septembre comme de l’arrêt de la Cour d’appel de Besançon que le gestionnaire de réseau n’invoque pas systématiquement avec la même conviction l’argument tiré du caractère « d’aide d’Etat illégale » de l’arrêté tarifaire du 12 janvier 2010.
  3. En troisième lieu, il ressort de la lecture de la Cour de cassation que l’application du décret dans le temps s’opère de la façon suivante. L’obligation d’achat est suspendue à compter du 10 décembre 2010 (date d’entrée en vigueur). Les situations antérieures à l’entrée en vigueur se divisent en deux cas de figure :
    • Soit le projet a donné lieu à une PTF : en ce cas, l’application du moratoire dépend de la question de savoir si elle a été acceptée avant ou après le 2 décembre 2010
    • Soit le projet a donné lieu à une convention de raccordement, auquel cas les projets dont les conventions ont été acceptées avant l’entrée en vigueur du décret (soit avant le 10 décembre 2010) ne peuvent voir le processus de raccordement, ni le processus d’obligation d’achat être suspendus.