Permis modificatif : l’intérêt à agir des tiers s’apprécie de manière stricte (CE, 17 mars 2017, n° 396362)

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Par Maître Lou DELDIQUE (Green Law Avocats)

L’intérêt à agir des tiers constitue un sujet récurrent en droit de l’urbanisme, notamment depuis l’entrée en vigueur des articles L. 600-1-1 à L. 600-1-3 du code de l’urbanisme (voir nos analyses ici, ici, et ici).

L’arrêt commenté (CE, 17 mars 2017, n° 396362, consultable ici) aborde cette question sous un angle particulier, puisque l’autorisation contestée n’était pas un permis de construire, mais un permis modificatif.

En l’espèce, le Maire de la commune de La Cadière-d’Azur avait autorisé la construction d’une maison individuelle en 2008. En 2015, il avait délivré un permis de construire modificatif pour procéder à la modification des façades et du garage ainsi qu’à la création d’une surface de plancher de 15 mètres carrés, d’un garage en rez-de-chaussée de 137 mètres carrés et d’un nouvel accès pour les voitures.

Des voisins avaient introduit un recours contre ce permis modificatif devant le Tribunal administratif de Toulon, qui avait rejeté leur demande par une ordonnance d’irrecevabilité manifeste. Les premiers juges avaient en effet considéré que les requérants ne démontraient pas leur intérêt à agir au sens de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme.

Statuant en cassation, le Conseil d’Etat rappelle, selon une formule désormais classique :

  • qu’il incombe au requérant de « préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien » (voir aussi : CE, 10 février 2016, n°387507 ; CE, 10 juin 2015, n°386121) ;
  • et qu’ « eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction » (CE, 13 avril 2016, n° 389798).

Mais il précise surtout que lorsque l’autorisation attaquée est un permis modificatif, l’intérêt à agir des tiers doit être apprécié au regard de la portée des modifications apportées au projet de construction initialement autorisé :

«Lorsque le requérant, sans avoir contesté le permis initial, forme un recours contre un permis de construire modificatif, son intérêt pour agir doit être apprécié au regard de la portée des modifications apportées par le permis modificatif au projet de construction initialement autorisé. […] »

 

En l’espèce, le Conseil d’Etat considère que les requérants avaient démontré leur qualité de voisins, mais aussi l’impact que les modifications autorisées étaient susceptibles d’avoir sur les conditions de jouissance de leur bien, de sorte que leur intérêt à agir devait être reconnu :

« En jugeant, pour rejeter leur demande comme manifestement irrecevable, que M. et Mme D…ne justifiaient pas d’un intérêt à agir contre le permis de construire modificatif attaqué, alors qu’ils avaient établi être propriétaires d’une maison à usage d’habitation située à proximité immédiate de la parcelle d’assiette du projet et avaient produit la décision attaquée, de laquelle il ressortait que le permis litigieux apportait des modifications notables au projet initial, affectant son implantation, ses dimensions et l’apparence de la construction, ainsi que divers clichés photographiques, pris depuis leur propriété, attestant d’une vue directe sur la construction projetée, la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Toulon a inexactement qualifié les faits de l’espèce. »

 

Cette décision, qui valide la solution récemment retenue par la Cour administrative d’appel de Lyon en matière de permis éolien (CAA Lyon, 8 mars 2016, n°14LY01495), doit être saluée, car elle évite que les tiers qui n’auraient pas contesté l’autorisation initiale puissent ensuite se prévaloir de l’existence même de la construction pour établir leur intérêt à agir.

L’inverse aurait d’ailleurs été à l’encontre de la jurisprudence rendue en matière de permis modificatif, puisqu’il est constant que si un tel permis peut faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir dans un délai de deux mois à compter de son affichage sur site, seules les dispositions qui lui sont propres peuvent être contestées. Ainsi, si le permis initial est définitif, les droits que le titulaire tient de cette première autorisation ne peuvent être remis en cause à l’occasion d’un recours contre le permis modificatif (CE, 17 octobre 2016, n°373990 ; CE, 22 juillet 2015, n°380374 ; CE, sect., 28 juill. 1999, n° 182167 ; CE 6 avr. 1992, n° 87168).