Abstract spider web with dew dropsDans une décision en date du 6 décembre 2013 qui sera mentionnée dans les tables du recueil Lebon (CE, 6 déc. 2013, n°354703), le Conseil d’Etat a constaté qu’un pétitionnaire s’était livré à des manœuvres frauduleuses en vue de se voir accorder une autorisation d’urbanisme et a, en conséquence, confirmé le jugement prononçant l’annulation de cette autorisation.

Dans cette affaire, le preneur avait souhaité, sans l’accord du bailleur, reconstruire la ferme qu’il avait prise à bail, étant précisé que la ferme avait été en partie détruite par un incendie. Un litige avait alors opposé les intéressés devant le tribunal paritaire des baux ruraux au sujet de la reconstruction du bâtiment. Alors que le litige était en cours devant ce tribunal, le preneur est parvenu à obtenir de la part du maire de la commune, un permis de construire portant sur la reconstruction et l’extension des bâtiments de la ferme.

Le bailleur a alors saisi le Tribunal administratif, qui a procédé à l’annulation de l’arrêté en cause, au motif qu’il avait été délivré à la suite de manœuvres frauduleuses de la part du pétitionnaire. La Cour administrative d’appel a néanmoins annulé ce jugement. Elle a considéré que le bailleur ne justifiait d’aucun intérêt lui donnant qualité pour contester le permis de construire, au motif qu’il avait méconnu les obligations imposées au bailleur par la législation des baux ruraux relative à la reconstruction des biens détruits.

Dans sa décision, le Conseil d’Etat a tout d’abord censuré l’arrêt de la Cour pour erreur de droit. En effet, selon la Haute Juridiction, « le propriétaire d’un terrain justifie, en cette seule qualité, d’un intérêt lui donnant qualité pour agir devant le juge de l’excès de pouvoir contre les autorisations d’urbanisme accordées en vue de la réalisation de travaux sur son bien ». Dans ces conditions, la circonstance que le bailleur avait volontairement méconnu son obligation d’assumer financièrement, au moins partiellement, la reconstruction du bien donné à bail ne faisait donc pas obstacle à ce qu’il se voit reconnaître un intérêt à agir à l’encontre de l’autorisation de construire sollicitée par le pétitionnaire, du fait de son inertie fautive.

Ensuite, le Conseil d’Etat a confirmé que le caractère simplement déclaratif de la demande de permis de construire oblige quand même l’administration et le juge à vérifier que cette demande n’est pas entachée de manœuvres frauduleuses de la part du pétitionnaire. Un arrêt extrêmement intéressant avait déjà été rendu sur cette question (voir notre commentaire).

Plus précisément, la Haute Juridiction a jugé

« qu’il résulte [des dispositions de l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme] que les demandes de permis de construire doivent seulement comporter l’attestation du pétitionnaire qu’il remplit les conditions définies à l’article R. 423-1 cité ci-dessus ; qu’il n’appartient pas à l’autorité compétente de vérifier, dans le cadre de l’instruction de la demande de permis, la validité de l’attestation établie par le pétitionnaire ; que, toutefois, dans le cas où, en attestant remplir les conditions définies à l’article R. 423-1, le pétitionnaire procède à une manœuvre de nature à induire l’administration en erreur, le permis qui lui est délivré doit être regardé comme ayant été frauduleusement obtenu » (considérant n° 7, req. n° 354703).

Au cas de l’espèce, le Conseil d’Etat a constaté qu’aucun texte n’autorisait le preneur à bail à présenter une demande de permis de construire en vue de réaliser une construction sur les terrains loués. Il a également relevé que le pétitionnaire avait attesté dans sa demande avoir qualité pour demander le permis de construire conformément aux dispositions du code de l’urbanisme, alors qu’il ne pouvait ignorer, compte tenu du litige en cours avec le bailleur, l’opposition de ce dernier à la réalisation des travaux. Il a estimé, dans ces conditions, que le pétitionnaire s’était livré à une manœuvre de nature à induire l’administration en erreur.

Or, si l’administration n’a plus à vérifier l’identité du pétitionnaire ni sa qualité à solliciter une autorisation d’urbanisme depuis la réforme de 2007 (voir l’arrêt de principe), le permis obtenu par fraude doit être annulé en cas de recours. On ne pourra alors que conseiller à un tiers, sachant la demande de permis sollicitée par un pétitionnaire ne disposant de qualité pour ce faire, d’en informer avec tout élément circonstancié l’administration afin d’éviter de devoir attaquer le permis ainsi obtenu et^par là même devoir non seulement démontrer la fraude mais aussi parfois, comme en l’espèce, son intérêt à agir…

Faisant application de l’adage bien connu « fraus omnia corrumpit » (cf., également, CE 15 février 2012, commune de Castiglione, req. n° 333631), le Conseil d’Etat donne finalement raison au bailleur indélicat, qui avait refusé de financer la reconstruction du bien donné à bail. En attestant à tort qu’il avait qualité pour demander le permis de construire, le pétitionnaire a sans doute cherché à se faire justice lui-même. Tel était pris qui croyait prendre…

Yann BORREL

Green Law Avocat