origami, moulin à vent, fond blancDans sa très remarquée décision du 1er mars 2013 (CE, 1er mars 2013, n° 350306, Fritot et autres c. / Ventis commentée ici), le Conseil d’Etat avait explicité les conditions d’application de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme, et distingué deux régimes d’annulation partielle :

  • en cas de divisibilité des éléments du projet de construction, c’est la théorie traditionnelle  qui s’applique, étant précisé qu’un projet est divisible lorsque les éléments de l’ensemble immobilier projeté auraient pu faire l’objet de permis de construire distincts en raison de leur « vocation fonctionnelle autonome » (CE, 17 juillet 2009, n° 301615).
  • lorsque le permis est indivisible, l’article L. 600-5 permet un autre type d’annulation partielle, sous réserve que deux conditions soient remplies : l’illégalité entachant le permis ne doit affecter qu’une « partie identifiable » de ce dernier, et elle doit pouvoir être régularisée par un arrêté modificatif de l’autorité compétente.

On notera que cette intéressante jurisprudence a récemment été complétée par un arrêt du 4 octobre 2013 (CE, 4 octobre 2013, n°358401), dans lequel le Conseil d’Etat a précisé les conditions dans lesquelles un vice affectant partiellement une autorisation d’urbanisme peut être régularisé par un permis modificatif :

« Considérant que, d’une part, lorsque les éléments d’un projet de construction ou d’aménagement ayant une vocation fonctionnelle autonome auraient pu faire, en raison de l’ampleur et de la complexité du projet, l’objet d’autorisations distinctes, le juge de l’excès de pouvoir peut prononcer une annulation partielle de l’arrêté attaqué en raison de la divisibilité des éléments composant le projet litigieux ; que, d’autre part, il résulte des dispositions de l’article L. 600-5 citées ci-dessus qu’en dehors de cette hypothèse, le juge administratif peut également procéder à l’annulation partielle d’une autorisation d’urbanisme dans le cas où une illégalité affecte une partie identifiable du projet et où cette illégalité est susceptible d’être régularisée par un arrêté modificatif de l’autorité compétente, sans qu’il soit nécessaire que la partie illégale du projet soit divisible du reste de ce projet ; que le juge peut, le cas échéant, s’il l’estime nécessaire, assortir sa décision d’un délai pour que le pétitionnaire dépose une demande d’autorisation modificative afin de régulariser l’autorisation subsistante, partiellement annulée ;

Considérant que, pour faire application de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme et n’annuler que partiellement le permis de construire litigieux, en tant que la pente des toitures des villas dont il permet la construction est supérieure aux 35 % autorisés dans cette zone par l’article AUC 11 du règlement du plan local d’urbanisme, la cour s’est fondée sur la circonstance que ces villas ne comportaient pas de combles aménagés et que la régularisation du vice relevé ne conduirait qu’à un  » léger abaissement des faîtières  » ; qu’ainsi, la cour n’a, contrairement à ce qui est soutenu, pas omis de rechercher si le vice pouvait être régularisé au regard des règles d’urbanisme applicables sans remettre en cause la conception générale ni l’implantation des constructions et si la construction pouvait ainsi, compte tenu du caractère limité des modifications apportées au projet initial, faire légalement l’objet d’un permis modificatif ; qu’en jugeant que tel était le cas en l’espèce, elle a porté sur les pièces du dossier une appréciation souveraine exempte de dénaturation ; «

Dans l’affaire Fritot, la  Haute Juridiction avait renvoyé l’affaire devant la Cour administrative d’appel de Nantes, à laquelle il incombait donc de déterminer si en l’espèce, le projet éolien attaqué par des riverains pouvait être qualifié de divisible ou non, et si l’article L. 600-5 s’appliquait.

Aussi, par son arrêt du 17 janvier 2014 (CAA Nantes, 17  janvier 2014, n°13NT00947, consultable ici), la cour juge que le point de livraison, seul affecté par un vice de procédure, n’était pas divisible du reste du projet et se prononce en faveur de l’application de l’article L. 600-5, dans sa version issue de l’ordonnance du 18 juillet 2013 :

« 4. Considérant que, d’autre part, aux termes des dispositions de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme, dans s a rédaction issue de l’ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme et applicable à la date à laquelle statue la cour :  » Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice n’affectant qu’une partie du projet peut être régularisé par un permis modificatif, peut limiter à cette partie la portée de l’annulation qu’il prononce et, le cas échéant, fixer le délai dans lequel le titulaire du permis pourra en demander la régularisation  » ;


5. Considérant que, par le jugement du 19 novembre 2009, devenu définitif sur ce point, le tribunal administratif de Caen a annulé l’arrêté du 13 août 2008 du préfet de la Manche en tant qu’il autorise la construction du poste de livraison électrique au motif que ce bâtiment étant situé à moins de 500 mètres du Manoir de Gonfreville inscrit au titre des monuments historiques, la délivrance de cette autorisation, sans consultation de l’architecte des bâtiments de France, méconnaissait les dispositions de l’article L. 621-31 du code du patrimoine ; que ce poste de livraison, destiné à injecter l’énergie produite par l’éolienne au réseau électrique, n’est pas divisible du reste du projet ; que cette illégalité au regard des prescriptions de l’article L. 621-31 du code du patrimoine, qui affecte une partie identifiable du projet autorisé par le permis de construire du 13 août 2008 a été régularisée par une déclaration de travaux ; »

A certains égards, cette décision a de quoi surprendre : en effet, la jurisprudence reconnait habituellement la divisibilité du point de livraison et des éoliennes (CE, 6 novembre 2006, n°281072 ; CAA Lyon, 12 octobre 2010, n°08LY02786 ; CAA Nantes, 22 juin 2010, n°09NT02036 ; CAA Nantes, 7 avril 2010, n°09NT00829 ; CAA Lyon, 23 octobre 2007, n°06LY02337).

Mais surtout, la Cour avait retenu cette divisibilité lors de sa première décision :

« Considérant qu’en dépit du lien fonctionnel existant entre eux, l’éolienne n° 6 et le poste de livraison dont le préfet de la Manche a autorisé la construction sur le territoire de la commune de Gonfreville, par l’arrêté du 13 août 2008, constituent deux ouvrages matériellement distincts ; que le vice de procédure tenant à l’absence d’avis de l’architecte des bâtiments de France n’a pu affecter que le poste de livraison seul situé dans le périmètre de protection du manoir de Gonfreville ; qu’une telle irrégularité est susceptible d’être corrigée par la consultation de l’autorité compétente et l’a été par une déclaration préalable présentée par la SARL Ventis le 16 mars 2010, à laquelle le préfet de la Manche n’a pas fait opposition ; qu’ainsi, doit être écarté le moyen tiré de ce que ce vice de procédure était de nature à entraîner l’annulation totale de l’arrêté du 13 août 2008 et non pas, comme l’a décidé le Tribunal administratif de Caen, son annulation partielle en tant qu’il autorisait la construction dudit poste de livraison ; » (CAA Nantes, 22 avril 2011, n° 10NT00113)

Quoi qu’il en soit, on reconnaîtra sans peine que les conditions d’application de l’article L. 600-5 (vice n’affectant qu’une partie identifiable du projet et possibilité de régularisation par un permis modificatif) étaient réunies, et que le raisonnement des juges d’appel, qui, rappelons-le, apprécient souverainement le critère de la divisibilité du projet, est parfaitement en adéquation avec la jurisprudence du Conseil d’Etat.

Lou Deldique

Green Law Avocat