Nitrates : nouvelles contraintes pour le monde agricole

attention traces de nitratesPar

Maître Yann BORREL (Green Law Avocat)

L’arrêté du 5 mars 2015 précisant les critères d’évaluation de la teneur en nitrates des eaux ainsi que les modalités de désignation et de délimitation des zones vulnérables a été publié au Journal officiel du 11 mars 2015 (JORF n° 0059, page 4414, texte n° 12).

Cet arrêté fait suite à la modification par le décret n° 2015-126 du 5 février 2015 des articles R. 211-75 à R. 211-77 du code de l’environnement, afin d’assurer une meilleure transposition de la directive « nitrates » (Dir. n° 91/676/CEE du 12/12/91 concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles). Les articles R. 211-75 à R. 211-77 définissent les nouvelles modalités de désignation et de délimitation des zones vulnérables. Sont désormais désignées comme « zones vulnérables », toutes les zones qui alimentent les eaux atteintes par la pollution par les nitrates ou susceptibles de l’être et qui contribuent à la pollution ou à la menace de pollution (cf. C. env., art R. 211-77, I). La définition des eaux atteintes par la pollution par les nitrates ou qui sont susceptibles de l’être a été donnée à l’article R. 211-76 du code de l’environnement. En particulier, sont considérées comme atteintes par la pollution par les nitrates, les eaux souterraines et les eaux douces superficielles, notamment celles servant ou destinées aux captages d’eau pour la consommation humaine, dont la teneur en nitrate est supérieure à 50 milligrammes par litre (cf. C. env., art R. 211-76, 1° du I). Par ailleurs, sont désormais considérées comme susceptibles d’être polluées par les nitrates, « les eaux souterraines et les eaux douces superficielles, notamment celles servant ou destinées aux captages d’eau pour la consommation humaine, dont la teneur en nitrate est comprise entre 40 et 50 milligrammes par litre et ne montre pas de tendance à la baisse » (cf. C. env., art R. 211-76, 1° du II). L’article R. 211-76 du code de l’environnement renvoie à un arrêté du ministre chargé de l’écologie, le soin de fixer les critères et méthodes d’évaluation de la teneur en nitrates des eaux.

C’est l’objet de l’arrêté du 5 mars 2015. On retiendra tout particulièrement le fait que la teneur en nitrates retenue pour définir les eaux atteintes par la pollution par les nitrates ou susceptibles de l’être est déterminée par le percentile 90 des teneurs en nitrates mesurées lors de la dernière campagne annuelle du programme de surveillance (cf. art. 1er, al. 1er). Cette règle consiste à prendre en compte la valeur en deçà de laquelle se situent 90 % des mesures réalisées au cours de la campagne annuelle du programme de surveillance (cf. art. 1er al. 2).

La prescription de cette méthode, qui peut apparaître comme un durcissement des critères de classification (N. Armbruster, Droit de l’environnement, n° 221 mars 2014, p. 106 et s.) s’explique sans doute par la volonté du Ministère de l’Ecologie de transposer au mieux la directive « cadre » sur l’eau (directive 2000/60/CE du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau), ainsi qu’il ressort de la circulaire du 22 décembre 2011 relative au réexamen de la liste des zones vulnérables au titre de la directive n° 91/676/CEE du 12 décembre 1991 concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles, dite directive « nitrates ». Initialement, l’utilisation de cette méthode avait fait l’objet d’une simple recommandation dans la circulaire du 22 décembre 2011. Préalablement à l’entrée en vigueur de l’arrêté du 15 mars 2015, la méthode du percentile 90 a été mise en œuvre par les Préfets coordonnateurs de bassin pour délimiter les zones vulnérables. Dans un jugement relatif à la contestation de l’arrêté préfectoral de délimitation des zones vulnérables en Région Centre, le Tribunal administratif d’Orléans a admis le bien-fondé de son utilisation en jugeant qu’« une telle méthode, qui n’est pas contraire aux dispositions de l’article R. 211-76 du Code de l’environnement, permet de mieux apprécier le phénomène de pollution des eaux douces superficielles et souterraines au nitrate, qui est plus marqué à certaines périodes de l’année » (TA Orléans, 31 décembre 2013, req. n° 1300565, Droit de l’environnement, n° 221 mars 2014, p. 106 et s.).

Par ailleurs, soucieux d’assurer au mieux la transposition de la directive « nitrates », les rédacteurs de l’arrêté du 5 mars 2015 ont prescrit que les masses d’eau superficielles dont la teneur en nitrates dépasse 18 mg/l en percentile 90 sont considérées comme « subissant ou susceptibles de subir une eutrophisation des eaux douces superficielles » au sens de l’article R. 211-76 du code de l’environnement, de sorte que « les communes en intersection avec les bassins versants qui alimentent ces masses d’eaux sont désignées en tant que zone vulnérable » (cf. art. 3 de l’arrêté du 15 mars 2015).

Dans la même optique, les zones vulnérables sont désignées en fonction des masses d’eau pour les eaux souterraines. Dès lors que la teneur en nitrates d’un point d’une masse d’eau souterraine répond aux critères mentionnés au 1° du I et au 1° du II de l’article R. 211-76 du code de l’environnement, la totalité de la masse d’eau souterraine est considérée, en principe, comme atteinte par la pollution par les nitrates ou susceptible de l’être et l’ensemble des communes dont une partie du territoire est sus-jacent à la masse d’eau sont désignées comme zone vulnérable (cf. art. 3 de l’arrêté du 15 mars 2015).

Cette nouvelle définition des zones vulnérables devrait vraisemblablement susciter la désapprobation des agriculteurs, dès lors qu’elle aura pour effet d’étendre les périmètres d’application des programmes d’actions en vue de la protection des eaux contre la pollution par les nitrates. Il est certain que la parution de l’arrêté constitue un énième épisode de la saga du contentieux « nitrates » : on sait que le gouvernement peine à donner pleine application à la directive « Nitrates », tant l’équilibre entre les exigences de l’Union européenne, les objectifs écologiques et l’intérêt légitime des agriculteurs sont difficiles à concilier … cela ne devrait pas infirmer l’idée que le programme d’action et les zonages y afférant pataugent dans le contentieux.