appel à consultationDans un arrêt en date du 30 juillet 2014 (consultable ici), la Cour administrative d’appel de Bordeaux, statuant en matière d’autorisation ICPE, précise la notion d’ »insuffisance de motivation des conclusions du commissaire-enquêteur ».

En l’espèce, une association contestait la légalité de l’autorisation d’exploiter une centrale d’enrobage à chaud et une centrale d’enrobage à froid de matériaux routiers délivrée par le Préfet de Lot-et-Garonne à un industriel. L’association soutenait notamment que les conclusions émises par le commissaire-enquêteur à l’issue de l’enquête publique étaient irrégulières.

Il est en effet constant que les conclusions doivent être personnelles et motivées, sous peine d’entacher la décision finale d’un vice de procédure (CE, 15 nov. 2006, n° 285658 ; CAA Nantes, 3 févr. 2009, n°08NT00877 ; CAA Nancy, 9 juin 2011, n°10NC01275). Le commissaire-enquêteur doit notamment expliquer les raisons de son avis (favorable ou défavorable) après avoir procédé à une mise en balance des avantages et inconvénients du projet (voir par exemple : CAA Douai, 27 mars 2012, n°11DA00928 ; TA Rennes, 29 novembre 2013, n°1104787).

Le tribunal administratif de Bordeaux, considérant que l’avis du commissaire enquêteur était motivé de manière trop succincte, lui avait donné raison sur ce point et avait annulé l’autorisation d’exploiter.

En appel, l’exploitant invoquait la jurisprudence Danthony (CE, 23 décembre 2011, n°335033), aux termes de laquelle « un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ». Il faisait ainsi valoir que l’insuffisante motivation donnée par le commissaire-enquêteur n’avait pu influencer le Préfet, ni priver le public d’une garantie, dès lors que celui-ci n’avait formulé aucune observation dans les registres mis à sa disposition.

La Cour, après avoir caractérisé l’insuffisance de motivation de l’avis du commissaire-enquêteur, considère que la jurisprudence Danthony ne peut s’appliquer, dans la mesure où le rapport et les conclusions du commissaire-enquêteur étaient, à l’issue de l’enquête, consultables pendant quatre ans par toute personne à la préfecture et à la mairie d’implantation du projet.

Pour les juges d’appel, cette mesure doit s’analyser comme une garantie pour les personnes intéressées, et sa méconnaissance constitue par conséquent une irrégularité substantielle :

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le commissaire-enquêteur a donné un avis favorable sur le projet en se bornant à émettre, dans un rapport extrêmement succinct, des  » observations particulières  » portant sur la desserte de l’installation, les risques de pollution du ruisseau de  » Samadet « , la présentation, par la commune de Samazan, d’un rapport faisant apparaître  » l’évolution environnementale  » lors de l’établissement de son futur plan local d’urbanisme et, enfin, la nécessité que le projet respecte une  » intégration paysagère adéquate  » ; qu’il s’est borné, dans ses conclusions par document séparé, à indiquer que  » le projet est très favorable à l’économie générale  » et a émis un avis favorable  » sous réserve de l’avis de tous les services administratifs et techniques cités dans le préambule du rapport (…)  » dont il avait regretté l’absence de disponibilité, et  » sous réserve du rapport de l’inspecteur des installations classées et du CODERST « , ce qui démontrait qu’il n’avait pas disposé d’informations suffisantes pour se prononcer ; qu’à aucun moment, le commissaire-enquêteur n’a précisé, même sommairement, les raisons qui l’ont conduit à donner un avis favorable sur le projet litigieux d’exploitation de deux centrales destinées à la production d’enrobés sur le territoire de la commune de Samazan ; que son avis est, par suite, insuffisamment motivé ;

Considérant que le G.I.E. Lot-et-Garonne Enrobés fait toutefois valoir que cette insuffisance de la motivation de l’avis du commissaire-enquêteur n’a pas été de nature, en l’espèce, à priver le public d’une garantie où à influer sur le sens de la décision prise ; qu’il se prévaut à cet égard de ce qu’aucune observation n’a été formulée dans les cinq registres mis à disposition dans les communes comprises dans le périmètre de l’enquête ; que toutefois, aux termes de l’article R. 512-17 du code de l’environnement alors en vigueur, la copie du rapport et des conclusions devait être adressée par le préfet à la mairie de chacune des communes concernées par l’enquête, toute personne pouvant par ailleurs en prendre connaissance à la préfecture et à la mairie d’implantation ; que la consultation de cet avis motivé constitue par conséquent une garantie pour les intéressés qui disposaient en outre, en vertu des dispositions alors applicables de l’article L. 514-6 du code de l’environnement, d’un délai de quatre ans à compter de la mise en service de l’installation pour contester l’autorisation y afférente ; qu’ainsi, c’est à bon droit que le tribunal administratif a retenu le moyen tenant à l’insuffisance de motivation de l’avis du commissaire-enquêteur ; »

 

Cette décision précise l’application de la jurisprudence Danthony, qui, comme c’était prévisible, trouve ses limites dans les principes de participation et d’information du public.

Elle confirme aussi l’importance cruciale que revêtent les conclusions du commissaire-enquêteur, qui peuvent, lorsqu’elles sont mal rédigées, constituer un véritable risque contentieux pour le pétitionnaire. Précisons toutefois que le décret du 29 décembre 2011 a mis en place un contrôle préventif de la motivation des conclusions du commissaire enquêteur permettant de purger leurs éventuelles irrégularités : l’article R. 123-20 du code de l’environnement prévoit ainsi que l’autorité compétente pour organiser l’enquête peut alerter le président du tribunal administratif sur l’insuffisance constatée dans un délai de 15 jours. Si l’insuffisance est avérée, le commissaire enquêteur a alors un délai d’un mois pour compléter ses conclusions.

On ne peut que souhaiter que cette possibilité soit ultérieurement ouverte au pétitionnaire, dans la mesure où il est en définitive le plus lésé par une éventuelle irrégularité de l’avis du commissaire-enquêteur…

Lou DELDIQUE

Green Law Avocat