Loi ELAN : retour sur les modifications apportées aux règles d’urbanisme

Sphre urbanismePar Maître Lou DELDIQUE, Avocat of counsel – GREEN LAW AVOCATS (lou.deldique@green-law-avocat.fr)

 

La loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite « loi ELAN », est entrée en vigueur le 1er janvier 2019. Si elle a renouvelé le contentieux de l’urbanisme (voir notre analyse ici), elle a aussi remodelé certaines règles de fond, en s’efforçant systématiquement de diminuer les contraintes pesant sur le pétitionnaire.

Retour sur les changements les plus notables.

 

  1. Un renouveau des outils d’aménagement 

 

La loi ELAN crée les projets partenariaux d’aménagement (PPA), qui sont des contrats conclus entre l’Etat et les établissements publics ou certaines collectivités territoriales en vue de la réalisation de grands projets d’aménagement (CU, art. L.312-1). Certains de ces PPA peuvent être qualifiés de grande opération d’urbanisme (GOU) si « en raison de [leurs] dimensions ou de [leurs] caractéristiques, [leur] réalisation requiert un engagement conjoint spécifique de l’Etat et d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public » (CU, art. L.312-3).

L’article L. 312-5 du code de l’urbanisme prévoit qu’au sein du GOU, un régime juridique dérogatoire s’applique, afin de faciliter la réalisation des opérations d’aménagement.

Notons que ces outils semblent essentiellement destinés aux EPCI, même s’il est prévu que les communes concernées sont associées à la démarche.

 Les règles applicables aux ZAC sont également modifiées :

  • L’article L. 123-2 du code de l’environnement (qui exempte les ZAC d’enquête publique) est modifié de manière à ne plus faire référence aux « projets de création de ZAC », mais aux « projets de ZAC », ce qui lève l’ambiguïté qui existait depuis la réforme de l’évaluation environnementale d’août 2016. Il ne fait donc désormais aucun doute que l’actualisation du projet de ZAC est également soumise à une simple mise à disposition du dossier par voie électronique ;
  • L’article 9 de la loi simplifie l’articulation entre le PLU et la ZAC : désormais, les articles L. 151-7-2, L. 311-1 et L. 153-34 du code de l’urbanisme permettent à l’autorité compétente en matière de PLU et de création de ZAC d’intégrer la possibilité de créer un périmètre de ZAC au sein des orientations d’aménagement et de programmation (OAP). Les OAP pourront également définir « la localisation et les caractéristiques des espaces publics à conserver, à modifier ou à créer» dans le périmètre des ZAC mais également « définir la localisation prévue pour les principaux ouvrages publics, les installations d’intérêt général et les espaces verts » (CU, art. 151-7-1).

 

2. Un assouplissement des règles de constructibilité

 

La loi ELAN modifie l’article L. 151-11 du code de l’urbanisme de manière à élargir les possibilités de déroger à l’inconstructibilité des zones A ou N. Cet élargissement, qui a pour objectif de valoriser les activités agricoles qui contribuent à la dynamisation de l’activité économique dans les territoires ruraux (Sénat, rapport n°630 sur le projet de loi, p. 163 à 165), se fait au bénéfice des bâtiments de transformation, de conditionnement et de commercialisation des produits agricoles, lorsque :

  • Ces activités sont dans le prolongement de l’acte de production ;
  • Qu’elles ne sont pas incompatibles avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière sur le terrain sur lequel elles sont implantées ;
  • Et qu’elles ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages.

 La règle de la constructibilité limitée, qui s’applique dans les communes soumises au RNU, est assouplie par l’introduction à l’article L. 111-4 d’une nouvelle exception pour les mêmes constructions et installations nécessaires à la transformation, au conditionnement et à la commercialisation des produits agricoles.

 La loi Littoral est également modifiée. Ainsi, l’extension de l’urbanisation des communes littorales (qui devait jusque-là se faire soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement ; voir par exemple : CE, 31 mars 2017, n°392186 ; CE, 28 juillet 2017, n°397783 ; CE, 11 juillet 2018, n°410084) se fait dorénavant en continuité avec les agglomérations et villages existants, mais aussi dans des secteurs déjà urbanisés identifiés par le SCOT et délimités par le PLU (CU, art. L. 121 -3 et L. 121-8). Le texte précise à cet égard que « les secteurs déjà urbanisés se distinguent des espaces d’urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l’urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d’accès aux services publics de distribution d’eau potable, d’électricité, d’assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d’équipements ou de lieux collectifs. »

Cet assouplissement, qui vise à permettre le comblement des dents creuses, est toutefois limité aux constructions et installations :

  • Autorisées « à des fins exclusives d’amélioration de l’offre de logement ou d’hébergement et d’implantation de services publics, lorsque ces constructions et installations n’ont pas pour effet d’étendre le périmètre bâti existant ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti » (CU, art. L. 121-8). Les installations touristiques ne sont donc pas concernées ;
  • Qui ne portent pas atteinte à l’environnement ou aux paysages. Notons d’ailleurs que la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS) doit être consultée ;
  • Et qui se situent en dehors de la bande littorale de cent mètres, des espaces proches du rivage, et des rives des plans d’eau (ce qui a permis au Conseil Constitutionnel de déclarer l’article conforme à la Charte de l’environnement : CC, décision n°2018-772 DC, 15 novembre 2018, § 6 à 13).

Enfin, la loi ELAN durcit les règles d’implantation des aménagements légers dans les espaces remarquables du littoral. En effet, l’article L. 121-24 du code de l’urbanisme précise désormais que ces aménagements ne doivent pas porter atteinte au caractère remarquable du site, et soumet leur réalisation à l’avis de la CDNPS.

 

3. Les modifications apportées au régime des autorisations d’urbanisme

 

Sur l’instruction des demandes :

Notons d’abord que la loi ELAN prévoit la privatisation de l’instruction des demandes d’autorisation, puisqu’elle permet aux communes et EPCI compétents de confier l’instruction des demandes d’autorisations d’urbanisme à un ou plusieurs prestataires privés (CU, art. L.423-1).

Cette délégation est encadrée car il est prévu :

  • Que « ces prestataires privés ne peuvent pas se voir confier des missions qui les exposeraient à un intérêt privé de nature à influencer, ou paraître influencer, l’exercice indépendant, impartial et objectif de leurs fonctions » ;
  • Qu’elle ne doit induire aucun coût pour les pétitionnaires ;
  • Que les prestataires agissent sous la responsabilité de l’autorité d’urbanisme, qui reste signataire de la décision et qui garde l’entière liberté de ne pas suivre les propositions qui lui sont faites.

On ne peut toutefois que s’interroger sur l’opportunité de cette « externalisation » du pouvoir de police et sur les risques accrus de conflit d’intérêts qu’elle risque d’engendrer…

 

Le texte modifie ensuite le régime d’autorisation de l’ABF prévue par le code du patrimoine.

Ainsi, par exception, lorsque le projet se situe au sein d’un périmètre remarquable ou aux abords d’un monument historique), l’avis de l’ABF n’est plus conforme mais simple pour :

  • L’installation d’antennes relais de téléphonie mobile ou de locaux nécessaires à leur fonctionnement (voir notre analyse ici) ;
  • Les opérations relatives à l’habitat dans des installations insalubre ou impropres (art. L. 522-1 du code la construction et de l’habitation), aux immeubles déclarés insalubres à titre irrémédiable (art. L. 1331-28 du code la santé publique) et aux immeubles menaçant de ruine ayant fait l’objet d’un arrêté de péril et assorti d’une ordonnance de démolition ou d’interdiction définitive d’habiter (L. 511-2 du code de la construction).

Pour les cas dans lesquels l’avis de l’ABF reste conforme, le silence gardé par le Préfet de région sur le recours exercé par l’autorité d’urbanisme contre l’avis de l’ABF vaut accord et non plus rejet (C. Patri., art. L. 632-2, II). En revanche si le recours est exercé par le pétitionnaire à l’occasion du refus d’autorisation de travaux, le silence de l’administration vaut toujours refus (C. Patri., art. L. 632-2, III).

Notons que ces mesures sont applicables aux demandes d’autorisation présentées à compter du lendemain de la publication de la loi (article 56 VI de la loi).

Enfin, l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme envisage maintenant l’hypothèse de la délivrance de plusieurs autorisations d’urbanisme sur un même terrain en indiquant que cette circonstance ne fait pas obstacle au dépôt d’une nouvelle demande d’autorisation par le même bénéficiaire, et que l’obtention de celle-ci n’emporte pas nécessairement le retrait de la première.

Cette clarification est bienvenue, puisque le Conseil d’Etat avait jugé que la délivrance d’un nouveau permis avait « implicitement mais nécessairement eu pour effet de rapporter le permis de construire accordé [initialement] » (CE, 23 juin 2014, n° 366498 ; voir aussi : TA Nice, 20 août 2018, n°1501713, SCI Boue de Lapeyrere). Elle permet au demeurant au pétitionnaire de pouvoir choisir entre deux projets en fonction de l’évolution du marché immobilier notamment.

 

Sur les infractions et leur répression :

Le droit de visite et de communication dont dispose l’autorité d’urbanisme dans le cadre de son contrôle de conformité (CU, art. L. 461-1 et s. ; CCH, art. L. 151-1) est précisé :

  • Ce droit s’exerce de 6h à 21h, et en dehors de ces heures lorsque les lieux sont ouverts au public ;
  • Il peut être mis en œuvre jusqu’à six ans (et non plus trois) après l’achèvement des travaux (ce qui est cohérent avec la nouvelle prescription appliquée à l’action publique pour les délits depuis 2017) ;
  • Pour les domiciles et les locaux comportant des parties à usage d’habitation, la présence de l’occupant est requise, à moins qu’il n’ait donné son accord ou que le juge des libertés et de la détention n’ait autorisé la visite ;
  • Des modalités spécifiques sont prévues pour les visites aux fins de constat d’infraction (CU, art. L. 480-17).

 

Le champ d’application de l’article L. 610-1 du code de l’urbanisme, qui prévoit une infraction autonome en cas de construction méconnaissant le PLU, est limité puisqu’il est dorénavant prévu que : « Sauf en cas de fraude, le présent article n’est pas applicable lorsque le bénéficiaire d’une autorisation définitive relative à l’occupation ou l’utilisation du sol, délivrée selon les règles du présent code, exécute des travaux conformément à cette autorisation. » Notons que cette hypothèse peut concerner les permis de construire délivrés en méconnaissance du PLU ou ceux qui l’ont été sous l’empire d’un PLU ensuite annulé.

L’action en démolition, qui avait presque disparu suite à la Loi Macron de 2015 (voir notre analyse ici), trouve un nouveau souffle avec le nouvel article L. 600-6, qui permet désormais au Préfet de demander au juge civil d’ordonner la démolition des constructions érigées en application d’un permis dont il a obtenu l’annulation « pour un motif non susceptible de régularisation », et ce même si le bâtiment se trouve en dehors des zones énumérées à l’article L. 480-13.

 

4. Précisions sur les effets de l’annulation du PLU

En premier lieu, le texte précise l’exception à la caducité des plans d’occupation des sols (POS) : en effet, la loi ALUR (loi no 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové) avait organisé la disparition de ces documents pour le 27 mars 2017 au plus tard (CU, art. L. 174-1 et L. 174-1).

Néanmoins, les articles l. 600-12 et L. 174-6 du code de l’urbanisme prévoient, de manière tout à fait exceptionnelle, un retour au POS immédiatement antérieur si le PLU est annulé ou déclaré illégal.

Dans sa nouvelle rédaction issue de l’article 34 de la loi ELAN, l’article L. 174-6 encadre ce retour au POS en limitant sa durée à 24 mois à compter de l’annulation ou de la déclaration d’illégalité.

Précisons à cet égard que la circulaire de présentation de la loi (Circ. 21 décembre 2018, NOR LOGL1835604C) indique que : « Les POS remis en vigueur depuis plus de 2 ans sont donc caducs à la date de promulgation de la loi. »

 

En second lieu, le nouvel article L. 600-12-1 précise que l’annulation du document d’urbanisme sur la base duquel l’autorisation a été délivrée est sans incidence sur la légalité de celle-ci, sauf si l’annulation du PLU porte sur un motif qui n’est pas étranger aux règles applicables au projet.

Bien évidemment, cette règle ne s’applique pas aux refus d’autorisation, de sorte que l’annulation du PLU conduit à celle de la décision individuelle et qu’une exception d’illégalité reste toujours invocable.