planUn récent arrêt de la Cour administrative d’appel de Douai (CAA Douai, 26 juin 2014, n°13DA00034, consultable ici) précise l’articulation entre la notion de complétude du dossier de demande de permis de construire et la notion de vice régularisable au sens de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme.

En l’espèce, le Tribunal administratif de Lille avait annulé le permis de construire deux immeubles collectifs d’habitation, au motif que le dossier déposé par la société pétitionnaire était insuffisant au regard des dispositions des articles R.431-8 et R.431-9 du code de l’urbanisme. En effet, les premiers juges avaient relevé que le projet architectural joint à la demande comportait une notice d’impact trop peu détaillée, d’une part, et que la pétitionnaire n’avait pas produit de plan de masse des constructions, d’autre part.

La Cour, après avoir rappelé que le juge du fond apprécie le caractère suffisant du dossier de manière globale, ce qui est de jurisprudence constante (CAA Nantes, 18 avril 2014, n°12NT00261  ; CAA Bordeaux, 3 janv. 2012, n° 11BX00191 ; CAA Paris, 19 oct. 2000, n° 97PA00743 ; CE, 30 déc. 2011, n° 342398 ), juge qu’en l’espèce, la notice déposée était effectivement trop succincte, notamment au regard de l’ampleur du projet :

« Considérant que si la régularité de la procédure d’instruction d’un permis de construire requiert la production par le pétitionnaire de l’ensemble des documents exigés par le code de l’urbanisme, le caractère insuffisant du contenu de l’un de ces documents ne constitue pas nécessairement une irrégularité de nature à entacher la légalité de l’autorisation accordée pour le projet joint au dossier de la demande, si l’autorité compétente est en mesure, grâce aux autres pièces produites, d’apprécier l’ensemble des critères énumérés par l’ensemble des dispositions pertinentes du code de l’urbanisme, et notamment, en l’espèce, celles des articles R. 431-8 et R. 431-9 ; […]

Considérant, qu’il ressort des pièces du dossier que la notice visée par l’article cité au point précédent jointe au projet architectural ne comportait pas les éléments permettant à l’autorité compétente d’apprécier complètement et suffisamment l’insertion du projet dans son environnement compte tenu des caractéristiques des deux bâtiments envisagés comportant cinq étages et vingt-sept logements chacun, d’une architecture sans équivalent dans le secteur proche, par rapport tant aux constructions existantes, et notamment aux bâtiments de style classique, à usage d’école, situés à proximité dans le prolongement du parc que de l’espace boisé lui-même constitué d’arbres de haute tige qui n’est présenté que de manière partielle ; que les éléments nécessaires à une bonne appréhension de l’insertion du projet ne figurent pas davantage dans les autres pièces du dossier de demande du permis de construire ; que, dans ces conditions, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Lille a retenu comme premier moyen d’annulation la violation des dispositions du b) du 2) de l’article R. 431-8 du code de l’urbanisme ; »

 

Cette insuffisance, dès lors qu’elle n’était compensée par aucune autre pièce du dossier, présentait donc un caractère substantiel, de nature à entacher d’illégalité la décision litigieuse.

Notons que cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante des Cours administratives d’appel, qui sanctionnent systématiquement le dossier ne permettant pas à l’autorité administrative d’apprécier l’insertion du projet dans son environnement, et notamment par rapport aux autres constructions existantes (CAA Lyon, 12 novembre 2013, n°13LY00048 ; CAA Bordeaux, 26 mars 2013, n°12BX00011 ; CAA Douai, 13 août 2012, n°11DA01185 ;CAA Bordeaux, 27 mai 2010, n°09BX01734).

Suivant le même raisonnement, la Cour rejette néanmoins le moyen tiré de l’absence de plan de masse, puisque le reste du dossier permettait de pallier cette lacune :

« Considérant que les pièces graphiques présentes dans le dossier de demande de permis de construire, et notamment les élévations ainsi que le plan de coupe, mentionnent les altimétries précises de chaque étage des constructions projetées ainsi que l’altimétrie du sol et, compte tenu de leur échelle au 1/100, permettent de déterminer la longueur et la hauteur des deux bâtiments du projet ; que, dans ces conditions, la requérante est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Lille a considéré que la décision attaquée avait méconnu les dispositions de l’article R. 431-9 du code de l’urbanisme ; » (voir aussi : CAA Bordeaux, 3 janv. 2012, n° 11BX00191 ; CE, 6 avr. 1990, n° 94152)

La méconnaissance de l’article R.431-8 étant avérée, les juges d’appel étaient invités par la société requérante à faire application du nouvel article L. 600- 5 du code de l’urbanisme, qui, rappelons-le, permet au juge de ne prononcer qu’une annulation partielle (ou plutôt conditionnelle) lorsque le vice affectant l’autorisation n’affecte qu’une partie identifiable du projet (voir nos articles précédents sur ce point ici et ici  et L. DELDIQUE, « Articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme : retour d’expérience sur les nouveaux pouvoirs du juge », Droit de l’environnement, mai 2014).

La Cour considère toutefois que ce mécanisme ne peut s’appliquer, puisque l’irrégularité relevée concerne ici l’ensemble du projet :

« Considérant qu’il résulte de ces dispositions que le juge administratif peut procéder à l’annulation partielle d’une autorisation d’urbanisme dans le cas où une illégalité affecte une partie identifiable d’un projet de construction et où cette illégalité est susceptible d’être régularisée par un arrêté modificatif de l’autorité compétente, sans qu’il soit nécessaire que la partie illégale du projet soit divisible du reste de ce projet ; que le juge peut, le cas échéant, s’il l’estime nécessaire, assortir sa décision d’un délai pour que le pétitionnaire dépose une demande d’autorisation modificative afin de régulariser l’autorisation partiellement annulée ;

Considérant que le moyen de légalité interne tiré de la violation de l’article R. 431-8 du code de l’urbanisme affecte la totalité du projet et non seulement une partie identifiable de celui-ci ; que, par suite, la société Pascal Boulanger réalisations n’est pas fondée à demander une annulation partielle de la décision sur le fondement de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme ; »

 

Cette solution, qui est tout à fait logique au regard du champ d’application de l’article L. 600-5, devrait a priori être systématiquement reprise en cas d’insuffisance du dossier de demande de permis. On manquera toutefois pas de noter que la Cour aurait pu donner une réponse différente si la requérante avait fondé sa demande d’annulation partielle sur l’article L. 600-5-1, qui, lui est susceptible de s’appliquer à une irrégularité concernant l’ensemble du projet.

Dans une espèce relativement similaire, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a ainsi jugé :

« Considérant qu’aux termes de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme issu de l’article 2 de l’ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013, entrée en vigueur le 19 août suivant, laquelle disposition est immédiatement applicable au présent litige :  » Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations.  » ;

Considérant que les vices tenant à l’insuffisance du dossier de demande de permis de construire dont est entaché le permis de construire du 18 décembre 2007 sont susceptibles de régularisation par la délivrance d’un permis de construire modificatif intervenant après que la demande de permis de construire ait été complétée par le cahier des charges de cession de terrain indiquant le nombre de mètres carrés de surface de plancher dont la construction est autorisée sur la parcelle cédée, et par une notice de présentation du projet présentant le terrain et ses abords ainsi que les dispositions prises pour assurer l’évacuation des eaux pluviales ; que les parties ont été avisées de cette possibilité et invitées à présenter leurs observations ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de surseoir à statuer et d’impartir à la SCI Kefras un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt aux fins d’obtenir la régularisation de l’arrêté du 18 décembre 2007 sur ces points; » (CAA Bordeaux, 12 juin 2014, n°12BX02902 ; voir aussi dans le même sens : CAA Nantes, 28 mars 2014, n°12NT00081).

Lou DELDIQUE

Green Law Avocat