Windwheels in rural GermanySaisie d’un recours à l’encontre d’un jugement ayant rejeté une demande tendant à obtenir l’annulation d’un permis de construire quatre éoliennes sur le territoire de la commune de Tassillé (département de la Sarthe), la Cour administrative d’appel de Nantes a considéré que les éoliennes en tant telles ne pouvaient pas favoriser une urbanisation dispersée (CAA Nantes 12 juillet 2013, Société I., req. n° 11NT02539, jurisprudence cabinet).

Les magistrats de la Cour ont été appelés à se prononcer sur la légalité du projet éolien notamment au regard des dispositions de l’article R. 111-14 du code de l’urbanisme. Ces dispositions étaient applicables en l’espèce, puisque la commune de Tassillé n’est pas dotée d’un plan local d’urbanisme ou d’un document d’urbanisme en tenant lieu.

Conformément à ces dispositions, lorsque le projet de construction est situé en dehors des parties urbanisées des communes, il peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature, par sa localisation ou sa destination :

a) à favoriser une urbanisation dispersée incompatible avec la vocation des espaces naturels environnants, en particulier lorsque ceux-ci sont peu équipés ;

b) à compromettre les activités agricoles ou forestières, notamment en raison de la valeur agronomique des sols, des structures agricoles…

Au cas de l’espèce, les requérants avaient soutenu que la construction des quatre éoliennes était de nature à favoriser une urbanisation dispersée incompatible avec les espaces naturels environnants et à compromettre les activités agricoles ou forestières.

Dans un considérant à valeur de principe, la Cour a rejeté cet argument comme l’ensemble du recours : « Considérant que le projet contesté ne peut être regardé, eu égard à ses caractéristiques et à la nature même des éoliennes, comme tendant à favoriser une urbanisation dispersée incompatible avec les espaces naturels environnants et soit de nature à compromettre les activités agricoles au sens des dispositions précitées de l’article R. 111-14 du code de l’urbanisme » (considérant n° 23).

Ainsi, pour juger que le projet n’était pas susceptible de favoriser une urbanisation dispersée au sens de l’article R. 111-14 du code de l’urbanisme, la Cour s’est notamment fondée sur « la nature même des éoliennes », alors que les caractéristiques du projet en cause aurait pu suffire à motiver son raisonnement. Ce faisant, elle a laissé entendre que les éoliennes seraient, par nature, insusceptibles de porter atteinte aux dispositions de l’article R. 111-14. Cette solution n’allait toutefois pas de soi.

En effet, les Cours administratives d’appel apparaissent partagées sur cette question. Ainsi, alors que la Cour administrative d’appel de Lyon semble considérer qu’un projet éolien peut être de nature à favoriser une urbanisation dispersée incompatible avec les espaces naturels environnants (CAA Lyon 2 octobre 2012, SAS Les Vents Picards, req. n° 11LY01499), la Cour administrative d’appel de Marseille a déjà jugé qu’un projet de réalisation de deux parcs éoliens ne pouvait être regardé comme tendant à favoriser une urbanisation dispersée au sens des dispositions de l’article R. 111-14, « eu égard à la nature même des éoliennes et à la destination du projet » (CAA Marseille 16 juin 2011, S.A Tencia, req. n° 09MA01017 ; cf., également, en ce sens : CAA Bordeaux 9 décembre 2008, M. Lecoutre et autres, req. n° 07BX01278).

Le Conseil d’Etat ne semble pas avoir eu l’occasion de confirmer ou d’infirmer expressément cette solution. Néanmoins, dans un arrêt remarqué, la Haute Juridiction a estimé que l’implantation d’éoliennes relève d’une opération d’urbanisation au sens des dispositions de l’article L. 145-3 du code de l’urbanisme, issues de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la Montagne (CE 16 juin 2010, Leloustre, req. n° 311840, publié au recueil Lebon).

Dans une décision du 14 novembre 2012, le Conseil d’Etat a transposé cette solution aux projets éoliens réalisés dans les communes soumises à la loi littorale (codifiée aux articles L. 146-1 et suivants du code de l’urbanisme) en jugeant illégal, un permis autorisant la construction d’éoliennes non situées en continuité avec les agglomérations et villages existants (CE 14 novembre 2012, société Néo Plouvien, req. n° 347778, concl. X. de Lesquen, RFDA 2013, p. 357).

Dans l’arrêt du 12 juillet 2013 désormais définitif, la Cour administrative d’appel de Nantes s’est néanmoins refusée à déduire de ces deux solutions jurisprudentielles que les éoliennes seraient susceptibles de favoriser une urbanisation dispersée au sens de l’article R. 111-14 du code de l’urbanisme.

La lecture des conclusions que le rapporteur public a prononcées conformes sur cet arrêt (nous le remercions à cet égard de nous avoir communiqué ses conclusions) permet de mieux comprendre la solution retenue par la Cour. En effet, dans ses conclusions, le rapporteur public a fait valoir, en substance, que l’interdiction édictée par les dispositions de l’article R. 111-14 du code de l’urbanisme devrait être appliquée moins strictement que celle instituée par les lois montagne et littorale, de sorte qu’il convenait de s’affranchir, au cas de l’espèce, des solutions Leloustre et société Néo Plouvien.

A l’appui de sa position, le rapporteur public a souligné que l’adoption de la loi montagne et de la loi littorale répondrait à l’intention du législateur d’éviter le mitage de territoires spécifiques. Au contraire, un projet éolien qui n’est pas situé dans ces territoires ne serait pas de nature à favoriser une urbanisation dispersée au sens de l’article R. 111-14, « ne serait-ce que parce que les contraintes d’implantation propres aux parcs éoliens font par nature obstacle à tout phénomène d’urbanisation ».

L’on ne peut que souscrire à cette solution de la Cour administrative d’appel de Nantes dans la mesure où la problématique du mitage ne se pose pas avec la même acuité en dehors des zones littorale et de montagne. Cette différence de régime juridique est d’ailleurs mise en exergue par la jurisprudence du Conseil d’Etat selon laquelle les dispositions de l’ancien article R. 111-14 du code de l’urbanisme ne s’appliquent pas aux projets qui relèvent de la loi montagne (cf., CE 23 juillet 2012, Association pour la promotion économique et le développement durable du plateau de l’Aubrac, req. n° 345202) et par extension, de la loi littorale.

Surtout, en pratique, l’on ne peut que louer cette solution de la Cour administrative d’appel de Nantes dans la mesure où la stricte transposition des solutions Leloustre et société Néo Plouvien aux projets éoliens soumis aux dispositions de l’article R. 111-14 freinerait davantage la réalisation de ces projets, alors que les éoliennes sont un mode de production d’énergie renouvelable désormais incontournable. Néanmoins, il faut encore que la Haute Juridiction avalise cette solution, lorsque l’occasion lui sera donnée de trancher cette question.

Par ailleurs, la Cour a rappelé dans son arrêt du 12 juillet 2013 que les articles R. 1334-32 et R. 1334-34 du code de la santé publique, issus du décret n° 2006-1099 du 31 août 2006 relatif à la lutte contre les bruits de voisinage, qui définissent l’atteinte à la tranquillité publique ou à la santé publique en fonction de valeurs d’émergence spectrale des bruits engendrés par des « équipements d’activités professionnelles » sont entrées en vigueur le 1er juillet 2007. Etant donné que le pétitionnaire avait déposé sa demande de permis de construire le 21 mai 2007, la Cour a jugé qu’il n’était pas tenu d’inclure dans l’étude acoustique le calcul de l’émergence spectrale prévue par ces dispositions. On remarquera au demeurant que plusieurs Cours administratives d’appel avaient déjà jugé qu’indépendamment de la date de dépôt de la demande, ces dispositions du code de la santé publique n’ont ni pour effet ni pour objet de régir le contenu d’une étude d’impact.

Yann BORREL

Green Law Avocat