Newton cradleDans une décision récente qui sera mentionnée au Tables du Recueil Lebon (Conseil d’État, 1ère et 6ème sous-sections réunies, 15/05/2013, 340554), le Conseil d’Etat rappelle que les dispositions d’un plan local d’urbanisme doivent être seulement compatibles -et non conformes- avec  l’article L. 121-1 du code de l’urbanisme qui définit les objectifs des documents d’urbanisme :

 « 5. Considérant qu’aux termes de l’article L. 121-1 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable à l’espèce :  » Les schémas de cohérence territoriale, les plans locaux d’urbanisme et les cartes communales déterminent les conditions permettant d’assurer : / 1° L’équilibre entre le renouvellement urbain, un développement urbain maîtrisé, le développement de l’espace rural, d’une part, et la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières et la protection des espaces naturels et des paysages, d’autre part, en respectant les objectifs du développement durable (…)  » ; que, par sa décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000, le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions n’étaient pas contraires aux articles 34 et 72 de la Constitution sous réserve qu’elles soient interprétées comme imposant seulement aux auteurs des documents d’urbanisme d’y faire figurer des mesures tendant à la réalisation des objectifs qu’elles énoncent et que, en conséquence, le juge administratif exerce un simple contrôle de compatibilité entre les règles fixées par ces documents et les dispositions précitées de l’article L. 121-1 du code l’urbanisme ; »

 

La Haute juridiction s’appuie ici sur la réserve d’interprétation émise par le Conseil Constitutionnel dans sa Décision n°2000-436 relative à la conformité à la Constitution de la Loi relative à la Solidarité et au Renouvellement Urbains (SRU). Au moyen d’une réserve d’interprétation « directive », le Conseil Constitutionnel avait en effet, expressément jugé que seul un contrôle de compatibilité peut être exercé par le juge administratif entre les dispositions d’un plan local d’urbanisme et l’article L. 121-1 du code de l’urbanisme qui régit les orientations de ces plans, sous peine de méconnaître les articles 34 et 72 de la Constitution :

 « 13. Considérant qu’eu égard à l’imprécision des objectifs qu’elles mentionnent, les dispositions précitées de l’article 1er de la loi déférée méconnaîtraient les articles 34 et 72 de la Constitution si elles soumettaient les collectivités territoriales à une obligation de résultat ; qu’il ressort toutefois des travaux parlementaires que ces dispositions doivent être interprétées comme imposant seulement aux auteurs des documents d’urbanisme d’y faire figurer des mesures tendant à la réalisation des objectifs qu’elles énoncent ; qu’en conséquence, il appartiendra au juge administratif d’exercer un simple contrôle de compatibilité entre les règles fixées par lesdits documents et les dispositions précitées de l’article L. 121-1 ; que, sous cette réserve, les dispositions critiquées ne sont pas contraires aux articles 34 et 72 de la Constitution ; »

 Ce renvoi à la décision du Conseil Constitutionnel est tout à fait logique dès lors que l’on sait qu’une réserve d’interprétation revêt la même autorité que le dispositif des décisions du Conseil (Décision n°2004-506 DC, 2 décembre 2004) et s’impose tout autant au juge administratif, en vertu de l’article 62 alinéa 2 de la Constitution qui prévoit que « les décisions du Conseil Constitutionnel … s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».

 

 Mais plus important, le Conseil d’Etat censure ainsi un juge d’appel qui, au lieu de contrôler la simple compatibilité du PLU à ses objectifs, en avait contrôlé la conformité. L’arrêt est alors annulé pour erreur de droit  :

« qu’il suit de là que la cour administrative d’appel de Bordeaux a commis une erreur de droit en jugeant que l’équilibre devait être assuré entre le développement urbain et la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et en contrôlant la conformité du plan local d’urbanisme aux dispositions précitées de l’article L. 121-1 du code de l’urbanisme ; »

 

En clair, la Cour ne pouvait, sans commettre d’erreur de droit, contrôler si les dispositions du PLU assuraient effectivement un équilibre entre le développement urbain et la préservation des espaces affectés aux activités agricoles car. Elle devait se contenter de contrôler si le PLU ne méconnaissait pas manifestement l’objectif d’équilibre entre le développement urbain et la préservation des espaces affectés aux activités agricoles visé à l’article L. 121-1 du code de l’urbanisme.

 

Cette décision nous donne l’occasion de revenir sur les notions de compatibilité et de conformité en droit de l’urbanisme, qui sont souvent floues et sujettes à interprétation.

Rappelons que la « compatibilité » et la « conformité » constituent avec la « prise en compte » différents degrés d’une même échelle de normativité, articulée ainsi : la prise en compte en constitue le degré inférieur, la compatibilité le degré intermédiaire et la conformité le degré supérieur (Des degrés de normativité en urbanisme, Jean-Pierre Lebreton, AJDA 2004 p. 830).

La compatibilité peut ainsi admettre une léger défaut de conformité. Par exemple, une zone d’urbanisation future a pu légalement empiéter sur une zone verte, parce que la première comptait 1,2 ha, dans une commune de 376 ha (CE, 3 mai 2004, n° 251383, Cne Deuil-la-Barre : JurisData n° 2004-066791 ; BJDU 2004, n° 3, p. 173, concl. M.-H. Mitjaville ; Constr.-Urb. 2004, comm. 146, Ph. Benoît-Cattin). De même une urbanisation limitée est compatible avec la protection des espaces boisés d’Île-de-France (CE, 15 oct. 2004, n° 227506, Cne La Rochette : BJDU 2004, n° 6, p. 433, concl. T. Olson).

  • A l’inverse, la conformité exige du document qu’il soit strictement identique au document ou à la règle supérieure et constitue en cela une obligation positive. Le contrôle exercé à ce titre par le juge administratif est alors plus strict.

 Ainsi, d’après une doctrine autorisée « Un document ou une opération est compatible avec une règle d’urbanisme dans la mesure où cette règle ne l’interdit pas, sans pour autant l’imposer expressément. En revanche, la conformité exige le respect d’une disposition positive de la règle d’urbanisme supérieure, imposant une solution » (G. Liet-Vaux, Jurisclasseur, Fasc 7-20).

 On le voit, et c’est sa raison d’être, le contrôle de compatibilité exercé par le juge administratif offre à la collectivité une marge de manœuvre sensiblement plus grande, particulièrement en matière d’élaboration du contenu des documents d’urbanisme, compétence indissociable de la libre administration des collectivités territoriales.

 

Stéphanie Gandet- Avocat Associé

Anaïs de Bouteiller- Avocat