ICPE: précisions sur les conditions de bénéfice des droits acquis à exploiter (CAA Marseille, 7 juillet 2015, n°13MA04675)

panneau industriePar Lou Deldique

Green Law Avocat

Par un arrêt en date du 7 juillet 2015 (consultable ici), la Cour administrative d’appel de Marseille rappelle dans quelles conditions une installation mise en service avant son entrée dans la nomenclature des ICPE peut bénéficier de droits acquis.

Notons d’emblée que le régime en question est le régime général hors régimes spéciaux.

En l’espèce, la société requérante exerçait depuis 1963 une activité de négociant en vin impliquant des opérations de préparation et de conditionnement de vins. En 2011, considérant qu’il s’agissait d’une installation classée au titre de la rubrique n°2251 (établissements ayant pour activités la préparation ou le conditionnement de vins), le Préfet du Gard l’avait mise en demeure de déposer un dossier de demande d’autorisation.

L’exploitante contestait cet arrêté, et soutenait notamment qu’ayant commencé son activité bien avant que celle-ci ne soit classée, elle bénéficiait de droits d’antériorité.

Le régime du bénéfice de l’antériorité ICPE est fixé par l’article L. 513-1 du code de l’environnement, qui permet aux installations régulièrement mises en service avant d’être soumises à la réglementation ICPE de continuer à fonctionner sans autorisation à condition de se faire connaître du préfet dans un délai d’un an à compter de la publication du décret portant classement de l’activité en cause :

« Les installations qui, après avoir été régulièrement mises en service, sont soumises, en vertu d’un décret relatif à la nomenclature des installations classées, à autorisation, à enregistrement ou à déclaration peuvent continuer à fonctionner sans cette autorisation, cet enregistrement ou cette déclaration, à la seule condition que l’exploitant se soit déjà fait connaître du préfet ou se fasse connaître de lui dans l’année suivant la publication du décret. […] »

Se pose alors la question de la valeur de cette déclaration au Préfet : conditionne-t-elle la constitution des droits d’antériorité ou s’agit-il d’une simple obligation déclarative, dont le non-respect n’est pas susceptible d’influer sur le bénéfice des droits acquis en tant que tel ?

La jurisprudence a déjà eu l’occasion de se prononcer sur ce point : il est ainsi constant que lorsque l’obligation de déclaration n’a pas été prescrite à peine de déchéance, l’exploitant qui ne s’y est pas conformé ne perd pas le bénéfice de l’antériorité, mais s’expose seulement aux sanctions prévues par le code de l’environnement (CE, 30 janv. 2013, n° 347177 : AJDA 2013. 266, obs. Necib ; Envir. 2013. Alerte 62; BDEI n°45/2013, concl. de Lesquen ; RJ envir. 2013.767, note Schneider ; CE, 21 octobre 1988, n° 67212, Lebon p. 363 ; CAA Versailles, 18 mars 2014, n° 13VE00378 : Dr. envir. 2014. 386 ; CAA Bordeaux, 29 octobre 2009, n° 08BX01479 ; voir aussi BDEI, 2011, « Les conditions du droit d’antériorité : état des lieux de la jurisprudence », H. Brunet-Lecomte ; Envir. n° 1, Janvier 2010, comm. 5, « Précisions sur le droit d’antériorité des installations classées (C. env., art. L. 513-1) », D. GILLIG).

C’est bien cette solution qu’applique l’arrêt commenté. En effet, considérant que l’obligation de déclaration d’antériorité était en l’espèce prévue à peine de déchéance, la Cour en déduit que l’exploitant, qui ne s’y était pas soumis, ne pouvait se prévaloir de droits acquis :

 

«  Considérant [..] que la rubrique 2251 a été créée par le décret du 29 décembre 1993 modifiant la nomenclature des installations classées, pris en application de la loi du 19 juillet 1976, selon sa rédaction encore en vigueur à la date de l’arrêté préfectoral en litige ;

Considérant, enfin, qu’aux termes de l’article 35 du décret du 21 septembre 1977 applicable pendant le délai d’un an à compter du 30 décembre 1993, l’exploitant d’une installation existante souhaitant bénéficier des droits d’antériorité “ doit fournir au préfet les indications suivantes : 1° S’il s’agit d’une personne physique, ses nom, prénoms et domicile ; s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination ou sa raison sociale, sa forme juridique et l’adresse de son siège social, ainsi que la qualité du signataire de la déclaration ; 2° L’emplacement de l’installation ; 3° La nature et le volume des activités exercées ainsi que la ou les rubriques de la nomenclature dans lesquelles l’installation doit être rangée “ ;

Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article L. 513-1 du code de l’environnement qu’il appartenait à la SA Compagnie Rhodanienne, à peine de déchéance, de se faire connaître du préfet, dans les formes prescrites par l’article 35 du décret du 21 septembre 1976, dans le délai d’un an à compter de la publication du décret du 29 décembre 1993 instituant la rubrique 2251 ; qu’en se bornant à soutenir qu’elle exerçait son activité de négoce de de conditionnement du vin depuis trente ans en 1993 et qu’il “ est évident “ que “ son existence n’avait pas pu échapper au représentant de l’Etat “, la SA Compagnie Rhodanienne n’établit pas que tel soit le cas ; que, dans ces conditions, elle ne peut se prévaloir d’une situation juridiquement constituée la dispensant de se soumettre aux exigences de la rubrique 2251 ; que, par suite, le moyen tiré du bénéfice de l’antériorité ne peut être accueilli ; »

Cette analyse reprend celle de Xavier de Lesquen dans ses conclusions sous l’arrêt du Conseil d’Etat du 30 janvier 2013 : le Rapporteur public y exposait ainsi que le délai prévu par la loi du 4 janvier 1993 était prescrit à peine de nullité, à la différence de celui prévu par la loi du 19 juillet 1976 et le décret du 21 septembre 1977 (CE, 30 janv. 2013, n° 347177, BDEI n°45/2013, concl. de Lesquen).

Notons enfin que le raisonnement de la Cour aurait certainement été différent si l’exploitant avait fait une déclaration incomplète : il a en effet déjà été précisé que cette situation n’est pas assimilable à une absence de déclaration et que l’exploitant n’encourt alors qu’une sanction pénale (CE 12 janv. 2004, n°212067: Coll. terr. 2004, n°63, obs. Erstein ; Envir. 2004, n° 34, obs. Trouilly ; CAA Bordeaux 29 oct. 2009, n° 08BX01479 ; CAA Nancy 11 mai 2009, n° 07NC00057 ; TA Amiens, 8 oct. 1996, n° 961099 et 961179, Sté Mauser Emballages c/ Préfet de l’Oise ; AJDA 2010, p. 1837, « De la sédentarité des droits acquis », T. SOLEILHAC ; Jcl Environnement et développement durable, Fasc. 4012, Installations classées soumises à autorisation, D DEHARBE).