ICPE - Annulation d'autorisation avec effet différéLa décision rendue par la Cour administrative d’appel de Douai ce 30 juin 2011 fera assurément date en contentieux des ICPE !

En effet, par un arrêt lu le 30 juin 2011 « Ministre de l’Environnement c/ ALEP 02 » (jurisprudence cabinet), les juges d’appel vont confirmer la décision du Tribunal administratif d’AMIENS, qui avait annulé, à la demande de l’association ALEP 02 et autres, une autorisation d’exploiter au titre des ICPE délivrée à une société pour l’incinération de déchets dangereux.

En cela, les motifs d’annulation de l’arrêté sont en eux-mêmes intéressants.

Mais l’intérêt de cette décision réside aussi et surtout dans la reconnaissance de l’applicabilité au domaine des installations, de la jurisprudence « Association AC ! », qui permet de différer l’annulation d’un acte. En même temps, l’arrêt rappelle des conditions strictes qui l’accompagnent… et qui ne sont pas remplies en l’espèce!

■Rapidement, sur les motifs d’annulation de l’arrêté préfectoral (TA Amiens, 21 avril 2009, n°0601680):

Le TA d’AMIENS (TA Amiens, n°0601680, 21 avril 2009, « ALEP 02 », jurisprudence cabinet) avait annulé l’arrêté du Préfet autorisant l’industriel à exploiter sur deux motifs :

■D’une part, la demande d’autorisation n’a pas « pu permettre à l’autorité administrative d’apprécier la capacité financière et technique du pétitionnaire à assumer l’ensemble des obligations susceptibles de découler du fonctionnement, de la cessation éventuelle de l’exploitation et de la remise en état du site au regard des intérêts mentionnés à l’article L 511-1 du Code de l’environnement ».

En effet, au titre des capacités techniques, le Tribunal retenait que l’exploitant s’est borné à indiquer qu’il faisait partie d’un certain groupe, et disposait de compétences spécifiques, dont la seule justification est la mention qu’elle exploite un centre de traitement de déchets industriels sur une autre commune, « sans qu’il soit démontré dans quelle mesure cette activité était comparable à celle qui faisait l’objet de l’autorisation attaquée ».

Au titre des capacités financières, le Tribunal avait retenu que l’exploitant s’était « borné à citer ses partenaires industriels et son capital social, en indiquant seulement que les autres éléments relatifs à sa capacité financière ont été transmis sous pli confidentiel au Préfet ».

Le Tribunal en conclut que « dans ces conditions, le dossier présenté par la société doit être regardé comme incomplet […]sans qu’y fasse obstacle la circonstance non opposable au juge des installations classées que l’autorité compétente aurait approuvé les modalités de communication, des éléments de nature à justifier ses capacités financières ».

Le TA avait d’ailleurs souligné que le caractère incomplet du dossier ne pouvait faire l’objet d’une régularisation ultérieure dans le cadre des pouvoirs d’instruction du juge de plein contentieux.

■D’autre part, l’annulation de l’arrêté était fondée en première instance sur le fait que la méconnaissance à plusieurs reprises de la réglementation ICPE pouvait faire regarder l’exploitant comme « incapable de respecter les prescriptions qui lui étaient imposées en vue de prévenir ou de limiter les dangers et les inconvénients de son activité pour la commodité du voisinage, la sécurité et la salubrité publique ». Ce faisant, les juges de première instance avaient considéré que le Préfet avait méconnu l’article L512-1 du Code de l’environnement.

L’exploitant, puis le Ministre de l’Ecologie avaient interjeté appel de ce jugement.

■Les apports de l’arrêt du 30 juin 2011 de la CAA de Douai (n°09DA00764) :

On remarquera d’abord que le sursis à l’exécution des effets de la décision du TA sur la base de l’article R 811-15 du Code de justice administrative prononcée par la Cour, n’a pas eu pour effet, pour autant, de lui faire considérer qu’il y avait un intérêt particulier justifiant que l’annulation de l’autorisation, en appel, soit différée.

La Cour va en effet :

– Confirmer la décision du TA d’AMIENS et annuler l’arrêté d’autorisation d’exploiter

– Analyser la possibilité de différer les effets de cette annulation afin de laisser le temps à l’exploitant de déposer un nouveau dossier de demander

– Finalement rejeter la modulation, car l’intérêt général n’était pas prouvé, en conséquence de quoi il annule avec effet rétroactif.

La Cour considéra d’abord que l’arrêté préfectoral était illégal à plusieurs titres. Elle a ainsi souligné dans l’arrêt du 30 juin 2011 qu’il « résulte de l’instruction que la seule mention, dans l’étude d’impact, selon laquelle la remise en état satisfera aux obligations du décret du 21 septembre 1977 […], et notamment que tout produit résiduel de l’activité sera évacué conformément à la réglementation, ne saurait être regardée comme suffisante au regard des dispositions précitées de l’article R 512-68 du Code de l’environnement ; que dès lors, cette carence est de nature à entacher d’illégalité l’arrêté d’autorisation d’exploiter [… ] ».

Par ailleurs, la Cour rappelle l’article R 512-14 du Code de l’environnement qui prévoit que le dossier de demande d’autorisation est soumis dans son ensemble à enquête publique. Elle considère que « les éléments nécessaires pour que le public puisse évaluer les capacités techniques et financières du pétitionnaire doivent être nécessairement soumis à son appréciation ». En l’espèce, si l’exploitant a transmis au Préfet sous pli confidentiel les renseignements nécessaires pour que celui-ci puisse apprécier ses capacités financières, il s’est borné dans sa demande à citer ses partenaires industriels et son capital social. La Cour considère qu’il « ne peut sérieusement prétendre que son chiffre d’affaires et son résultat net présentent un caractère confidentiel alors que, comme il est soutenu en défense, plusieurs dispositions combinées du Code de commerce […] prévoient une publicité […] ».

Au final , la Cour de Douai considère que « dans ces conditions, et eu égard à l’intérêt qui s’attache à la qualité et l’exhaustivité des indications à fournir sur les capacités techniques et financières de l’exploitant, pour permettre au public au public de les apprécier », le dossier soumis à enquête publique était incomplet.

C’est enfin sur les effets de l’annulation de l’arrêté d’autorisation d’exploiter que la Cour marque l’intérêt de sa décision.

L’arrêt de la Cour est remarquable à deux égards :

■D’une part, il reconnaît que la possibilité de moduler les effets de l’annulation, telle que dégagée par l’arrêt «Association AC !», est applicable dans le domaine des installations classées

■D’autre part, et comme c’est souvent le cas, il exclue cette possibilité dans le cas de cet exploitant, dont l’intérêt général à voir poursuivre l’activité, n’est pas prouvé.

Lors de la première audience du 20 mai 2010, le rapporteur public avait conclu à l’annulation avec « effet différé ». Cette technique procédurale dégagée par le Conseil d’Etat dans l’arrêt d’Assemblée de 2004 « Association AC ! » (CE Ass., 11 mai 2004, n°255886, publié au Recueil) permet de différer l’annulation d’un acte administratif dans l’avenir, sous certaines conditions strictement rappelées par la CAA de Douai :

« Considérant que l’annulation d’un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n’être jamais intervenu ; que, toutefois, s’il apparaît que cet effet rétroactif de l’annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produit et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur, que de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif – après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l’ensemble des moyens, d’ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l’acte en cause – de prendre en considération, d’une part, les conséquences de la rétroactivité de l’annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d’autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l’annulation ; qu’il lui revient d’apprécier, en rapprochant ces éléments, s’ils peuvent justifier qu’il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l’affirmative, de prévoir dans sa décision d’annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l’acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l’annulation ne prendra effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine » ;

A la suite du premier arrêt de la Cour du 15 juin 2010 (CAA Douai, 15 juin 2010, n°09DA00764), les parties ont donc pu échanger sur l’opportunité d’appliquer cette jurisprudence.

C’est à la suite de longs échanges entre l’association, les autres requérants, l’exploitant et le Ministre et de l’audience du 16 juin 2011 que la Cour a finalement considéré, une année après, que les appelants (Ministre et exploitant) ne démontrent pas l’intérêt particulier qui s’attacherait au maintien de l’activité de l’exploitation !

La Cour refuse donc de moduler les effets de l’annulation de l’arrêté d’autorisation ICPE compte tenu de l’absence de démonstration par l’industriel de l’intérêt spécifique s’attachant à la continuité de son activité, mais également sur le fait qu’en l’espèce, il avait déposé un nouveau dossier d’autorisation, et qu’il se trouvait donc dans une situation de « régularisation » au sens de l’article L 514-2 (et non L 512-4- erreur matérielle de l’arrêt).

Concrètement, l’annulation de l’arrêté d’autorisation est confirmée, avec effet immédiat.

Cette décision est remarquable car c’est l’un des rares exemples d’une application de la jurisprudence « AC ! » au domaine des ICPE, qui y a pourtant vocation ! On remarquera toutefois que les conditions strictes de la modulation des effets de l’annulation dans le temps sont ici rappelées ; comme c’est souvent le cas, le juge administratif proclame l’applicabilité d’un principe à un nouveau domaine, mais n’en fait pas pour autant application dans le cas d’espèce !

On se félicitera de cette décision car, d’un point de vue environnemental, cela laissera la possibilité à certains industriels bien conseillés d’obtenir un effet différé d’une éventuelle annulation de leur arrêté, et d’un point de vue contentieux, cela garantit le caractère exceptionnel d’une telle dérogation au principe de rétroactivité de l’annulation par le juge administratif.

Stéphanie Gandet

Avocat au Barreau de Lille

Green Law Avocat

ArrêtsynthétiséCAADOUAI09DA00764,30.06.2011Alep02