HARO SUR LES REDEVANCES D’ARCHÉOLOGIE ILLÉGALES

Par Yann BORREL, Avocat Associé, yann.borrel@green-law-avocat.fr et Clémence Auque, Juriste. (Green Law Avocats)

Dans un arrêt en date du 23 octobre 2020, la Cour administrative d’appel de Nantes a jugé qu’une redevance d’archéologie préventive (R.A.P) constituait une aide d’Etat illégale (CAA Nantes, 23 oct. 2020, société « Les Sablières de l’Atlantique », req. n°18NT04279). D’emblée soulignons que la Cour a statué en l’état du droit applicable à la date du 3 janvier 2012.

En l’espèce, une société concessionnaire du domaine public maritime avait obtenu l’autorisation de procéder à l’extraction de granulats des fonds marins en 2011. A raison de cette autorisation, la société fut déclarée redevable de plus d’un million d’euros au titre de la redevance d’archéologie préventive.

Pour rappel, la redevance d’archéologie préventive est due par les personnes qui projettent d’exécuter des travaux affectant le sous-sol et qui sont soumis :

  • soit à une autorisation ou à une déclaration préalable en application du code de l’urbanisme ;
  • soit à une étude d’impact en application du code de l’environnement ;
  • soit à une déclaration administrative préalable pour les autres types d’affouillements (cf. C. patr. art. L524-2).

La R.A.P est destinée au financement des diagnostics et des fouilles qui sont assurés par l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP) (cf. C. patr., art. L. 523-1 et R. 545-42). Saisi par la société concessionnaire, le Tribunal administratif de Nantes avait prononcé la décharge de la redevance après avoir jugé que les autorisations d’exploitation sous-marine de granulats n’entraient pas dans le champ d’application des opérations soumises à redevance. La Cour administrative d’appel de Nantes avait confirmé ce jugement par un arrêt en date du 1er juillet 2016 (cf. req. n°15NT00512). Cependant, saisi d’un pourvoi par le Ministre de la Culture, le Conseil d’Etat avait annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel en jugeant, en substance, que dans la mesure où l’autorisation d’extraction de granulats provenant du sous-sol des fonds marins ne pouvait être délivrée qu’après la réalisation d’une étude d’impact, elle était susceptible de justifier l’assujettissement au paiement de la redevance d’archéologie préventive en vertu de l’article L. 542-4 du code du patrimoine (cf. CE, 9/10 CR, 3 déc. 2018, req. n°403028). Saisie sur renvoi du Conseil d’Etat, la Cour administrative d’appel de Nantes n’en a pas moins jugé que la société concessionnaire devait être déchargée du versement de la R.A.P en considérant cette fois-ci que cette dernière constituait une aide d’Etat illégale.

Tout d’abord, pour parvenir à cette conclusion, la Cour administrative d’appel de Nantes a jugé que les dispositions du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) relatives aux aides d’Etat s’appliquent au régime de la redevance d’archéologie préventive.

Pour rappel, le bénéficiaire d’une aide d’Etat doit être une entreprise, c’est-à-dire une entité exerçant une activité économique (CJUE, 27 juin 2017, aff. C-74/16, Congregacion de Escuelas Pias Provincia Betania, pt. 41). En l’espèce, la Cour a considéré que les diagnostics et opérations de fouilles d’archéologie préventive devaient être regardés comme des activités économiques et qu’en dépit de son statut d’établissement public à caractère administratif, l’Institut national de recherches archéologiques préventives constitue, du fait de l’exercice de telles activités, une entreprise au sens des dispositions précitées du T.F.U.E.

Ensuite, la Cour administrative d’appel de Nantes s’est attachée à vérifier si la R.A.P remplit les critères de qualification d’aide d’Etat.

Pour rappel, l’article 107 §1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) définit les aides d’Etat comme « les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d’Etat sous quelques formes que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ». En principe, il appartient aux Etats membres de notifier à la Commission européenne les projets qui tendent à instituer ou modifier des aides d’Etat. En l’absence d’une telle notification, l’aide d’Etat qui a été mise à exécution est illicite et doit être récupérée à l’initiative des autorités nationales, même sans intervention de la Commission européenne (cf. CJUE, 5 mars 2019, aff. C-349/17, Eesti Pagar AS, pt. 88-92).

Toutefois, en vertu d’une jurisprudence constante depuis la jurisprudence Altmark Trans Gmbh du 23 juillet 2003, la Cour de justice de l’Union européenne considère qu’une intervention étatique ne constitue pas une aide d’Etat dès lors qu’elle s’apparente à « une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des obligations de service public, de telle sorte que ces entreprises ne profitent pas, en réalité, d’un avantage financier » (cf. 23 juillet 2003, Altmark Trans Gmbh, C-280/00 ; CJUE, 20 déc. 2017, aff. jtes. C-66/16 P, Comunidadd Autonoma del Pais Vasco et a. c/ Comm. pt 45).

En l’espèce, la Cour administrative d’appel a vérifié si la RAP en cause constituait une aide d’Etat soumise à l’obligation de notification à la Commission ou si au contraire, cette dernière s’analysait comme la contrepartie d’une mission de service public.

Pour échapper à la qualification d’aide d’Etat, la R.A.P aurait dû répondre aux quatre conditions que la C.J.U.E a énoncées dans son arrêt Altmark Trans Gmbh. Ces quatre conditions, que la Cour administrative d’appel de Nantes a rappelées au considérant n°13 de son arrêt, sont les suivantes :

–       premièrement, « L’entreprise bénéficiaire a effectivement été chargée de l’exécution d’obligations de service public » ;

–       deuxièmement, « Les paramètres de base desquels est calculée la compensation ont été préalablement établis de façon objective et transparente, afin d’éviter qu’elle comporte un avantage économique susceptible de favoriser l’entreprise bénéficiaire par rapport à des entreprises concurrentes » ;

–       troisièmement, « La compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public » ;

–       quatrièmement, en dehors des procédures de marché public, « le niveau de compensation nécessaire a été déterminé sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations ».

Après avoir rappelé que l’archéologie préventive relève de missions de service public en application L. 521-1 du code du patrimoine, la cour s’est attachée à vérifier si la R.A.P présente un caractère strictement compensatoire des missions d’intérêt général exercées par l’INRAP ou non.

A ce titre, la Cour a constaté que l’article L.524-1 du code du patrimoine, dans sa rédaction applicable au litige, prévoyait que l’INRAP était notamment financé par la R.A.P et par les rémunérations que l’établissement public percevait en contrepartie des opérations de fouilles qu’il réalise. Elle a également relevé qu’en application de l’article L. 524-11 du code du patrimoine, la redevance était reversée à l’INRAP « après déduction des frais d’assiette et de recouvrement et après prélèvement du pourcentage du produit de la redevance alimentant le Fonds national pour l’archéologie préventive ». Par ailleurs, l’article L.524-14 du même code prévoyait que la part du produit affectée au fonds ne pouvait être inférieure à 30% et qu’elle était fixée chaque année par décision de l’autorité administrative. La Cour a jugé que « Ces dispositions ne garantissent pas, par elles-mêmes, que le montant de la redevance d’archéologie préventive ou le montant qui est effectivement reversé à l’INRAP, après prélèvements, soient fixés à un niveau permettant seulement de compenser les coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public de l’INRAP au titre de la réalisation de diagnostics archéologiques ».

Après avoir considéré que l’un au moins des quatre critères fixés par l’arrêt Altmark Trans Gmbh n’était pas satisfait en l’espèce, la Cour en a logiquement déduit que la redevance d’archéologie préventive présentait le caractère d’une aide d’Etat soumise à l’obligation de notification à la Commission européenne, obligation qui n’avait pas été, en l’espèce, respectée. Du même coup, la Cour a jugé que le Ministre de la culture et de la communication n’était pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif avait déchargé la requérante de la R.A.P mise à sa charge par l’avis d’imposition émis le 3 janvier 2012.

Outre le fait que cet arrêt pourrait faire l’objet d’un pourvoi devant le Conseil d’Etat, il convient de pas en surestimer la portée car il a été rendu à propos des R.A.P pour les opérations d’aménagement en haute mer et en l’état du droit applicable à la date du 3 janvier 2012.

Mais cet exemple rappelle combien le droit public et communautaire de la concurrence pèse désormais sur les activités des personnes publiques et les activités de service public.