Eoliennes et risques pour la sécurité publique : les feux de forêt peuvent justifier un refus fondé sur l’article R.111-2 du code de l’urbanisme (CE, 23 décembre 2015, n°386044)

Windrad im SchwarzwaldPar Lou Deldique

Green Law Avocats

La question des risques engendrés par les projets de parcs éoliens pour la sécurité ou la salubrité publique est fréquemment débattue devant les juridictions administratives.

En effet, de nombreux refus de permis de construire sont fondés sur les dispositions de l’article R.111-2 du code de l’urbanisme, qui prévoit que : « le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations. »

 

Jusqu’à présent, la jurisprudence, après avoir écarté le risque de chute des éoliennes, jugé trop minime pour pouvoir être pris en compte (CE, 6 juin 2014, n°360437 ; CAA Nantes, 12 décembre 2014, n° 13NT02357 ; CAA Nantes, 26 juillet 2013, n°12NT00082 ; CAA Lyon, 30 octobre 2012, n°11LY03045), s’était surtout concentrée sur deux grandes problématiques :

  • les nuisances sonores engendrées par le fonctionnement des éoliennes (voir par exemple : CAA Douai, 16 avril 2015, n°13DA01952 ; CAA Nantes, 17 janvier 2014, n°13NT00947) ;

 

  • et leur cohabitation avec les radars (voir notamment : CE, 30 décembre 2013, n°352693 ; CAA Douai, 10 décembre 2015, n°14DA01343 ; CAA Douai, 24 septembre 2015, n° 14DA00808 ; CAA Nancy, 21 mai 2015, n° 14NC01635 ; CAA Nancy, 03 avril 2014, n°13NC01055 CAA Nancy, 07 novembre 2013, n°12NC01484-12NC01488 ; TA Amiens, 18 février 2014, n°0903355).

L’arrêt commenté (CE, 23 décembre 2015, n°386044, consultable ici) nous rappelle toutefois que d’autres raisons peuvent motiver un refus de permis de construire de parcs éoliens fondé sur l’article R.111-2.

Le Préfet du Gard avait ainsi refusé d’autoriser la construction de six éoliennes au sein d’un massif forestier exposé à un fort risque d’incendies de forêts, au motif qu’elles étaient, en raison de leur hauteur, susceptibles de faire obstacle à l’intervention des moyens aériens de lutte contre le feu.

Cette décision, confirmée par le Tribunal administratif de Nîmes, avait toutefois été invalidée par la Cour administrative d’appel de Marseille, qui, si elle avait reconnu l’existence du risque, avait considéré que les mesures de prévention et de réduction retenues par les sociétés pétitionnaires après concertation avec l’office national des forêts suffisaient à « compens[er] la gêne [résultant de l’implantation du projet] pour la défense aérienne du massif contre les incendies » (CAA Marseille, 26 septembre 2014, n°13MA00062).

Dans son arrêt du 23 décembre 2015, le Conseil d’Etat est revenu sur cette appréciation, qu’il a jugée entachée de dénaturation.

En effet, après avoir pris soin de caractériser la nature et la probabilité du risque, la décision relève que le couloir aérien ménagé pour les avions bombardiers d’eau (dont la hauteur de largage au-dessus de la végétation est nettement inférieure à celle des éoliennes) restait insuffisant pour assurer la protection de la zone dans un rayon de 600 mètres autour de chacune des éoliennes :

« Il ressort toutefois des pièces du dossier, tel qu’il était soumis aux juges du fond, que la zone concernée par ces projets éoliens, qui a déjà connu des incendies, se caractérise par un niveau de risque d’incendie de forêt qualifié de  » globalement ‘élevé à très élevé’  » par l’étude de l’Office national des forêts, susceptible d’être aggravé lors des travaux d’installation et de maintenance des éoliennes, et que l’intervention des moyens aériens de lutte contre les feux de forêt ne pourra être assurée dans un rayon de six cents mètres autour de chacune des éoliennes, eu égard notamment à leur hauteur, de cent vingt mètres en bout de pales, alors que la hauteur de largage des avions bombardiers d’eau varie entre trente et soixante mètres au-dessus de la végétation. Si le service départemental d’incendie et de secours du Gard a émis un avis favorable au projet, il ne se prononce que sur l’usage des moyens terrestres de lutte contre l’incendie. Or il ressort des plans annexés à l’étude de l’Office national des forêts et des observations émanant de la base d’avions de la sécurité civile de Marignane que le couloir aérien ménagé pour les avions bombardiers d’eau est insuffisant pour assurer la protection de cette zone particulièrement accidentée, où les secours au sol demeureraient insuffisants. »

Le juge de cassation précise par ailleurs que les mesures prévues pour limiter les conséquences du projet sur la sécurité, toutes afférentes au renforcement des moyens de défense au sol (débroussaillement, entretien des accès au sol, mise en place de citernes), ne permettent pas de réduire le risque de manière suffisamment significative :

« Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les mesures tenant au débroussaillement, à l’entretien des accès au sol ou à la mise en place de citernes soient de nature à compenser efficacement les perturbations induites dans la lutte contre les incendies par la présence des éoliennes et, ce faisant, à supprimer l’atteinte à la sécurité publique ainsi caractérisée. Par suite, la cour administrative d’appel de Marseille a, sur ce point, dénaturé les pièces du dossier. »

Notons que cette décision s’inscrit dans la continuité d’autres arrêts validant des refus d’autorisation ou annulant des permis de construire délivrés dans des zones exposées à un risque d’incendies de forêts (CE, 1er mars 2004, n° 209942 ; CAA Marseille, 1re ch., 27 janv. 2011, n° 09MA02123 ; CAA Marseille, 27 janv. 2011, n° 08MA05137 ; CAA Marseille, 6 déc. 2007, n° 05MA02907 ; CAA Marseille, 26 janv. 2006, n° 03MA01614  ; CAA Bordeaux, 29 déc. 2005, n° 02BX01671 ; voir aussi D. Gillig, Risque d’incendie et refus de permis de construire, note sous CAA Marseille, 27 janv. 2011, n° 09MA00271, Envir. n° 4, avr. 2011), ce qui confirme l’intransigeance du juge administratif sur cette question.

Il ne pourra qu’être recommandé aux porteurs de projets d’anticiper de façon extrêmement soignée cette problématique en recueillant non seulement l’avis du SDIS, mais en veillant également à ce qu’il soit très circonstancié, détaillé quant aux différents modes d’intervention et tenant compte des mesures de prévention que l’opérateur peut s’engager à assurer.