Wind turbinesLa Cour administrative d’appel de Nantes (dont l’arrêt n°11NT02107 du 18 janvier 2013 est consultable ici), saisie d’un recours contre un jugement ayant rejeté la demande d’annulation d’une association de protection du patrimoine d’un permis de construire délivré le 18 septembre 2007 à un opérateur éolien dans le Morbihan, apporte un éclairage intéressant au sujet :

–          de la suffisance de l’étude d’impact d’un parc éolien à l’égard des covisibilités inter-parcs.

–          du risque de projection de pales.

–          de la notion de bâtiment à usage d’ « habitation ».

  • Tout d’abord, la Cour considère que le volet paysager était suffisant alors qu’il analysait les covisibilités du parc éolien avec d’autres parcs existants ou en projet, dans un rayon de 11km. Il était reproché à l’opérateur de ne pas avoir analyse les éventuelles covisibilités avec des parcs situés à 17km et 20km. La Cour se fonde ici notamment sur la préconisation du « schéma départemental de recommandations pour l’implantation des éoliennes » selon laquelle l’analyse est poussée jusqu’aux parcs situés à 10km.

  • Par ailleurs, la Cour écarte le risque pour la sécurité publique: les requérants faisaient grief aux permis attaqués de méconnaître la sécurité publique en raison du risque de projection de pales, et que le Préfet aurait du refuser l’autorisation de construire sur le fondement de l’article R 111-2 ;

La Cour relève ici que l’étude d’impact (aucune étude de dangers n’était à l’époque requise) concluait à une probabilité très faible de projection de pale à 300mètres, et a fortiori à 450mètres. Les études balistiques sont ici fondamentales et permettent d’asseoir l’appréciation concrète du juge administratif :

« 8. Considérant que les éoliennes dont le permis contesté autorise l’implantation sont constituées de mâts d’une hauteur de 85 mètres et de rotors d’un diamètre de 71 mètres ; qu’il ressort des pièces du dossier que, compte tenu tant de la résistance des pales, constituées de matériaux composites légers et très résistants associant fibre de verre et résine époxy, que de la topographie du site d’implantation, constitué par un plateau agricole légèrement accidenté et ne présentant pas de points hauts saillants, la probabilité qu’en cas de rupture d’un mât ou d’une pale, des fragments puissent être projetés à une distance excédant 300 mètres est très minime ; que la probabilité d’une telle projection à une distance excédant 450 mètres est moindre encore et que, si une telle éventualité ne saurait par elle-même être exclue, l’association requérante ne documente pas des cas de réalisation effective d’un tel risque à une telle distance ; que l’école Notre-Dame est située au moins à 470 mètres de l’éolienne n° 1 et qu’aucune habitation n’est située à moins de 500 mètres d’aucune des trois éoliennes ; qu’il en résulte que le risque d’une projection de fragments ou d’une pale au-delà de 450 mètres est extrêmement minime et n’est pas de nature à porter atteinte à la sécurité publique ; qu’il ne pouvait fonder ni un refus du permis de construire sollicité par la société Juwi ENR ni l’observation de prescriptions spéciales ; que dès lors, le préfet du Morbihan, en délivrant ce permis, n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation au regard de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme

  • La Cour apporte des éclaircissements intéressants au sujet de la notion de « bâtiment à usage d’habitation ».

Il faut ici bien préciser que le parc autorisé bénéficie de permis antérieurs au classement ICPE des éoliennes, de sorte qu’il n’était pas question de l’application de la règle de 500mètres aujourd’hui prévue à l’article L553-1, dernier ali. du Code de l’environnement : « La délivrance de l’autorisation d’exploiter est subordonnée à l’éloignement des installations d’une distance de 500 mètres par rapport aux constructions à usage d’habitation, aux immeubles habités et aux zones destinées à l’habitation définies dans les documents d’urbanisme en vigueur à la date de publication de la même loi ».

Il était question ici de l’exactitude des mentions contenues dans l’étude d’impact, qui indiquait que les éoliennes étaient éloignées de plus de 500m des « habitations les plus proches ».

Les requérants invoquaient la proximité

–          de bâtiments agricoles qui auraient également été affectés à l’habitation

–          d’un terrain d’assiette d’une école à 470m

–          d’un lotissement communal

Il faut relever que la Cour s’attache à la destination effective de ces trois éléments à la date de délivrance du permis.

Ainsi, s’agissant des bâtiments agricoles, les documents versés au dossier ne la convainquent pas de leur destination à usage d’habitation compte tenu des dates des attestations et de géomètre expert.

S’agissant du terrain d’assiette de l’école communale, elle confirme qu’un tel bâtiment « n’est pas à usage d’habitation ».

Enfin, au sujet du lotissement communal, la Cour est ici encore pragmatique : elle relève que bien que la Commune avait décidé de sa création en 2005,  les lots « n’accueillaient aucune construction à usage d’habitation » à la date de délivrance des permis. La formulation retenue par la Cour par ailleurs (« il n’est pas allégué que ces lots auraient fait l’objet, à la même date, de la délivrance de permis de construire ») laisse penser que les requérants auraient pu faire un effort probatoire plus important en cherchant à déterminer si des PC pour le lotissement avaient été obtenus à la date des PC éoliens…. ce qui n’a semble t-il pas été fait.

La portée de cet arrêt au sujet de la notion de « bâtiment à usage d’habitation » doit être relativisée : en effet, les règles ICPE prennent en compte le caractère effectif de l’habitation d’un immeuble ou sa « destination », mais aussi les « zones destinées à l’habitation ». Or ces zones destinées à l’habitation sont définies par référence aux « documents d’urbanisme en vigueur à la date de publication de la [loi Grenelle II].

Rappelons que le régime actuel prévoit que la délivrance de l’autorisation d’exploiter ICPE « est subordonnée à l’éloignement des installations d’une distance de 500 mètres par rapport aux constructions à usage d’habitation, aux immeubles habités et aux zones destinées à l’habitation définies dans les documents d’urbanisme en vigueur à la date de publication de la même loi» (Article L 553-2 CE)

Cette règle légale est reprise dans l’arrêté ministériel de prescriptions générales qui prévoit que « L’installation est implantée de telle sorte que les aérogénérateurs sont situés à une distance minimale de : 500 mètres de toute construction à usage d’habitation, de tout immeuble habité ou de toute zone destinée à l’habitation telle que définie dans les documents d’urbanisme opposables en vigueur au 13 juillet 2010 ; »

Ainsi, l’arrêt de la CAA de Nantes sera utile pour préciser l’appréciation de l’« usage d’habitation » d’un bâtiment  (une école ne présente pas cet usage par exemple), ou pour déterminer si un immeuble est habité (la preuve d’une habitation effective est ainsi requise).

Par contre, les opérateurs éoliens devront encore veiller à l’appréciation par le Conseil d’Etat de la « destination d’une construction » : en dehors des cas où un immeuble n’est clairement pas à usage d’habitation, se posera encore la question de sa destination, dans des cas ambigus (local professionnel aménagé pour une habitation par exemple). Le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la question des effets du temps et a jugé par exemple que la destination d’une construction est uniquement appréciée au regard des « caractéristiques propres » de la construction, sans que soit prise en compte l’inoccupation de l’immeuble pendant de longues années (Conseil d’Etat, 9 décembre 2011, Riou, n°335707).

La question de l’éloignement de 500mètres au titre de la réglementation ICPE devra donc en permanence faire l’objet d’une appréciation au cas par cas.

Stéphanie Gandet

Avocat associé

Green Law Avocat