Dans un arrêt lu le 6 juin, la Haute juridiction rejette le recours introduit par une association de protection de l’environnement (déjà connue pour être à l’origine d’arrêts majeurs en droit de l’environnement), introduit à l’encontre du décret n° 2011-63 du 17 janvier 2011  relatif au regroupement et à la modernisation de certaines installations classées d’élevage (CE, 6 juin 2012, 6ème ss sect, n°347533).

 

Rappelons que ce décret fut pris en application de la Loi de modernisation de l’agriculture du 27 juillet 2010 (article 28), qui prévoit qu’ :

« Un décret pris avant le 31 décembre 2010 précise les règles applicables aux regroupements ou modernisations d’exploitations d’élevage depuis un ou plusieurs sites vers un ou plusieurs sites existants, afin de simplifier les procédures d’enregistrement, dès lors que le regroupement ou la modernisation n’aboutit pas à une augmentation sensible de la capacité de ces élevages. / Ce décret prévoit notamment, dans le respect des règles de l’Union européenne, un dispositif permettant d’exonérer d’enquête publique et d’étude d’impact les regroupements ou modernisations dès lors qu’ils ne s’accompagnent pas d’une augmentation sensible de la capacité de ces élevages ou d’effet notable sur l’environnement. / Les commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat sont consultées sur ce projet de décret ».

 

Le décret finalement paru au Journal Officiel du 18 janvier 2011 a créé un titre nouveau dans le Livre V du Code de l’environnement relatif aux « dispositions particulières relatives à certaines installations ».

Il prévoit en son article 1er notamment que

« I. ― Tout projet de regroupement d’installations d’élevages relevant respectivement des rubriques 2101, 2102 ou 2111 de la nomenclature prévue à l’article L. 511-2 sur une installation d’élevage doit être porté, avant sa réalisation et par l’exploitant de l’installation sur laquelle il doit être réalisé, à la connaissance du préfet avec les éléments d’appréciation prévus à l’article R. 515-54.

Si le préfet estime, après avis de l’inspection des installations classées, que le projet de regroupement est de nature à entraîner une modification substantielle de l’installation, il invite l’exploitant à déposer une nouvelle demande d’autorisation dans les conditions prévues au deuxième alinéa du II de l’article R. 512-33. La nouvelle autorisation est soumise aux mêmes formalités que la demande initiale.

Si le préfet estime au vu du dossier prévu à l’article R. 515-54 que le projet de regroupement n’est pas de nature à entraîner une modification substantielle, il accorde son autorisation dans les formes prévues à l’article R. 512-31. »

 

En d’autres termes, le décret du 17 janvier 2011 attaqué devant le Conseil d’Etat permet à certaines opérations de regroupement d’installations d’élevage (porcs, bovins et volailles et gibiers à plumes- rubriques 2101, 2101 et 2111) d’être dispensées de certaines contraintes normalement applicables en matière d’autorisation, telles que l’étude d’impact et l’enquête publique. 

L’association requérante, dont l’objet social est lié à l’environnement de la Région Bretagne, accueillant un grand nombre d’élevage concernés par le décret, soulevait deux principaux arguments:

– un vice de procédure tenant à l’absence de consultation de la Commission permanent compétente de l’Assemblée Nationale.

– un vice tenant à la méconnaissance des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement et des dispositions de l’article L. 211-1 du code de l’environnement posant le principe d’une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau.

– enfin, la méconnaissance des objectifs de la directive cadre, en tant que le décret attaqué serait incompatible avec les objectifs poursuivis par la directive 2000/60/CE du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau, compte tenu de ce qu’il prive l’administration de tout moyen de contrôle pour s’opposer à de nouvelles concentrations d’élevages, à l’augmentation des effectifs d’animaux et à l’accroissement d’épandages de lisier.

 

  • Sur le premier point, le Conseil d’Etat juge que:

« Considérant que, par lettre du 9 novembre 2010, le Premier ministre a transmis au Président de l’Assemblée nationale le projet de décret relatif au regroupement et à la modernisation de certaines installations classées d’élevage, aux fins de consultation de la commission compétente prévue ; qu’il a été ainsi satisfait par le Gouvernement à l’obligation prescrite par l’article 28 de la loi du 27 juillet 2010 ; que le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs fait, par ailleurs, obstacle à ce que l’association requérante puisse utilement exciper de ce que la commission de l’Assemblée nationale consultée sur le projet n’était pas celle qui aurait dû l’être ; que, pour la même raison, les moyens tirés de ce que les membres de la commission du Sénat saisie du projet n’auraient pas été suffisamment informés avant de se prononcer et de ce que cette commission n’aurait pas émis un avis formel ne peuvent qu’être écartés ; ».

Sous réserve des pièces échangées dont nous n’avons pas connaissance, on peut rester perplexe à la motivation de la décision sur ce point, car la formalité prévue par la Loi du 27 juillet 2010 apparaissait suffisamment claire (« Les commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat sont consultées sur ce projet de décret »), et malgré cela, la Haute juridiction se contente d’une simple transmission au Président de l’Assemblée, sans même chercher à vérifier si une Commission, a fortiori compétente, avait été réellement consultée.

 

  • Sur le deuxième point, la Haute juridiction prends plusieurs considérations en compte, tenant à la fois au champ d’application du décret (installations déjà autorisées, possibilité pour le Préfet de soumettre le regroupement à nouvelle autorisation …):

« que ces procédures s’appliquent à des installations déjà autorisées et contrôlées au titre de la législation sur les installations classées ; que le II de l’article R. 515-53 encadre ces opérations de regroupement et de modernisation bénéficiant d’une procédure simplifiée, de telle sorte qu’il n’en résulte aucune modification substantielle du plan d’épandage, et en limitant à des niveaux modestes l’augmentation des effectifs d’animaux ; qu’il permet enfin à l’autorité administrative compétente d’apprécier si les projets de regroupement ou de modernisation peuvent effectivement bénéficier des dispositions du décret attaqué, en rendant nécessaire la délivrance d’une nouvelle autorisation, selon les modalités prévues au deuxième alinéa du II de l’article R. 512-33 du code de l’environnement, si l’opération est de nature à entraîner une modification substantielle de linstallation ou si les mesures prévues par l’exploitant pour limiter les nuisances pour le voisinage et les pollutions pour l’environnement et les eaux apparaissent insuffisantes au regard de la protection des intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l’environnement ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de ces derniers articles ne peut qu’être écarté ;« 

 

  • Enfin, s’agissant de la méconnaissance de la Directive cadre sur l’eau du 23 octobre 2000, le Conseil d’Etat rejette l’argument en précisant que:

« […] toutefois, cette directive a été transposée au livre II du code de l’environnement par la loi n° 2004-338 du 21 avril 2004, dont il n’est pas soutenu qu’elle aurait méconnu les objectifs ou des dispositions précises et inconditionnelles de la directive ou qu’elle l’aurait incomplètement transposée ; qu’il résulte au demeurant de ce qui a été dit précédemment que le décret attaqué ne prive pas l’autorité administrative compétente de ses prérogatives et lui permet en particulier de faire obstacle à des concentrations d’élevages qui seraient de nature à porter atteinte aux intérêts mentionnés ci-dessus, de prévenir toute dégradation supplémentaire des eaux et de promouvoir la protection à long terme de la ressource en eau ; que le moyen tiré de la méconnaissance des objectifs de la directive 2000/60/CE du 23 octobre 2000 doit, par suite, être également écarté. »

 

 

Stéphanie Gandet

Avocat associé

Green Law Avocat