Le Conseil d'étatPar une décision en date du 17 juin 2014 (consultable ici), le Conseil d’Etat précise que lorsque le droit de préemption est exercé pour constituer des réserves foncières destinées à une ZAD (zone d’aménagement différé), le juge de l’excès de pouvoir ne porte qu’un contrôle restreint sur la motivation de la décision.

En l’espèce, un acquéreur évincé contestait le bien fondé d’une décision de préemption d’une Communauté d’Agglomération, au motif que la parcelle concernée était insusceptible d’être utilisée pour le programme immobilier prévu dans la zone, et que la réalisation des infrastructures envisagées était d’ores et déjà engagée dans d’autres secteurs.

La Cour administrative d’appel de Marseille, après avoir relevé que l’autorité préemptrice avait justifié son action en invoquant la seule nécessité de constituer des réserves foncières destinées à la mise en œuvre, à terme, d’un programme d’aménagement et de développement d’activités tertiaires et d’un programme d’habitat mixte, avait jugé qu’une telle motivation était suffisante, et avait limité son contrôle à l’erreur manifeste d’appréciation (CAA Marseille, 09 février 2012, n°10MA02144).

La Haute Juridiction, saisie d’un recours en cassation, rappelle qu’en matière de ZAD, l’article L 210-1 al. 3 du code de l’urbanisme prévoit une obligation de motivation allégée des décisions de préemption visant à constituer des réserves foncières, puisque cette disposition permet à la collectivité titulaire du droit de préemption de simplement «  se référer aux motivations générales mentionnées dans l’acte créant la zone.»

Aussi, dans cette hypothèse, la collectivité n’a pas à justifier de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement à la date de sa décision, mais qu’elle ne peut légalement exercer cette préemption si celle-ci est dépourvue d’utilité pour atteindre les objectifs en vue desquels la ZAD a été créée.

Il en résulte que seul ce dernier aspect est soumis au contrôle du juge.

La question se posait dès lors de savoir si ce contrôle doit être normal ou restreint : sur ce point, le Conseil d’Etat considère que la Cour n’a pas commis d’erreur de droit en opérant un contrôle restreint, et confirme son arrêt :

«  Considérant qu’aux termes des premier et troisième alinéas de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme :  » Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l’intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l’article L. 300-1, à l’exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d’aménagement. / (…) / Toute décision de préemption doit mentionner l’objet pour lequel ce droit est exercé. Toutefois, lorsque le droit de préemption est exercé à des fins de réserves foncières dans le cadre d’une zone d’aménagement différé, la décision peut se référer aux motivations générales mentionnées dans l’acte créant la zone  » ; qu’il résulte de ces dispositions que, lorsqu’une collectivité exerce dans une zone d’aménagement différé le droit de préemption dont elle est titulaire à des fins de constitution de réserves foncières en se référant aux motivations générales de l’acte qui crée cette zone, elle n’a pas à justifier de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement à la date de sa décision ; que, toutefois, la collectivité ne peut légalement exercer ce droit si la préemption est dépourvue d’utilité pour atteindre les objectifs en vue desquels la zone a été créée ; qu’il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi d’un moyen en ce sens, de s’assurer de l’absence d’erreur manifeste dans cette appréciation ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède et ainsi qu’il a été dit au point 5 qu’eu égard au moyen soulevé devant les juges du fond, tiré de ce que la parcelle était insusceptible d’être utilisée pour le programme immobilier prévu dans la zone et que la réalisation des infrastructures envisagées était d’ores et déjà engagée dans d’autres secteurs, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en opérant un contrôle restreint sur ce point ; »

 

Cette décision est intéressante car elle déroge au principe posé par le Conseil d’État d’un contrôle normal lorsqu’il s’agit d’apprécier l’existence d’un intérêt général suffisant pour justifier l’opération pour laquelle la préemption a été décidée (CE, 26 mai 2014, n° 357934 ; CE, 6 juin 2012, n° 342328).

Il s’en infère que désormais, le contrôle de l’intérêt général de l’opération sera donc moins rigoureux lorsque l’obligation de motivation est allégée.

Lou DELDIQUE

Green Law Avocat