Déploiement de la fibre et engagements des opérateurs : des actes unilatéraux

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Par Yann BORREL, avocat associé (Green Law Avocats)

Par sa décision n° 46349 du 21 avril 2023, le Conseil d’État a jugé que les engagements volontaires pris par les opérateurs pour le déploiement de la fibre et acceptés par le gouvernement ne sont pas des contrats mais des engagements unilatéraux (téléchargeable ci-dessous).

En l’espèce, la secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’économie et des finances a accepté, sur le fondement de l’article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques (CEPE), la proposition d’engagements de l’opérateur relatifs au déploiement de réseaux de fibre jusqu’à l’habitant en zone moins dense.

Par deux décisions n° 2019-0871-RDPI et n° 2019-1514-RDPI des 20 juin et 17 octobre 2019, la formation de règlement des différends, de poursuite et d’instruction (RDPI) de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) a ouvert une instruction relative au manquement éventuel de l’opérateur aux engagements acceptés par la ministre, ainsi qu’une enquête administrative à son encontre.

Le 19 novembre 2021, le secrétaire d’État en charge du numérique et des communications électroniques a demandé à l’ARCEP l’ouverture de la procédure prévue à l’article L. 36-11 du CEPE concernant le respect par l’opérateur de ses engagements.

Par une décision n° 2022-0573-RDPI en date du 17 mars 2022, la formation RDPI de l’ARCEP a mis en demeure la société de se conformer à ses engagements au plus tard le 30 septembre 2022.

La société requérante a saisi le Conseil d’État d’une requête tendant à l’annulation de cette dernière décision.

A l’appui de ce recours, l’opérateur a déposé une question prioritaire de constitutionnalité concernant certaines dispositions législatives du CEPE :


Si la Haute juridiction refuse d’annuler la décision litigieuse de l’ARCEP et de transmettre de la question prioritaire de constitutionnalité, elle précise à cette occasion la nature juridique des engagements souscrits par l’opérateur sur le fondement des dispositions de l’article L. 33-13 du CEPE.

En l’occurrence, la société requérante a fait notamment valoir que les dispositions législatives de l’article L. 33-13 du CEPE violeraient la liberté contractuelle garantie par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Autrement dit, la société argue que les engagements souscrits par les opérateurs au titre de l’article L. 33-13 du CEPE devraient être regardés comme de nature contractuelle.

A ce titre, la société requérante soutient :

Un acte résultant d'un processus décisionnel enclenché par une habilitation à agir par voie unilatérale est une décision à caractère unilatéral


Dans ses conclusions, le rapporteur public que la jurisprudence administrative n’a jamais retenu une telle approche : « l’acte qui résulte d’un processus décisionnel enclenché en vertu d’une habilitation à agir par voie unilatérale conférée à l’administration revêt toujours un caractère unilatéral, sans qu’ait d’incidence la circonstance qu’un accord ou un consentement se soient manifestés au cours de ce processus » (concl. Clément MALVERTI, CE, 21 avril 2023, n°464349).

En d’autres termes, le rapporteur public indique que « lorsqu’un acte est édicté en vertu d’une habilitation à agir par voie unilatérale et non par l’instrument contractuel, il est nécessairement unilatéral, les modalités de son élaboration étant à cet égard indifférentes ».

A ce titre, il ressort de la jurisprudence administrative que constituent des actes unilatéraux :


Dans ses deux illustrations, la Haute juridiction appréhende ces engagements comme une condition préalable de la procédure d’édiction d’une décision édictée au titre d’une habilitation à agir par voie unilatérale.

Les engagements des opérateurs dans le déploiement de la fibre sont dépourvus de caractère contractuel


En se fondant sur cette jurisprudence de la Haute juridiction, le rapporteur public conclut que les dispositions de l’article L.33-13 du CEPE « n’ont ainsi nullement placé les opérateurs en situation de contracter avec l’administration, mais ont seulement entendu, dans une logique contractualiste, faire dépendre les obligations de déploiement pesant sur les opérateurs des engagements que ces derniers ont librement souscrit ».

D’ailleurs, le rapporteur public constate que les engagements souscrits par les opérateurs auprès du ministre interviennent dans le cadre d’une opération d’ensemble et visent à l’élaboration d’un arrêté ministériel, un acte unilatéral.

Suivant ses conclusions, le Conseil d’État juge que les engagements ne peuvent être qualifiés de contrat entre l’opérateur et l’État au motif que : « les dispositions de l’article L. 33-13 du CEPE que le législateur a entendu donner une force contraignante aux engagements librement consentis par les opérateurs en matière de déploiement du réseau de fibre jusqu’à l’habitant en permettant au ministre chargé des communications électroniques de les accepter » (CE, 21 avril 2023, n° 464349, point 12).

Dès lors que les engagements des opérateurs sont de nature unilatérale, la Haute juridiction juge que la société requérante ne peut utilement se prévaloir de ce que les dispositions du L.33-13 du CEPE conduiraient à méconnaître la liberté contractuelle.