Demande de prorogation d’un permis de construire : le pétitionnaire n’a pas à justifier de sa qualité (CE, 15 avril 2015, n°371309)

Le Conseil d'étatPar

Lou DELDIQUE (Green Law Avocat)

Un récent arrêt du Conseil d’Etat (CE, 15 avril 2015, n°371309, consultable ici) précise que l’administration statuant sur une demande de prorogation de permis de construire n’a pas à vérifier si le pétitionnaire remplit encore les conditions pour solliciter le permis initial, à savoir s’il bénéficie toujours d’un titre l’habilitant à construire.

Rappelons en effet qu’aux termes de l’article R. 424-17 du code de l’urbanisme, le permis de construire est périmé si les travaux ne sont pas entrepris dans le délai de deux ans à compter de sa notification au pétitionnaire (période temporairement portée à trois ans par le décret du 29 décembre 2014 : voir notre analyse ici). Il en est de même si, passé ce délai, les travaux sont interrompus pendant un délai supérieur à une année.

Le pétitionnaire a toutefois la possibilité de solliciter une prorogation du permis (C. urb. Art. R 424-21) : cette demande, qui doit être introduite au moins deux mois avant la fin du délai de validité de l’autorisation d’urbanisme (C. urb., art. R. 424-22 et R. 424-23), permet ainsi de prolonger la durée de validité de l’autorisation d’un an (ou plus pour les permis éoliens, qui bénéficient d’un régime spécifique, voir notre analyse ici).

La prorogation est acquise par décision expresse ou tacite (voir par exemple : CE, 6 mars 1994, n° 127671 ; CAA Paris, 15 mars 2001, n°99PA02139 et 00PA00982 ; CAA Marseille, 13 avril 2006, n°01MA01536 ; TA Caen, 19 juin 2009, n°0801814, 0802032 et 0802033), « si les prescriptions d’urbanisme et les servitudes administratives de tous ordres auxquelles est soumis le projet n’ont pas évolué de façon défavorable à son égard » (C. urb., art. R. 424-21).

En l’espèce, une société avait obtenu un permis de construire l’autorisant à édifier un bâtiment sur une parcelle qu’un particulier s’était engagé à lui vendre, sous conditions, par un acte sous seing privé. Cette vente n’était cependant pas encore réalisée au moment où, deux ans plus tard, la société pétitionnaire a sollicité la prorogation du permis. Constatant qu’elle ne disposait plus de titre l’habilitant à construire, le Maire avait refusé de lui accorder cette prorogation.

Considérant que « l’autorité administrative compétente, saisie d’une demande de prorogation par le bénéficiaire initial d’un permis de construire, ne saurait légalement remettre en cause, en l’absence de fraude ou de manœuvre de nature à induire l’administration en erreur, la qualité de détenteur du droit à effectuer les travaux autorisés dont bénéficie ce pétitionnaire », la Cour administrative d’appel de Nantes avait censuré ce raisonnement en 2013 :

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, lors du dépôt de la demande de permis de construire le 10 octobre 2005 portant sur la parcelle cadastrée section AP n° 280 appartenant à M. B…, la société Cobat a justifié auprès de l’autorité administrative compétente d’une part de la conclusion, par acte sous seing privé du 2 août 2005, avec le propriétaire du terrain d’assiette d’une convention par laquelle ce dernier s’engageait à lui céder l’immeuble sous certaines conditions, d’autre part de l’autorisation, que celui-ci lui avait donnée par écrit en date du 20 septembre 2005, de déposer une demande de permis de construire ; que la société Cobat a en conséquence justifié de sa qualité pour déposer une demande de permis de construire qui lui a été délivré le 29 septembre 2006 ; que, dans ces conditions, cette société n’était pas tenue de justifier à nouveau de sa qualité pour solliciter le 22 juillet 2008 une prorogation du permis de construire initialement délivré ; que, par suite, en refusant le 3 septembre 2008 de proroger le permis de construire du 29 septembre 2006, au motif que la société Cobat n’était toujours pas propriétaire de la parcelle cadastrée AP n° 280 et ne disposait plus d’un titre l’habilitant à construire, le maire de Perros-Guirec a commis une erreur de droit, alors même que le propriétaire de l’immeuble l’avait informé le 5 août 2008, en réponse à sa demande, de ce qu’il n’avait pas signé de compromis de vente avec la société Cobat et qu’il était en conséquence toujours propriétaire de l’immeuble ; » (CAA Nantes, 14 juin 2013, n°12NT00477)

Saisi d’un pourvoi en cassation par la commune, le Conseil d’Etat confirme cette solution.

La Haute Juridiction a ainsi rappelé que le pétitionnaire justifie de sa qualité au moment de se demande de permis initiale, et que les textes n’énoncent pas la production d’une attestation similaire parmi les conditions d’obtention de la prorogation de validité. C’est donc une interprétation stricte des dispositions des articles R. 424-21 et R. 424-22 du code de l’urbanisme qui doit prévaloir :

« Considérant qu’il résulte des dispositions précitées des articles R. 424-21 et R. 424-22 du code de l’urbanisme, issues du décret du 5 janvier 2007 pris pour l’application de l’ordonnance n° 2005-1527 du 8 décembre 2005 relative au permis de construire et aux autorisation d’urbanisme, que l’autorité compétente ne peut légalement refuser de faire droit à une demande de prorogation d’un permis de construire présentée deux mois au moins avant l’expiration de son délai de validité que si les règles d’urbanisme et les servitudes administratives de tous ordres s’imposant au projet ont été modifiées, postérieurement à la délivrance du permis de construire, dans un sens qui lui est défavorable ; qu’aucune disposition n’impose qu’une demande de prorogation soit accompagnée d’une attestation du demandeur selon laquelle il continue de remplir les conditions définies à l’article R. 423-1 du même code pour solliciter un permis de construire ; qu’ainsi, en jugeant que le maire de Perros-Guirec n’avait pu légalement, par son arrêté du 3 septembre 2008, rejeter la demande de prorogation présentée par la société Cobat au motif que cette société n’avait plus qualité pour mettre en oeuvre le permis de construire dont elle était titulaire, la cour administrative d’appel, qui n’a pas commis d’erreur de droit en se fondant sur les dispositions en vigueur à la date de cet arrêté, a fait de ces dispositions une exacte application ; »

On ne manquera pas de noter que cette décision se situe dans la continuité de l’arrêt Quenesson (CE, 15 févr. 2012, n° 333631 ; voir aussi CE, 17 octobre 2014, n° 360968 et CE 23 mars 2015, n° 348261), qui avait posé pour principe qu’il n’appartient pas à l’administration de vérifier, dans le cadre de l’instruction d’une déclaration ou d’une demande de permis, la validité de l’attestation établie par le demandeur.