Délai de recours contre un permis de construire : la mauvaise foi de l’administration a des limites ! (CE, 9 mars 2016, n°384341)

Boomerangs sur fond bleuPar Lou DELDIQUE, Green Law Avocats

Le code de l’urbanisme prévoit que le délai de recours contentieux à l’encontre d’un permis de construire ne court à l’égard des tiers qu’à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage régulier du permis sur le site d’implantation du projet (article R. 600-2).

Il résulte de cette disposition qu’un permis de construire qui n’est affiché que plusieurs mois après sa signature ou sa notification au pétitionnaire peut encore être attaqué. Et il en va de même lorsque l’affichage a été réalisé dans des conditions irrégulières (voir par exemple : CAA Lyon, 30 juill. 2015, n° 14LY02581 ; CE, 6 juill. 2012, n° 339883 ; CE, 28 avr. 2000, n° 198565 ; CE, 11 juill. 2013, n° 362977).

L’arrêt commenté (CE, 9 mars 2016, n°384341, consultable ici) apporte toutefois un tempérament à cette règle, en précisant qu’elle ne s’applique pas au tiers particulier qu’est la commune du projet lorsque l’autorisation est délivrée par le Préfet.

En l’espèce, une commune avait enregistré une demande de permis, qu’elle avait ensuite transmise au Préfet, ce dernier étant compétent en vertu des articles L. 422-2 et R. 422-2 e) du code de l’urbanisme (qui visent l’hypothèse où la commune d’implantation se trouve dans le périmètre d’une opération d’intérêt national et où il existe un désaccord entre le Maire et le responsable du service de l’Etat dans le département chargé de l’instruction de la demande).

Le permis ayant été délivré malgré l’avis négatif du Maire, la commune avait introduit un recours à son encontre… près de six mois après la signature de l’arrêté, dont elle avait pourtant été destinataire, et qui avait fait l’objet d’un affichage en mairie, conformément aux dispositions de l’article R. 424-15 du code de l’urbanisme.

Ce recours avait été jugé irrecevable par la Cour administrative d’appel de Versailles, qui avait considéré que la commune ne pouvait se prévaloir d’un affichage irrégulier sur site pour justifier la tardiveté de sa requête, alors qu’au vu des circonstances exposées ci-dessus, sa connaissance de l’acte avant l’affichage du pétitionnaire ne faisait aucun doute.

Faisant lui aussi application de la théorie de la connaissance acquise, le Conseil d’État valide ce raisonnement et dit pour droit que le délai de recours de la commune contre un permis délivré par le Préfet sur son territoire court dès la réception de l’acte ou de l’extrait qui lui été adressé pour remplir ses obligations d’affichage en mairie :

 

« Considérant qu’aux termes de l’article R. 600-2 du code de l’urbanisme :  » Le délai de recours contentieux à l’encontre (…) d’un permis de construire (…) court à l’égard des tiers à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l’article R. 424-15  » ; que ces dispositions ont pour objet d’assurer la connaissance par les tiers des éléments indispensables pour leur permettre de préserver leurs droits et d’arrêter leur décision de former ou non un recours contre l’autorisation de construire, à savoir, d’une part, la connaissance de l’existence d’un permis de construire, des principales caractéristiques de la construction autorisée et de l’adresse de la mairie où le dossier peut être consulté et, d’autre part, celle du délai de recours relatif à cette décision ; que, toutefois, lorsqu’en vertu de l’article L. 422-2 du code de l’urbanisme et par exception aux dispositions du a) de l’article L. 422-1, l’autorité administrative de l’Etat est compétente pour se prononcer sur une demande de permis de construire et que ce permis est délivré par le préfet, en application du e) de l’article R. 422-2 du même code, après consultation du maire et du fait d’un désaccord entre celui-ci et le responsable du service de l’Etat dans le département chargé de l’instruction de la demande, la commune ne saurait être regardée comme un tiers au sens de l’article R. 600-2 précité ; que la seule circonstance que les modalités d’affichage du permis de construire sur le terrain prévues par ces dispositions n’auraient pas été respectées ne fait, par suite, pas par elle-même obstacle à ce que le délai de recours contre cette décision commence à courir à son égard ;

Considérant que l’article R. 424-15 du code de l’urbanisme prévoit que, en sus de l’affichage du permis de construire sur le terrain, un extrait de ce permis doit, dans les huit jours de sa délivrance expresse ou tacite, être publié par voie d’affichage en mairie pendant deux mois ; que dans l’hypothèse où il est délivré par le préfet, la réception en mairie du permis ou de l’extrait qui lui est adressé pour assurer le respect de cette obligation marque, pour la commune, et quand bien même cet affichage serait opéré par le maire en qualité d’agent de l’Etat, le point de départ du délai de recours contre ce permis ; »

C’est donc un régime spécifique qui est créé par l’arrêt du 9 mars 2016.

Deux points méritent à cet égard d’être soulignés :

  • D’une part, le Conseil d’Etat estime que la commune sur le territoire de laquelle doivent s’implanter les constructions n’est pas un tiers comme les autres, dans la mesure où elle a été associée au processus d’adoption de l’acte ;
  • D’autre part, l’irrégularité de l’affichage sur le terrain est sans incidence sur le déclenchement du délai de recours à son égard.

Notons que ce régime dérogatoire n’a pas vocation à s’appliquer pour tous les recours engagés par les communes, qui devraient toujours être considérés comme des tiers au sens de l’article R. 600-2 du code de l’urbanisme lorsqu’elles contestent le permis délivré sur le territoire d’une commune limitrophe, par exemple.

La décision commentée pourra par ailleurs être rapprochée d’un arrêt en date du 27 juillet 2015 (CE, 27 juillet 2015, n° 370846 : voir notre analyse ici), dans lequel le Conseil d’Etat avait précisé que les riverains immédiats du projet de construction peuvent eux aussi se voir appliquer des règles de recevabilité particulières. Les deux solutions témoignent ainsi d’une même tendance du juge à faire primer le pragmatisme sur une application littérale de l’article R. 600-2.