Contentieux ICPE : un avis du Conseil d’Etat précise les conditions de la tierce opposition

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Me Lou DELDIQUE (Green Law Avocat)

Un récent avis du Conseil d’Etat (CE, 29 mai 2015, n°381560, consultable ici) apporte d’utiles précisions sur le régime de la tierce opposition à une autorisation d’exploiter délivrée par le juge administratif.

Rappelons que le contentieux des installations classées est un contentieux de pleine juridiction, et que le juge administratif a donc le pouvoir, en cas d’annulation d’un refus, de délivrer lui-même l’autorisation en lieu et place de l’administration (C. envir., art. L. 514-6).

En l’espèce, la question posée par la cour administrative d’appel de Nantes portait sur la possibilité pour un tiers de former tierce opposition contre un tel jugement. Il s’agissait notamment de savoir si, compte-tenu de la particularité de la situation créée par la délivrance juridictionnelle de l’autorisation d’exploiter, des conditions de recevabilité spécifiques étaient requises :

« Lorsque le juge de plein contentieux annule le refus opposé par l’autorité administrative à une demande d’autorisation d’exploiter une installation classée pour la protection de l’environnement et, statuant dans le cadre des pouvoirs qui lui sont dévolus par l’article L. 514-6 du code de l’environnement, autorise, par une décision juridictionnelle, une telle installation en l’assortissant des conditions qu’il juge indispensables à la protection des intérêts visés à l’article L. 511-1 de ce code, la recevabilité d’un tiers, telle une association locale de défense de l’environnement, à former tierce opposition contre ce jugement, est-elle subordonnée, eu égard à la particularité de la situation ainsi créée, à l’impératif de sécurité juridique et au droit au recours, à des conditions spécifiques pour l’application de l’article R. 832-1 du code de justice administrative en ce qu’il exige que la décision juridictionnelle préjudicie à ses droits ? » (question posée par la CAA de Nantes)

Trois autres questions portaient sur les modalités d’exercice de la tierce opposition dans cette hypothèse particulière.

Il convient de préciser que la tierce opposition est une procédure particulière qui permet à une personne n’étant pas intervenue dans le cadre d’une instance de contester malgré tout la décision juridictionnelle adoptée à l’issue de la procédure. Cela suppose toutefois de démontrer un certain intérêt à agir, et notamment que la décision « préjudicie à ses droits » (CJA, art. R.832-1).

Dans le cas présent, la Cour s’interrogeait sur l’interprétation à donner à cette condition, notamment au regard du droit au recours des tiers : le jugement qui autorise l’exploitation a en effet la particularité de ressembler fortement à un acte administratif (dont il a les effets), et on pouvait dès lors se demander si la démonstration d’un intérêt à agir « classique » ne suffisait pas à rendre la tierce opposition recevable.

L’avis du 29 mai 2015 va en ce sens, et rapproche le régime de la tierce opposition à la décision juridictionnelle d’autorisation d’exploiter de celui du recours en annulation dirigé contre une autorisation délivrée par l’administration, puisqu’il précise que cette voie de recours doit être ouverte aux tiers justifiant d’un « intérêt suffisant pour demander l’annulation de la décision administrative d’autorisation » :

« Il résulte des dispositions de l’article R. 832-1 du code de justice administrative que, pour former tierce opposition, une personne qui n’a été ni présente ni représentée à l’instance doit en principe justifier d’un droit lésé. Toutefois, afin de garantir le caractère effectif du droit au recours des tiers en matière d’environnement et eu égard aux effets sur les intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement de la décision juridictionnelle délivrant une autorisation d’exploiter, cette voie est, dans la configuration particulière où le juge administratif des installations classées, après avoir annulé la décision préfectorale de refus, fait usage de ses pouvoirs de pleine juridiction pour délivrer lui-même l’autorisation, ouverte aux tiers qui justifieraient d’un intérêt suffisant pour demander l’annulation de la décision administrative d’autorisation, dès lors qu’ils n’ont pas été présents ou régulièrement appelés dans l’instance. »

L’avis définit ensuite les modalités d’exercice de la tierce opposition contre la décision d’autorisation juridictionnelle.

En premier lieu, le Conseil d’Etat précise le délai dans lequel elle pourra être formée : si des mesures de publicité, ordonnées par le juge ou l’administration, ont été assurées, les délais prévus par l’article R. 514-3-1 du code de l’environnement, qui sont les délais de recours de droit commun en contentieux des installations classées, trouveront à s’appliquer.

Cette solution souligne encore le parallèle avec le recours en annulation, puisqu’une tierce opposition peut normalement être introduite sans condition de délai. Là encore, il s’agissait d’une exception nécessaire : sans cela, la sécurité juridique de l’autorisation n’aurait pas été garantie.

En deuxième lieu, la Haute juridiction considère que tous les moyens peuvent être invoqués par le tiers opposant, qui ne sera donc pas limité aux moyens en lien avec les droits dont il se prévaut et auxquels la décision juridictionnelle préjudicie.

Enfin, lorsque le juge a simplement délivré l’autorisation mais laissé au Préfet le soin de fixer les prescriptions applicables à l’installation, l’introduction d’une tierce opposition reste possible. En effet, dans ce cas précis, l’autorisation d’exploiter n’est effective qu’une fois que les prescriptions ont été édictées : le Conseil d’Etat distingue ainsi le principe de l’autorisation des prescriptions, qui pourront faire l’objet d’un autre recours de la part des tiers. Cette solution est logique, puisqu’il existe alors deux décisions distinctes.

On retiendra donc de cet avis qu’il tire les conséquences du caractère ambivalent de l’autorisation d’exploiter délivrée par le juge des installations classées et procède à un très net rapprochement entre la tierce opposition et le recours en annulation contre une telle autorisation. Cela témoigne assurément d’une conception protectrice du caractère effectif du droit au recours des tiers en matière d’environnement, ce qui doit être salué.