Contentieux ICPE des éoliennes : à l’ouest et à l’est, rien de très nouveau

Green Business StrategyPar

Maître Lou DELDIQUE (Green Law Avocat)

Les éoliennes n’étant soumises à la réglementation ICPE que depuis 2011, les juridictions administratives commencent seulement à se prononcer sur la légalité des décisions d’autorisation ou de refus d’autorisation (sur ce sujet, voir notre récente analyse ici).

Comme on le sait, le contentieux du permis éolien, particulièrement riche et abondant, s’est focalisé sur des problématiques bien précises, et notamment sur l’application de certaines dispositions d’ordre public du règlement national d’urbanisme :
– L’article R. 111-21, relatif à la protection des paysages ;
– L’article R. 111-15, relatif à la protection de la faune et de la flore ;
– L’article R. 111-2, relatif aux risques engendrés par le projet.

Deux récents jugements des Tribunaux administratifs de Caen et Châlons-en-Champagne (TA Châlons-en-Champagne, 3 février 2015, Société Eole Les Buissons, n°1400520, et TA Caen, 12 février 2015, Mowgli Poulin, n°1400182, consultables ici) confirment ce que l’on pouvait raisonnablement attendre : le contentieux ICPE aborde les mêmes problématiques et s’annonce donc très similaire.

Ainsi, le TA de Caen était saisi d’une demande d’annulation d’une autorisation d’exploiter délivrée par des riverains, tandis que le TA de Châlons-en-Champagne statuait à la fois sur un refus d’autorisation et un refus de permis de construire d’un même projet.

S’agissant de l’impact paysager des machines, on constate que les deux juridictions mènent un raisonnement très proche de celui tenu par le juge du permis, puisqu’elles s’attachent d’une part à qualifier le paysage dans lequel les éoliennes s’insèrent, et d’autre part à caractériser leur impact visuel (CE, 26 février 2014, n°345011 ; CE, 7 février 2013, n°348473 ; CE, 13 juillet 2012, n°345970 et 346280).

Le raisonnement en deux temps spécifique à l’application de l’article R.111-21 se voit donc transposé au contentieux des installations classées :

« Considérant qu’il résulte de l’instruction que deux autres parcs éoliens, composés de onze et six éoliennes, doivent être installés dans le même secteur au paysage très ouvert ; qu’il ressort du rapport de l’inspecteur des installations classées et de l’avis défavorable du service territorial de l’architecture et du patrimoine de l’Orne du 8 février 2013 qu’il existe un risque de co-visibilité entre les dispositifs éoliens de la Haie-Marais, notamment depuis le Manoir de Pommereux situé à 1 kilomètre, que l’implantation dispersée de projets éoliens distants de 3 et 4 kilomètres les uns des autres constituera un mitage du paysage et participera à sa perte d’identité, la juxtaposition des parcs pouvant pénaliser ce paysage rural ouvert ; que si le préfet de l’Orne fait valoir qu’il n’a autorisé l’exploitation que de dix éoliennes sur les quinze initialement projetées, la suppression de cette ligne d’éoliennes ne permet pas de remédier au mitage du paysage ni à l’atteinte que le projet est susceptible de porter au Manoir de Pommereux et à l’Eglise Notre-Dame d’Ecouché qui seront en co-visibilité avec les éoliennes en cause ; qu’il s’ensuit que la décision contestée est entachée d’une erreur d’appréciation au regard des inconvénients pour la protection de la nature, de l’environnement et des paysages et la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique visés par l’article L. 511-1 précité du code de l’environnement ; » (TA Caen, 12 février 2015, Mowgli Poulin, n°1400182).

Sans doute peut-on d’ailleurs reprocher à cette motivation d’être un peu énigmatique sur l’ampleur des co-visibilités ; mais ce défaut se retrouve aussi classiquement en contrôle du permis.

« Considérant que la décision contestée est prise au motif de l’impact négatif du projet sur le paysage de l’Argonne ardennaise ; que le site d’implantation projetée des éoliennes est toutefois situé dans la zone de développement éolien de l’Argonne ardennaise autorisée par arrêté préfectoral du 27 novembre 2008, alors même que le service territorial de l’architecture et du patrimoine avait rendu un avis réservé ; que si le paysage de l’Argonne ardennaise est de grande qualité et fragile, selon la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) et le service territorial de l’architecture et du patrimoine (STAC), le projet ne porte que sur trois éoliennes dont l’implantation est prévue dans un espace de plaine au pied d’une colline ; que le préfet ne démontre ni même n’allègue aucun impact sur un site ou une perspective particulière et se borne à rappeler des avis et à reprendre des éléments généraux sur les paysages de l’Argonne ardennaise ; que les photomontages produits au volet paysager du dossier de demande démontrent notamment que, d’après deux vues à grande distance, la ligne d’éoliennes s’immisce dans les bandes de boisement de direction Est-Ouest et que cette ligne est perpendiculaire à la vallée de l’Aire et s’intègre entre les boisements de la vallée et le bois de Monterbeau ; que, depuis les sites d’intérêts touristiques patrimoniaux et écologiques du territoire, les éoliennes sont peu visibles, voire cachées par les courbes du relief ou la végétation qui atténuent l’effet de mitage qui serait créé par un parc de seulement trois éoliennes ; qu’il résulte ainsi de l’instruction que l’implantation d’un parc de trois éoliennes n’est pas de nature à caractériser comme excessive l’atteinte portée aux paysages ; » (TA Châlons-en-Champagne, 3 février 2015, Société Eole Les Buissons, n°1400520)

Reste néanmoins cette interrogation à la lecture de ces deux considérants : s’il est rassurant pour les juges du fond de décliner en droit des installations classées la méthodologie dont lui impose le respect le Conseil d’Etat en matière de permis de construire, dès lors que les bases textuelles fondant le contrôle ne sont absolument pas identiques dans les deux matières, cette logique ne s’expose-t-elle pas à termes à un ajustement de la part le Conseil d’Etat ? Le droit des installations classées fait simplement référence aux « paysages » et à « la conservation des sites et des monuments » (L 511-1), là où l’article R111-21 incite au relativisme en ce qu’il tend à ce qu’il ne soit pas porté « atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales ». D’ailleurs il n’échappera pas au lecteur attentif que le contentieux ICPE de l’autorisation délivrée fait en l’espèce l’objet d’un contrôle entier de l’erreur d’appréciation (cf. le considérant ci-dessus du Ta Caen n°1400182), alors qu’en matière permis délivré le contrôle est réduit à celui de la seule EMA (erreur manifeste d’appréciation).

S’agissant ensuite de l’impact écologique, le raisonnement tenu par le TA de Châlons est également le même que lorsque le juge fait application des dispositions de l’article R. 111-15 du code de l’urbanisme.

Le préfet avait en effet refusé de délivrer l’autorisation d’exploiter en raison de l’impact du parc sur l’avifaune, et plus particulièrement sur deux espèces protégées, la cigogne noire et la grue cendrée : pour censurer ce motif de refus, le Tribunal tient compte du niveau de sensibilité écologique de la zone, mais aussi du risque réel de perturbation des oiseaux par les éoliennes, tel qu’il ressortait du volet écologique de l’étude d’impact, et des mesures de réduction et de compensation des effets prévues par la société pétitionnaire (CAA Nantes, 27 avril 2012, n°10NT00762 ; CAA Marseille, 16 juin 2011, n° 09MA01017 ; CAA Lyon, 5 mars 2013, n° 11LY02790 ; CAA Lyon, 19 août 2014, n° 13LY01455).

« S’agissant de la grue cendrée :
Considérant que le préfet des Ardennes évoque les risques de perturbations sur les oiseaux migrateurs et de mortalité indirecte des grues cendrées en se fondant sur la possible suppression d’une zone d’alimentation ; que toutefois les études ornithologiques, qui reconnaissent un impact du projet sur les grues cendrées hivernantes, au nombre de quelques dizaines, établissent que les grues cendrées migrantes, les plus nombreuses, surtout présentes près du lac du Der, au sud du projet, survoleront les éoliennes à haute altitude et par temps clair; que le risque de collision et de perturbation est d’ailleurs jugé « nul à faible » en fonction des espèces des oiseaux migrateurs, selon l’étude d’incidence relative à la zone de protection spéciale de novembre 2013 ;

S’agissant de la cigogne noire :
Considérant que le préfet des Ardennes rappelle que le département abrite près d’un tiers de la population nationale des cigognes noires ; que le préfet n’a toutefois pas remis en cause les études ornithologiques réalisées qui estiment que, si le risque, notamment de collision, est certain pour cette espèce, très peu d’oiseaux ont été observés sur le site ;
Considérant que l’étude du Regroupement des naturalistes ardennais de novembre 2013 conclut que « des impacts ne pourront être éliminés, notamment sur certaines espèces telles que la Grue cendrée, le Milan royal et la Cigogne noire » et préconise la mise en place de bandes enherbées pour l’avifaune nicheuse des milieux agricoles, la restauration et l’entretien de zones d’alimentation favorables à la Cigogne noire, la plantation d’une haie, le suivi comportemental des Cigognes noires à l’approche du parc et la mise en sécurité des lignes électriques présentant un risque pour les grands voiliers ; que la demande d’autorisation retenait des mesures d’évitements (développement du pâturage extensif des prairies humides, restauration et entretien de mares prairiales, de berges, et de ripisylves), des mesures d’accompagnement (suivi de la population des Cigognes noires sur le site, évaluation corrective de l’impact des mesures d’évitement) et des mesures compensatoires (participation financière au futur plan de sauvegarde de la Cigogne noire et pose de mécanismes de prévention des collisions et des électrocutions) ; qu’il résulte ainsi de l’instruction, notamment de ce qui a été dit précédemment concernant la réalité et le caractère limité des risques invoqués par le préfet, que l’ensemble de ces prescriptions sont de nature à limiter les atteintes qui pourraient être ainsi portées à la Cigogne noire et à la Grue cendrée ; » (TA Châlons-en-Champagne, 3 février 2015, Société Eole Les Buissons, n°1400520)

De manière assez prévisible, c’est sur la question de l’intérêt à agir que les décisions se démarquent de la jurisprudence urbanistique.

Le jugement du TA de Caen rappelle ainsi très justement que celui-ci ne saurait être apprécié comme en matière de permis de construire, et considère que les requérants ne peuvent se contenter d’invoquer une simple visibilité depuis leurs propriétés :

« Considérant, en premier lieu, que si les éoliennes dont l’exploitation a été autorisée par l’arrêté du 30 juillet 2013 seront visibles à partir des propriétés de M. et Mme X., M. A., M. et Mme Y., M. et Mme B., M. C., Mme W. et M. et Mme Z., cette circonstance ne suffit pas, à elle seule, pour conférer aux requérants un intérêt suffisamment direct leur donnant qualité pour demander l’annulation de l’autorisation délivrée, les requérants n’établissant, en outre, pas les inconvénients ou dangers que le fonctionnement de l’installation présenterait pour eux ; que, dans ces conditions, la fin de non-recevoir opposée par le préfet de l’Orne doit être accueillie ; »

Il résulte en effet des dispositions de l’article R. 514-3-1 du code de l’environnement que l’intérêt invoqué par le tiers requérant doit être en lien avec la défense des intérêts protégés par la législation relative aux installations classées (à savoir la commodité du voisinage, la santé, la sécurité, la salubrité publiques, l’agriculture, la protection de la nature, de l’environnement et des paysages, l’utilisation rationnelle de l’énergie, ou la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique).

S’agissant des personnes physiques, le juge des installations classées apprécie le caractère suffisamment direct de leur intérêt à agir au vu des inconvénients et dangers que l’installation présente pour eux, notamment au regard de leur situation et de la configuration des lieux (CE, 13 juillet 2012, n° 339592). Ainsi, pour les riverains, il sera tenu compte de la distance entre l’installation et leur habitation, la proximité laissant supposer une plus forte exposition aux risques (CAA Nantes, 13 juin 2014, n° 12NT00974 ; CAA Marseille, 8 nov. 2010, n° 09MA00033).

Rappelons toutefois que l’article L. 514-6 précise que seuls les riverains (locataires ou propriétaires) installés dans le voisinage d’une installation classée antérieurement à l’affichage ou à la publication de l’arrêté d’autorisation sont recevables à contester ce dernier… ce qui n’est pas sans rappeler le dispositif instauré par l’article L.600-1-3 du code de l’environnement qui prévoit désormais que « l’intérêt pour agir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager s’apprécie à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire » (sur cette disposition voir notre analyse ici).

En réalité, la vraie différence entre les contentieux urbanistique et environnemental concerne les pouvoirs du juge : rappelons en effet que le contentieux du permis de construire est un contentieux de l’excès de pouvoir, où le juge ne peut qu’annuler ou confirmer la décision, tandis que celui des ICPE est un contentieux de pleine juridiction qui permet au juge de réformer l’acte administratif, voire lui en substituer un nouveau.

On peut donc espérer qu’en cas d’annulation d’un refus, le juge sera plus enclin à enjoindre à l’administration de délivrer l’autorisation, ou même à la délivrer lui-même. Notons ainsi que dans le jugement du TA de Chalons, l’injonction de délivrer a été prononcée en matière ICPE, mais pas pour le permis.