Contentieux d’urbanisme/ Annulation partielle: précisions sur le rôle du juge (CAA Lyon, 26 janvier 2016, n°14LY01513 et CAA Versailles, 11 février 2016, n°13VE03377)

PArt emergency exitar Lou DELDIQUE (GREEN LAW AVOCAT)

La jurisprudence administrative s’enrichit de deux nouvelles décisions (CAA Lyon, 26 janvier 2016, n°14LY01513 et CAA Versailles, 11 février 2016, n°13VE03377) relatives au mécanisme d’annulation partielle instauré par  l’ordonnance n2013-638 du 18 juillet 2013 suite à l’arrêt Fritot (CE, 1er mars 2013, n°350306, voir notre analyse ici).

Rappelons que ce mécanisme, codifié à l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme, permet au juge administratif saisi d’un recours dirigé contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, lorsqu’il constate qu’un vice n’affectant qu’une partie du projet peut être régularisé par un permis modificatif, de ne prononcer qu’une annulation partielle et, le cas échéant, d’assortir cette annulation d’un délai permettant au pétitionnaire de déposer une demande d’autorisation modificative afin de régulariser l’autorisation subsistante.

Depuis 2013, un certain nombre de décisions jurisprudentielles ont précisé :

  • les conditions de mise en œuvre de ce texte, (sur son applicabilité immédiate : CE, avis, 18 juin 2014, n° 376113 ; sur la condition relative à la possibilité d’une régularisation par un permis modificatif : CE, 4 octobre 2013, n°358401 et CE, 1er oct. 2015, n° 374338 ; voir aussi nos analyses ici, ici) ;

 

  • ainsi que la nature et l’étendue des nouveaux pouvoirs du juge (sur le pouvoir d’appréciation souverain du juge du fond quant à l’opportunité de faire application de l’article L. 600-5 : CE, 15 oct. 2014, n° 359175 ; sur la sanction, par le juge d’appel, d’une annulation totale prononcée à tort : CAA Lyon, 17 déc. 2013, n° 13LY01158 ; sur le contrôle du juge d’appel ou de cassation : CE, 9 avr. 2014, n° 338363 ; sur l’absence d’obligation de recueillir les observations des parties avant de mettre en œuvre les pouvoirs conférés par l’article L. 600-5 : CE, 4 oct. 2013, n° 358401 ; voir aussi : L. DELDIQUE, « Articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme : retour d’expérience sur les nouveaux pouvoirs du juge », Droit de l’environnement, n°223, Mai 2014).

Les deux arrêts commentés s’inscrivent dans la lignée de ces décisions.

  • Celui de la Cour administrative d’appel de Lyon rappelle que la régularisation de l’autorisation n’est envisageable que si aucun autre moyen soulevé à l’encontre du permis n’est fondé.

En l’espèce, le Tribunal administratif de Grenoble avait annulé le permis de construire un complexe agricole composé de deux ensembles de stockage de céréales et d’une usine d’aliments pour animaux : en appel, la Cour a constaté que seul l’un des trois motifs d’annulation retenus en première instance était justifié, mais que cette illégalité (tirée de l’incomplétude du dossier de demande de permis) était susceptible de faire l’objet d’une régularisation.

Cependant, son raisonnement ne s’arrête pas là. Ainsi, rappelant que le juge est tenu de s’assurer du bien-fondé de tous les moyens, la Cour procède à l’examen de ceux qui avaient été invoqués pour la première fois en appel :

« Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, parmi les trois motifs d’annulation retenus par le jugement attaqué, seul est fondé celui tiré de l’irrégularité du dossier de demande de permis de construire, au regard des dispositions combinées du b) de l’article R. 431-7 et de l’article R. 431-9 du code de l’urbanisme, examiné au point 12 du présent arrêt ;

Considérant toutefois qu’aux termes de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme :  » Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice n’affectant qu’une partie du projet peut être régularisé par un permis modificatif, peut limiter à cette partie la portée de l’annulation qu’il prononce et, le cas échéant, fixer le délai dans lequel le titulaire du permis pourra en demander la régularisation  » ; qu’il résulte de ces dispositions que le juge administratif peut procéder à l’annulation partielle d’une autorisation d’urbanisme dans le cas où une illégalité affecte une partie identifiable du projet et où cette illégalité est susceptible d’être régularisée par un permis modificatif de l’autorité compétente, sans qu’il soit nécessaire que la partie illégale du projet soit divisible du reste de ce projet ; […]

Considérant que l’illégalité mentionnée ci-dessus serait susceptible d’être régularisée par un permis modificatif ; qu’une telle régularisation n’est toutefois envisageable que dès lors que n’y fait obstacle aucun autre moyen soulevé en première instance comme en appel par les demandeurs ; »

En l’occurrence, l’arrêt retient que la desserte incendie de la construction était insuffisante, et que le projet était par conséquent de nature à engendrer des risques pour la sécurité publique au titre de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme. S’agissant cette fois d’une illégalité qui ne pouvait être régularisée par le recours à l’article L. 600-5, la Cour confirme donc l’annulation du permis.

  • L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles précise quant à lui que le juge administratif, s’il peut mettre en œuvre d’office les pouvoirs que lui confère l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme sans recueillir au préalable les observations des parties ou sans leur communiquer un moyen d’ordre public, n’est pas tenu de justifier son choix de ne pas y recourir :

«  Considérant, d’autre part, que l’exercice par le juge de la faculté de prononcer l’annulation seulement partielle d’une autorisation d’urbanisme, sur le fondement des dispositions précitées, n’est pas nécessairement subordonné à la présentation par les parties de conclusions en ce sens ; qu’en l’absence d’une telle demande, le juge peut ainsi mettre en œuvre d’office le pouvoir que lui confèrent ces dispositions, sans être tenu de recueillir au préalable les observations des parties, ni davantage de leur communiquer, à ce titre, un moyen d’ordre public en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative ; que lorsque, exerçant cette faculté sur demande d’une partie ou d’office, le tribunal administratif prononce, à tort, l’annulation partielle d’une autorisation d’urbanisme alors que l’illégalité qu’il a relevée viciait la décision attaquée dans son ensemble, il se méprend sur l’étendue de ses pouvoirs et, ce faisant, entache son jugement d’irrégularité, laquelle doit être censurée, même d’office, par le juge d’appel ; qu’en revanche, lorsqu’il s’abstient, en l’absence de toute demande des parties, d’exercer d’office cette faculté, le juge n’est pas tenu d’indiquer les motifs de cette abstention;

Considérant, en l’espèce, que les premiers juges qui, ainsi qu’il a été rappelé au point 4, n’avaient pas été saisis par les parties, avant la clôture de l’instruction, d’une demande tendant à l’application de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme, n’ont pas mis en œuvre d’office le pouvoir que leur conférait ces dispositions ; que s’étant ainsi abstenus d’exercer d’office cette faculté, ils n’étaient pas tenus d’indiquer, dans le jugement attaqué, les motifs de cette abstention ; »

Il s’infère de cette solution, qui tire les conséquences de l’arrêt du Conseil d’Etat du 15 octobre 2014 précité (CE, 15 oct. 2014, n° 359175), qu’aucune  insuffisance de motivation ne peut être reprochée à un jugement sur ce point.

Reste que cette solution procédurale doit être attentivement réfléchie par les bénéficiaires d’autorisations qui peuvent éviter des annulations parfois futiles. Bien que ce mécanisme ne soit pas systématiquement ouvert, prendre le temps d’une véritable analyse juridique à différents stades du contentieux participe d’une défense efficace.