Dans la lignée du rapport Labetoulle du 25 avril 2013 et du projet de loi Duflot présenté le 2 mai 2013 en Conseil des ministres, une ordonnance parue au Journal officiel le 19 juillet dernier vient apporter d’importantes nouveautés qui intéresseront les promoteurs immobiliers, les associations de protection de l’environnement, du paysage et du cadre de vie, mais aussi chaque bénéficiaire d’une autorisation d’urbanisme.
En effet, l’ordonnance n°2013-638 prévoit un certain nombre de modifications au contentieux de l’urbanisme devant le juge administratif.
Notons tout d’abord que ces nouvelles dispositions ne rentrent en vigueur que le 19 août 2013, soit un mois après sa publication au JORF. La première question est de savoir à quels litiges ces nouvelles règles procédurales s’appliquent.
Un principe général veut qu’en procédure administrative, les nouvelles règles procédurales s’appliquent aux affaires en cours, immédiatement mais sans rétroactivité. Cela signifie que les différentes possibilités données au juge dans le contentieux de l’urbanisme pourront être utilisées dès le 19 août prochain.
Nous émettrons cependant une réserve au sujet de l’intérêt à agir des particuliers et sociétés, puisque le nouvel article L 600-1-3 prévoit expressément qu’il s’apprécie « à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire. », et qu’une entrée en vigueur de ce critèe aux instances en cours apparait comme contraire au droit au procès équitable (article 6 de la CEDH).
L’ordonnance prévoit quatre types de mesures et un éclaircissement :
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des critères de l’intérêt à agir sont donnés et la date de leur appréciation est modifiée (articles L 600-1-2 et L600-1-3 CU)
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la possibilité pour le juge de procéder à une annulation partielle en assortissant sa décision d’un délai dans lequel le titulaire du permis annulé pourra déposer une demande de permis de régularisation (article
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la possibilité pour le juge de surseoir à statuer (de suspendre la procédure) pour permettre au pétitionnaire de déposer une demande de permis de régularisation.
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la possibilité pour un pétitionnaire de solliciter par mémoire distinct mais devant le même juge l’octroi de dommages et intérêts par le requérant
- enfin, l’obligation d’enregistrer les transactions mettant fin à l’instance.
L’intérêt à agir des requérants est précisé
Les nouveaux articles L600-1-2 et L600-1-3 du Code de l’urbanisme viennent apporter des éclaircissements sur l’appréciation de l’intérêt à agir des requérants autres que l’Etat, les collectivités et les associations (concrètement donc: les personnes physiques et les sociétés). Cette appréciation était auparavant jurisprudentielle. A cet égard, les critères posés par le nouvel article L 600-1-2 ne bouleversent pas l’ancien état du droit.
Il faut donc que les travaux affectent la situation personnelle du requérant en tant que propriétaire ou usager d’un bien. L’occupation future du bien est prise en compte car le requérant peut bénéficier d’une promesse de vente, de bail ou d’un contrat préliminaire à la vente d’un immeuble à construire:
« Art. L. 600-1-2. – Une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation.
En principe, l’intérêt pour agir s’apprécie au regard des conclusions de la requête et à la date d’introduction du recours et non à celle de la délivrance de l’autorisation contestée (CE, 6 oct. 1965, Marcy : Rec. CE 1965, p. 493. – CE, 30 déc. 2002, n° 249860, Sté Cottage Wood : Rec. CE 2002, tables, p. 856, référé suspension).
Le nouvel article L 600-1-3 prévoit que « Sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières, l’intérêt pour agir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager s’apprécie à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire. »
C’est dire que dorénavant, il faudra avoir un intérêt à attaquer un permis à la date où celui ci est demandé par le pétitionnaire (et non plus à la date du recours).
Mais comme avant, la disparition de l’intérêt pour agir en cours d’instance n’entraînerait en principe pas l’irrecevabilité du recours (CE, sect., 11 févr. 2005, n° 247673, Marcel).
Le juge pourra procéder à une annulation partielle et octroyer, dans le jugement, un délai au pétitionnaire pour déposer un permis de régularisation
Cette possibilité prévue au nouvel article L 600-5 n’est que la retranscription d’un arrêt majeur du Conseil d’Etat du 1er mars 2013 rendu en matière de PC éoliens (que nous avions commenté ici). Cela rejoint de surcroit les conclusions du Rapport Pelletier qui souhaitait « limiter les conséquences résultant de l’illégalité d’une autorisation » et renforcer la sécurité juridique des autorisations d’urbanisme (Rapport Pelletier, Propositions pour une meilleure sécurité juridique des autorisations d’urbanisme, p. 59).
Cela consiste pour le juge à différer l’annulation d’un permis, le temps que le pétitionnaire introduise une demande de permis modificatif.
Toutefois, cet outil suppose la réunion de plusieurs conditions:
– d’abord, il faut que le vice affectant le permis soit susceptible d’être régularisé par un permis modificatif. Toutes les irrégularités ne le sont naturellement pas, et les précisions jurisprudentielles sur ce qui peut faire l’objet d’un PC modificatif ou ce qui doit faire l’objet d’un nouveau permis (voir par exemple ici).
– ensuite, il faut qu’aucun autre moyen ne conduise à l’annulation du permis, ce qui implique que le juge les écarte un à un.
– même si le permis est indivisible, l’annulation doit pouvoir concerner une partie identifiable du permis.
Si ces conditions sont réunies, alors la décision d’annulation peut prévoir qu’elle n’entrera en vigueur qu’à partir d’un certain délai, afin de permettre au pétitionnaire de déposer une demande de PC modificatif:
« Art. L. 600-5.-Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice n’affectant qu’une partie du projet peut être régularisé par un permis modificatif, peut limiter à cette partie la portée de l’annulation qu’il prononce et, le cas échéant, fixer le délai dans lequel le titulaire du permis pourra en demander la régularisation. ».
Si le PC modificatif n’est pas obtenu dans le délai imparti par le juge, alors l’annulation prendra effet et une période s’ouvrira durant laquelle le PC sera annulé sans qu’une régularisation n’ait eu lieu.
En cours d’instance, le juge pourra impartir un délai au pétitionnaire pour régulariser son permis illégal
La même possibilité que celle précédemment décrite est donnée au juge, en cours d’instance cette fois ci. Les mêmes conditions doivent cependant être réunies (vice susceptible de régularisation par un PC modificatif, aucun autre moyen susceptible de conduire à l’annulation, partie identifiable du permis ou permis divisible).
La nouveauté découle ici du fait que la régularisation peut s’opérer EN COURS D’INSTANCE, ce qui peut à première vue apparaître comme intéressant, car raccourcissant le délai d’incertitude.
Cependant, de nombreuses interrogations devront être levées:
– à quel moment de la procédure cette possibilité sera t-elle mise en œuvre? Si elle intervient trop tôt, les parties auront elles suffisamment discuté des autres moyens soulevés pour qu’ils puissent être vus comme ne pouvant conduire à l’annulation? De plus, le requérant peut en principe soulever tout nouveau moyen jusqu’à la clôture d’instruction. Si le sursis à statuer intervient trop tard dans la procédure, elle est vidée de son sens car le pétitionnaire aura subi une longue période d’incertitude juridique…
– la décision du juge pourra t-elle faire l’objet immédiatement d’un recours, ou ne peut elle être attaquée qu’à travers l’appel contre le jugement final?
– quelles seront les conséquences d’un refus de PC modificatif dans le délai imparti par le juge, a fortiori si le pétitionnaire exerce un recours à son encontre?
– quelles seront les conséquences si le PC modificatif de régularisation fait lui même l’objet d’un recours par les mêmes requérants?
– le juge usera t-il de la possibilité de prolonger le délai imparti?
Toutes ces questions feront évidemment l’objet de débats.
Le bouleversement principal de cette réforme réside dans la possibilité de demander dans la même instance des dommages et intérêts
Il est en effet dorénavant possible au défendeur de demander, par mémoire séparé, l’octroi d’une indemnisation si deux conditions sont réunies:
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il faut que le droit de former le recours est mis en œuvre dans des conditions qui « excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant ». Cette formule sibylline n’est pas sans poser problème. L’intérêt légitime du requérant reste en principe juridiquement celui d’un intérêt lié à la l’urbanisme. Or, sauf cas particuliers, chaque requérant est mu par une motivation plus intime, subjective et contingente. Un recours peut certes s’expliquer par le refus d’avoir une vue directe sur la construction (c’est un motif personnel, non lié à l’urbanisme), mais comporter des arguments proprement d’urbanisme (violation du PLU par exemple). Les circonstances propres à chaque cas d’espèce devront ici être attentivement scrutées.
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il faut par ailleurs que les conditions dans lesquelles le recours est exercé causent un « préjudice excessif au bénéficiaire du permis ». Ici aussi, le caractère excessif du préjudice donnera lieu à discussions. Le promoteur immobilier n’est il pas plus engagé financièrement que le couple procédant à l’extension de leur maison, et son préjudice ne sera t-il pas vu plus souvent comme excessif? Il appartiendra au juge de tenir compte de la situation personnelle de chaque intéressé, à la fois sur le plan financier mais aussi des conditions de jouissance.
Cette possibilité de dommages et intérêts rejoint en réalité un courant jurisprudentiel sanctionnant les recours abusifs.
Au-delà de l’amende pour recours abusif de maximum 3000€ qui est assez rarement prononcée alors que la possibilité est prévue à l’article R741-2 du Code de justice administrative, des jurisprudences récentes de la Cour de cassation ont par ailleurs consacré le droit pour le bénéficiaire d’un permis à demander financièrement réparation à celui ayant exercé un recours abusif contre son autorisation (Cass, 9 mai 2012, n°11-13.597 ; Cass, 5 juin 2012, n°11-17.919), que nous avions commentées.
« Lorsqu’une association régulièrement déclarée et ayant pour objet principal la protection de l’environnement au sens de l’article L. 141-1 du code de l’environnement est l’auteur du recours, elle est présumée agir dans les limites de la défense de ses intérêts légitimes. »
Enfin, les transactions mettant fin à l’instance devront être enregistrées
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En définitive, ces nouveaux outils contentieux posent question à de nombreux points de vue. Comme c’est régulièrement le cas, le juge administratif tranchera au fil des cas et affinera les conditions de mise en œuvre… de sorte qu’on peut se demander si le souci de simplification pour les porteurs de projet immobilier ne conduira pas, dans un premier temps du moins, à des complications.
Ce sera encore au juge de distinguer le requérant de « bonne foi » du simple procédurier ou de celui qui poursuivait un intérêt financier ou commercial loin des préoccupations d’urbanisme. Les justiciables profanes risquent d’en pâtir : à moins d’évaluer finement, au préalable, avec un professionnel du droit, les chances de succès de l’action (et donc avant de connaître les éventuels arguments en défense), tout recours en urbanisme comportera non seulement un risque de rejet, mais dorénavant un risque de condamnation pécuniaire.
Surtout, il nous apparaît qu’il faudra surtout veiller au maniement subtil de la demande de dommages et intérêts, tant le droit au recours (quel que soit le sens de ce recours) est fondamental.
Stéphanie Gandet
Avocat associé
Green Law Avocat