RechtsfindungLe Conseil d’Etat a censuré, dans une décision du 29 octobre dernier, une disposition du décret n° 2012-507 du 18 avril 2012 créant le parc national des Calanques en raison de sa contrariété avec « l’objectif de clarté et d’intelligibilité de la norme » (CE 29 octobre 2013, Association les amis de la rade et des calanques, req. n° 360085, mentionné au Lebon)

Ce principe n’est pas neuf, et régule la qualité de la norme produite.

Dans sa décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999 relative à la loi portant habilitation du gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative à certains codes, le Conseil constitutionnel a ainsi consacré l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi au rang d’objectif de valeur constitutionnelle. Cet objectif découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Selon le Conseil constitutionnel, en effet, l’égalité devant la loi énoncée par l’article 6 de la Déclaration et la garantie des droits requise par son article 16 pourraient ne pas être effectives si les citoyens ne disposaient pas d’une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables. Une telle connaissance est également nécessaire à l’exercice des droits et libertés garantis tant par l’article 4, en vertu duquel cet exercice n’a de bornes que celles déterminées par la loi, que par son article 5, aux termes duquel tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas (décision n° 99-421 DC, considérant n° 13).

Ultérieurement, dans sa décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002 relative à la loi de modernisation sociale, le Conseil constitutionnel a considéré que le principe de clarté de la loi, qui découle de l’article 34 de la constitution et l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité de la loi imposent au législateur, « afin de prémunir les sujets de droits contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques » (cf., considérant n° 9). Le Conseil constitutionnel a déjà censuré des dispositions législatives en se fondant sur cet objectif de valeur constitutionnelle (cf., décision 2003-475 DC du 24 juillet 2003 relative à la loi portant réforme des sénateurs ; décision n° 2004-500 DC du 29 juillet 2004 portant loi organique relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales). Dans cette dernière décision, on peut observer que le Conseil fait un lien exprès entre le plein exercice de la compétence confiée au législateur par l’article 34 de la constitution et l’intelligibilité de la norme.

Etant donné que la jurisprudence du Conseil rattache cet objectif de valeur constitutionnelle à la compétence du législateur, il n’apparaît pas comme un « droit » ou une « liberté » au sens de l’article 61-1 de la Constitution, de sorte que sa méconnaissance ne « peut en elle-même, être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité [QPC] sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution » (décision n° 2010-4/17 QPC du 22 juillet 2010, considérant n° 8 et 9).

Le Conseil d’Etat semble avoir été tout d’abord réticent à admettre la possibilité pour un requérant de critiquer un acte administratif en raison de la méconnaissance de cet objectif à valeur constitutionnelle (CE, 18 février 2004, Commune de Savigny-le-Temple, n° 251016). Dans un arrêt en date du 8 juillet 2005, la Haute Juridiction a néanmoins admis le caractère opérant du moyen tiré de la méconnaissance par un décret de « l’objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la norme » (CE 8 juillet 2005, Fédération des syndicats généraux de l’éducation nationale et de la recherche publique SGEN-CFDT, rec. p. 708). A cet égard, il peut être intéressant de constater que la Haute Juridiction a rangé la clarté de la norme parmi les objectifs de valeur constitutionnelle, alors que le Conseil constitutionnel avait érigé la clarté de la loi en principe découlant de l’article 34 de la Constitution, avant d’abandonner, semble-t-il, la référence à ce principe pour se fonder exclusivement sur l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi dans ses décisions en tant que norme de référence en matière de contrôle de la qualité de la législation (cf., commentaire de la décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006 portant sur la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information).

Dans sa décision du 29 octobre 2013, le Conseil d’Etat a, pour la première fois, censuré une disposition d’un décret en se fondant sur la méconnaissance de l’objectif de clarté et d’intelligibilité de la norme (CE 29 octobre 2013, Association les amis de la rade et des calanques, req. n° 360085, mentionné au Lebon). Précisément, dans cette décision, la Haute Juridiction a jugé que :

« Sur le moyen tiré de la méconnaissance de l’objectif de clarté et d’intelligibilité de la norme :

3. Considérant que l’article 10 du décret attaqué interdit le port, la détention ou l’usage de toute arme ainsi que de ses munitions dans les espaces naturels et précise que  » Ces dispositions ne s’appliquent pas aux personnes admises à chasser en application du V de l’article 9 et aux pêcheurs sous-marins, sans préjudice du IV de l’article 11  » ; que, toutefois, l’article 11 auquel ces dispositions renvoient ne comprend pas de IV ; que les requérants sont par suite fondés à soutenir que les dispositions en cause ont méconnu l’objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la norme ».

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a considéré que l’illégalité des dispositions de l’article 10 du décret n’entachait que les termes « sans préjudice du IV de l’article 11 ». Etant donné que ces dispositions sont divisibles du reste du décret, il a considéré que les requérants étaient seulement fondés à demander, pour ce motif, l’annulation de l’article 10 en tant qu’il comporte ces mots et non celles de l’ensemble des articles 9,10 et 11 du décret attaqué, ce qui, en pratique, réduit la portée de la victoire des requérants.

En l’état de la jurisprudence, il est rare qu’un acte administratif soit censuré au motif qu’il est contraire à cet objectif de valeur constitutionnelle. Néanmoins, il peut être intéressant de rappeler que dans un jugement du 13 octobre 2011, le Tribunal administratif de Lille avait annulé un arrêté préfectoral approuvant un plan de prévention des risques naturels d’inondation  (PPRNi) en se fondant sur la méconnaissance de « l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la norme » (TA Lille 13 octobre 2011, Commune de Bruay La Buissière, req. n° 0901120, 0902453 ; jurisprudence cabinet).

Yann BORREL

Green Law Avocat