CJUE 1.10.2019, C-616/17 : Validation par la Cour du règlement « produits phytosanitaires »

Cartoon Businessman Choosing a DirectionPar Maître Yann BORREL (Avocat associé – Green Law Avocats)

yann.borrel@green-law-avocat.fr

Par un arrêt rendu à titre préjudiciel du la Grande Chambre de la Cour de justice de l’Union européenne a validé les règles procédurales du Règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (JOUE 24.11.2019, L 309/1) au regard du principe de précaution.

A l’origine de cet arrêt, des militants écologistes français s’étaient introduits dans des magasins situés en Ariège et avaient dégradé des bidons de désherbants contenant du glyphosate. Ces faits ont conduit à l’engagement, à l’encontre de ces personnes, de poursuites pénales devant le tribunal correctionnel de Foix, du chef de dégradation ou détérioration d’un bien d’autrui commise en réunion. Devant cette juridiction, les prévenus ont invoqué l’état de nécessité et le principe de précaution, en faisant valoir que leurs agissements avaient pour but d’alerter les magasins concernés et leur clientèle sur les dangers liés à la commercialisation, sans avertissements suffisants, de désherbants contenant du glyphosate, d’empêcher cette commercialisation et de protéger la santé publique ainsi que leur propre santé.

Afin de se prononcer sur le bien-fondé de cet argument, la juridiction de renvoi a été conduite à s’interroger sur l’aptitude de la réglementation de l’Union à assurer pleinement la protection des populations et a estimé, dès lors, devoir statuer sur la validité du règlement n° 1107/2009 au regard du principe de précaution.

C’est dans ce contexte qu’elle a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour une série de questions préjudicielles. Après avoir rappelé la portée du principe de précaution, nous verrons que la Grande Chambre a jugé, dans le cadre d’un contrôle limité à l’erreur manifeste d’appréciation, que les règles procédurales relatives à l’autorisation des produits phytopharmaceutiques critiquées par la juridiction de renvoi sont valides (I°.).

En particulier, la Cour a écarté l’argument selon lequel le Règlement 1107/2009 serait contraire au principe de précaution au motif qu’il dispenserait le demandeur de procéder à des analyses de carcinogénicité et de toxicité à long terme (II°.).

I°.     Le reglement n° 1107/2009 n’est pas entache d’erreur manifeste d’appreciation :

Dans sa décision, la Grande Chambre a tout d’abord rappelé que le principe de précaution s’applique en dehors des politiques environnementales (cf. § 41 de l’arrêt C-616/17). Si en vertu de l’article 191, §2 du TFUE, le principe de précaution est utilisé au travers des politiques de l’Union européenne en matière d’environnement, ce principe s’applique également dans le cadre des autres politiques de l’Union en vue notamment d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine (cf. CJUE, 2 décembre 2004, Commission/Pays-Bas, C‑41/02, § 45 ; CJUE, 4 mai 2016, Pillbox 38, C‑477/14).

La Grande Chambre a ensuite jugé que le principe de précaution implique que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, des mesures de protection peuvent être prises sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. Par ailleurs, lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué, en raison de la nature non concluante des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel pour la santé publique persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives (cf. § 43 de l’arrêt C-616/17). C’est là une jurisprudence classique (cf. CJUE 22 décembre 2010, Gowan Comércio Internacional e Serviços, C77/09, § 73 et 76, 22 novembre 2018, Swedish Match, C151/17, § 38).

Enfin et surtout, la Grande Chambre a jugé qu’en raison de la nécessité de la mise en balance de plusieurs objectifs et principes, ainsi que de la complexité de la mise en œuvre des critères pertinents, le contrôle juridictionnel doit nécessairement se limiter au point de savoir si le législateur de l’Union, en adoptant le règlement no 1107/2009, a commis une erreur d’appréciation manifeste ou non (cf. en ce sens, CJUE 21 décembre 2016, Associazione Italia Nostra Onlus, C‑444/15, EU:C:2016:978, point 46). La Cour a jugé qu’aucune des quatre questions préjudicielles posées par le Tribunal correctionnel ne permettait de conclure que les règles procédurales du Règlement n° 1107/2009 étaient entachées d’erreur manifeste d’appréciation.

Ii°.    Le niveau d’analyses exige par le réglement sur la santé n’est pas entache d’erreur manifeste d’appréciation

Le Tribunal correctionnel de Foix a notamment posé à la CJUE la question préjudicielle suivante : « le règlement du [21 octobre 2009] est-il conforme au principe de précaution lorsqu’il dispense en ses chapitres 3 et 4 d’analyses de toxicité (génotoxicité, examen de carcinogénicité, examen des perturbations endocriniennes…), les produits pesticides dans leurs formulations commerciales telles que mises sur le marché et telles que les consommateurs et l’environnement y sont exposés, n’imposant que des tests sommaires toujours réalisés par le pétitionnaire » ?

A cette question, la Cour a répondu par l’affirmative en raisonnant de la manière suivante, aux §110 à 117 de son arrêt :

« La juridiction de renvoi estime que le règlement no 1107/2009 impose seulement au demandeur la réalisation de tests sommaires du produit phytopharmaceutique visé par une demande d’autorisation et qu’il le dispense de procéder à des tests de carcinogénicité et de toxicité à long terme. Partant, elle s’interroge sur le point de savoir si ce régime est compatible avec le principe de précaution.

 

A cet égard, il y a lieu de constater que ce règlement ne prévoit pas de manière détaillée la nature des essais, des analyses et des études auxquelles les produits phytopharmaceutiques doivent être soumis avant de pouvoir bénéficier d’une autorisation.

En effet, si les points 3.6.3. et 3.6.4. de l’annexe II dudit règlement énumèrent explicitement certains des tests dont doivent faire l’objet les substances actives avant leur approbation, le même règlement ne comprend pas de dispositions comparables pour les produits phytopharmaceutiques.

Néanmoins, il ne saurait être conclu que le règlement n° 1107/2009 dispense le demandeur de fournir des tests de carcinogénicité et de toxicité à long terme portant sur le produit phytopharmaceutique visé par une demande d’autorisation.

Dans ce contexte, il convient de rappeler que, conformément à l’article 4, paragraphe 3, sous b), et à l’article 29, paragraphe 1, sous e), de ce règlement, un tel produit ne peut être autorisé que s’il est établi qu’il n’a pas d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine, une telle preuve devant, conformément à l’article 29, paragraphe 2, dudit règlement, être apportée par le demandeur.

Or, un produit phytopharmaceutique ne saurait être considéré comme satisfaisant à cette condition lorsqu’il présente une forme de carcinogénicité ou de toxicité à long terme.

Il incombe donc aux autorités compétentes, lors de l’examen de la demande d’autorisation d’un produit phytopharmaceutique, de vérifier que les éléments présentés par le demandeur, au premier rang desquels figurent les essais, les analyses et les études du produit, sont suffisants pour écarter, à la lumière des connaissances scientifiques et techniques actuelles, le risque que ce produit présente une telle carcinogénicité ou toxicité. Dans ce contexte, les « tests sommaires » mentionnés par la juridiction de renvoi ne sauraient suffire à mener à bien cette vérification ».

Si la Cour a constaté que le Règlement n° 1107/2009 ne prévoit pas de manière détaillée la nature des essais, des analyses et des études auxquelles les produits phytopharmaceutiques doivent être soumis avant de pouvoir bénéficier d’une autorisation, elle s’est néanmoins refusée à conclure que le Règlement dispenserait le demandeur de fournir des tests de carcinogénicité et de toxicité à long terme portant sur le produit phytopharmaceutique visé par une demande d’autorisation, contrairement à ce que la juridiction de renvoi avait estimé. En effet, il appartient au demandeur de prouver, à la lumière des connaissances scientifiques et techniques actuelles et au moyen d’essais, d’analyses et d’études, que le produit ne présente pas une forme de carcinogénicité ou de toxicité à long terme.

De son côté, l’avocat général avait souligné dans ses conclusions que « Comme c’est souvent le cas dans la vie, la réglementation dans ce domaine implique de mettre en balance deux préoccupations en concurrence : un niveau adéquatement élevé de protection pour les humains, les animaux et l’environnement et la possibilité de mettre sur le marché des produits qui permettent d’accroître la productivité de l’agriculture ». En l’espèce, elle avait conclu « qu’aucun élément n’avait été apporté à l’appui de la conclusion selon laquelle le législateur de l’Union aurait commis une erreur manifeste en procédant à cette mise en balance dans le règlement PPP » (cf. § 79 des conclusions).

On se souvient que par son arrêt Landelijke Vereniging tot Behoud van de Waddenzee du 7 septembre 2004 (C-127/02) qu’elle avait rendu à titre préjudiciel pour interpréter la directive « habitats », la Grande Chambre Cour avait appliqué le principe de précaution de manière extensive en considérant qu’en cas de doute quant à l’absence d’effets significatifs sur un site Natura 2000, il y avait lieu de procéder à une évaluation des incidences.

Quinze ans plus tard, cette même formation confirme clairement que lorsqu’est en cause l’appréciation de la validité d’un texte de droit dérivé, il y a seulement lieu de procéder à un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation de ce texte au regard du principe de précaution « en raison de la nécessité de la mise en balance de plusieurs objectifs et principes, ainsi que de la complexité de la mise en œuvre des critères pertinents ».